2007 : une année charnière de plus pour la musique et internet
L’année 2007 restera sans doute comme une année importante dans l’histoire mouvementée des rapport entre la musique et internet ainsi que le furent avant elle les années : 1994, 1998 et 2003.
- L’année 1994 correspondait à l’ouverture d’internet au grand public.
- En 1998, on assistait à l’explosion de l’utilisation des fichiers sonores au format mp3 avec le début des plates-formes d’échange P2P dont la première fut Napster. Pour accompagner ces nouveaux usages, le premier baladeur mp3, le Rio 300, était commercialisé.
- Le lancement par Apple le 28 avril 2003 de iTunes Music Store marque les vrais débuts du téléchargement légal.
En 2007, quelques éléments sont venus changer le paysage. Certains ne viennent que confirmer fortement des tendances déjà amorcées.
D’autres sujets auraient pu être abordés comme les espaces de
stockage sur internet, mais la barque vous semblera déjà bien pleine.
Le cas Radiohead
C’est sans doute l’événement marquant de l’année 2007.
Rappelons les faits : les membres du groupe Radiohead, sans maison de disques depuis la fin de leur contrat avec Parlophone (EMI), décident de produire eux-mêmes leur prochain album intitulé In Rainbows. Le 10 octobre 2007, l’album sortait uniquement en téléchargement (format mp3, 160 kp/s sans DRM) sur un seul site destiné à cet usage : Innovation essentielle, c’est l’internaute qui fixait lui-même le prix auquel il désirait acheter l’album composé de dix titres. Il était impossible de télécharger un titre seul. Parallèlement à ce téléchargement, il était possible de pré-commander, pour une livraison à partir du 3 décembre, une Discbox contenant : 2 CD-Audio, 2 maxi vinyls et un livret. A partir du 10 décembre, il n’était plus possible de télécharger l’album car une sortie "classique" sur support CD - distribué par XL Recordings en Europe - était programmée pour le 31 décembre. Il sera également, à cette date, disponible sur les plates-formes de téléchargement légal.
Il est difficile de savoir quels sont les résultats de cette opération. Les chiffres annoncés par ComScore ayant été démentis par Radiohead. Ce qui semble certain pour la majorité des observateurs, c’est qu’elle a été un grand succès pour au moins trois raisons :
- c’était la première opération de ce type et de cette envergure ;
- la notoriété du groupe ;
- l’album est très bon (un peu d’artistique ne fera pas de mal).
Cette première expérience notable tentée, nombreux sont ceux qui ont suivi l’exemple Radiohead. Citons :
- Saul Williams ;
- Daniel Lanois (album à venir) ;
- The Charlatans (album à venir) ;
- Et sans doute plus surprenant parce qu’issue du monde du classique Barbara Hendricks.
Deux enseignements à tirer de ces expériences :
- Qui fixe le prix ?
- La multiplication des vecteurs de distribution.
Qui fixe le prix ?
On a assisté en quatre ans à un glissement complet du modèle de fixation du prix.
- Dans le monde physique, c’est le producteur phonographique (maison de disque) qui fixe le prix de vente, c’est le modèle classique.
- Dans le monde du téléchargement légal, c’est le distributeur qui fixe le prix de vente. C’est Apple qui a mis en place ce nouveau modèle et qui a fixé le prix, de sa propre autorité, à 0,99 dollars ou euros.
- Dans le cas Radiohead, c’est le consommateur qui fixe le prix.
Musique Info Hebdo du 30 novembre 2007 rapporte que pour l’album de Barbara Hendricks certains internautes ont payé 20 € alors qu’il peut être téléchargé sur l’ensemble des plates-formes de musique en ligne au tarif de 9,99 €. Cela pourrait paraître irrationnel, ça l’est. Ce qui est mis en évidence par le modèle Radiohead, c’est la relation directe entre l’artiste et l’acheteur. Ce qu’achète l’acheteur c’est du lien affectif, le prix qu’il fixe et qu’il paye c’est la force de son attachement à l’artiste, il n’y a rien de rationnel là-dedans. La somme la plus importante payée pour l’album de Radiohead a sans doute été 5 000 $ payé par Trent Reznor de Nine Inch Nails comme il l’a révélé dans une interview au New York Magazine le 30 octobre.
Un des trois modèles va-t-il l’emporter sur les autres ? Je ne le crois pas, ils vont cohabiter ce qui va rendre encore un peu plus complexe un monde déjà peu lisible. On avouera qu’il s’agit-là d’un véritable bouleversement.
La multiplication des vecteurs de distribution.
Avec Radiohead, on assiste à la mise en place d’une chronologie des sorties sur un nombre toujours plus grand de façons de publier un album :
- Téléchargement mp3 basse qualité sur un site unique ;
- Édition de prestige matérielle ;
- Sortie sur CD-Audio, téléchargement sur les plates-formes légales.
Complément
Même s’il ne s’agit pas d’internet, il est difficile de passer sous silence, un nouveau mode de distribution apparu en 2007 : le CD-Audio distribué gratuitement avec un journal. Trois exemples illustrent ce nouveau mode :
- En Angleterre, le dernier album de Prince a été distribué avec le Mail on Sunday le 14 juillet 2007 ;
- En Belgique, c’est l’album de Sarah Bettens qui était distribué le 13 octobre 2007 avec De Morgen ;
- Le 21 octobre 2007, c’est le Sunday Times qui distribuait le dernier album de Ray Davies.
L’échec partiel des solutions DRM
Dans un article essentiel « Thoughts on music » daté du 6 février 2007, Steve Jobs, le patron d’Apple, faisait le point sur les difficultés observées dans le téléchargement légal à cause des DRM (Digital Right Management). Pour résumer, le débat tourne autour de l’interopérabilité. Aujourd’hui des fichiers achetés légalement sur le site de la Fnac au format wma ne sont pas lisibles sur un baladeur iPod d’Apple. Ce sont les DRM, sorte de verrous numériques, qui empêchent cette interopérabilité. Des tentatives avaient déjà été faites pour sortir de ce casse-tête. La Fnac avait dès septembre 2006 vendu des fichiers mp3 sans DRM avec un certain succès (Aaron par exemple). L’article de Steve Jobs a rapidement eu des suites. Le 2 avril 2007, EMI signait un accord avec Apple pour publier son catalogue au format mp3 sans DRM.
Deux poids lourds de la distribution - Amazon et Wal-Mart - déclaraient en août vouloir lancer des plates-formes de téléchargement mais sans DRM. Depuis Amazon a signé avec Universal et EMI pour vendre une partie de leur catalogue. Warner les a rejoint en toute fin d’année, le 27 décembre (3).
L’abandon partiel des DRM a un impact direct sur les intervenants
qui utilisaient des systèmes propriétaires reposant lourdement sur les
DRM. C’est le cas de Sony et de sa plate-forme de téléchargement légal
Connect. Pour simplifier, seuls les baladeurs de la marque Sony sont
capables de lire les fichiers achetés sur cette plate-forme. De plus, le
site web est incompatible avec Firefox, un cauchemar pour l’internaute. Sony
a été condamné en France pour tromperie, en ne signalant pas
expressément que les fichiers achetés sur Connect n’étaient lisibles
que sur des baladeurs Sony. Sony en a tiré les conséquences et fermera Connect en 2008.
Les DRM vont-elles être abandonnées pour autant ? Pas sûr, mais dans leur forme actuelle elles sont clairement un frein au développement du téléchargement légal.
La musique fluide
La musique de par ses caractéristiques sur le réseau devient de plus en plus semblable à un fluide. 2007 n’a fait, sur ce terrain, que confirmer une tendance lourde qui aura un impact énorme sur les usages.
Avec la numérisation de la musique et le réseau internet, les phonogrammes sont devenus « volatils ». Ils ne sont plus liés à un support. De nombreuses offres utilisent ces nouvelles caractéristiques. En voici deux tout à fait représentatives.
Deezer.com (anciennement Blogmusik.net) est un site de musique à la demande ; gratuit et illimité. Il s’agit d’écoute en streaming, pas de téléchargement. Ce site est maintenant quasi-légal puisque Deezer a signé un accord avec la Sacem et avec certains producteurs (ou est en passe de le faire). Ce sont les internautes qui fournissent le catalogue. Le service est gratuit pour l’utilisateur. C’est la publicité qui rémunère les auteurs et les producteurs.
SpiralFrog suit ce modèle publicitaire, mais il s’agit de téléchargement. Si certaines pages du site sont accessibles, l’ensemble du site n’est accessible qu’aux internautes résidents aux Etats-Unis ou au Canada pour des problèmes de droits.
Profitant de cette volatilité, certains Fournisseurs d’accès internet (FAI) ont intégré dans leurs offres d’abonnement des services en relation avec la musique. Neuf Cégétel a été le premier à proposer ce type de services à partir du 20 août 2007. Il s’agit d’une offre de téléchargement gratuit et illimité sur le catalogue d’Universal et dans un genre musical donné. D’autres offres plus complètes sont payantes. Alice propose depuis le 4 décembre une offre de même type avec EMI et plus de catalogue.
La musique devient donc de plus en plus un fluide distribué par un réseau comme l’eau, le gaz et l’électricité. L’accès à internet devient un robinet. A terme, il est probable que tous les FAI qui gèrent l’entrée du réseau (le robinet), proposeront dans leurs offres d’abonnement internet un service lié à la musique.
La montée en puissance inexorable des PM (Personal Mobile)
PM (Personal Mobile) par analogie évidemment à PC (Personal Computer)
A moins d’être anachorète, il n’aura échappé à personne que le PM est capable de tout faire (voir le tohu bohu médiatique autour de l’iPhone) et sera de plus en plus souvent la porte d’entrée d’internet. Il y avait en France 53 075 900 abonnements de mobile en septembre 2007. Il y a donc plus de PM que de PC. On comprend l’importance stratégique de ce secteur.
De fait, de grandes manœuvres industrielles et économiques liées à la musique ont commencé et vont continuer. En voici quelques exemples :
- Les Illimythics lancés par SFR le 6 novembre 2007 proposent sur téléphone portable (PM) d’accéder à internet de façon illimitée et donc d’avoir accès aux services musicaux (y compris téléchargement) pour un coût forfaitaire.
- Nokia a fait sensation le 4 décembre 2007 en présentant une offre pour 2008 appelée "Comes With Music". Les acheteurs d’un appareil Nokia auront un an d’accès illimité à un catalogue important via le Nokia Music Store. Cette fois c’est le fabricant de mobile qui sera distributeur.
- Pour couronner le tout, les rumeurs vont bon train sur l’entrée en lice dans le monde du PM de Google. Ce qui est sûr c’est que Google s’y intéresse et a annoncé la mise d’un consortium pour le développement d’un système d’exploitation ouvert pour le PM (l’équivalent de Linux pour les PC). Il s’appellera Android.
Le PM globalement et pas seulement par son rapport à la musique est un des enjeux majeurs des années à venir.
Un monde complexe et instable
Le monde numérique qui nous
entoure est de plus en plus complexe. Les nouveaux outils, les
nouvelles offres arrivent alors que les usagers ne se sont encore pas
appropriées les précédents, mais l’année 2007 est plus une année de
confirmation que de vraies nouveautés. Pour ceux ou celles qui sont
attentifs, certaines pistes tracées sont assez claires. Il reste à
trouver un équilibre avec le droit, mais c’est une autre affaire.
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