2020, Palpatine et la désinformation
Le round actuel du match mortel entre les islamistes iraniens et les évangélistes américains illumine cette année naissante d’un feu d’artifice de bêtise, de désinformation et de manipulation qui seront, sans doute, la marque de fabrique de la décennie à venir. Alors autant se mettre à la page tout de suite et je vous souhaite, chères lectrices et chers lecteurs, une passionnante autant que désinformative année 2020 ! Et non, le titre n’est pas une erreur.
Soleimani et le lien bidon avec le 11 septembre.
L’assassinat du général iranien Qassim Soleimani, sur ordre de Donald Trump, fut ainsi justifié par son vice-président Mike Pence, évangéliste pur et dur :
“[Suleimani] assisted in the clandestine travel to Afghanistan of 10 of the 12 terrorists who carried out the September 11 terrorist attacks in the United States… Soleimani was plotting imminent attacks on American diplomats and military personnel. The world is a safer place today because Soleimani is gone.”
(Soleimani) a collaboré au transfert clandestin de 10 des 12 terroristes ayant participé aux attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis…. Soleilmani préparait des attaques imminentes contre du personnel diplomatique et militaire américain. Le monde est aujourd’hui plus sûr du fait de la disparition de Soleimani.
https://www.currentaffairs.org/2020/01/how-to-avoid-swallowing-war-propaganda
Cette justification vise à entériner une fausse idée selon laquelle Soleimani, donc à travers lui l’Iran (dont il est le chef des redoutables et meurtriers Gardiens de la Révolution, le bras armé de la dictature théocratique iranienne et force d’élite en Syrie contre Daech) et son allié le Hezbollah, seraient associés aux dits attentats du 11 septembre 2001. Alors qu’il ne semble exister aucun indice d’une quelconque implication du régime chiite dans cette affaire – de l’admission même du très officiel rapport de la 9/11 Commission.
Tout comme l’administration de G.W. Bush avait voulu associer Saddam Hussein à ces mêmes attentats en inventant une proximité entre le régime irakien de l’époque et Al-Qaïda (en plus des fantomatiques armes de destruction massive), l’administration Trump en rajoute une couche dans sa recherche d’un conflit ouvert avec l’Iran en associant ce régime avec ce symbole absolu de l’anti-américanisme.
J’ai insisté, dans l’introduction du billet, sur l’aspect religieux des protagonistes car ce conflit ne semble avoir aucun sens politique si on lui retire sa dimension religieuse. Hors le sens économique lié à la nécessité pour les USA de faire tourner leur immense complexe militaro-industriel par le biais de guerres sans fins mais très consommatrices d’équipements, d’armes et de services en tous genres (guerres que Trump avait par ailleurs promis d’arrêter lors de sa première campagne électorale), un sens plus profond lié à la religion a été développé par le professeur de théologie franco-libanais Antoine Fleyfel dans son – sidérant – livre Les dieux criminels, objet d’un article ici en septembre 2018 (1).
La mouvance évangéliste, représentée ici par Mike Pence, est associée au sein de l’administration américaine au puissant lobby israélien (représenté en l’occurrence par Jared Kushner, beau-fils de Donald Trump, grand ami personnel de Benjamin Netanyahou et conseiller personnel du Président (2)) dans une espèce de sainte alliance en vue d’une grande guerre finale contre l’Islam permettant, selon la prophétie eschatologique, le retour du Christ / Messie et un règne de paix de mille ans.
Le 11 septembre 2001 ayant servi de justification bidon pour les désastreuses attaques contre l’Afghanistan (désastre récemment révélé par les Afghanistan Papers (3)), contre l’Irak qui aujourd’hui se révolte contre la présence de l’occupant US, et désormais l’Iran contre lequel toute attaque militaire subirait inévitablement le même sort que les autres, on pourrait se demander – si l’on s’inquiète réellement de la désinformation massive dont nos sociétés souffrent depuis vingt ans – de quoi relève effectivement ce fameux 9/11 légitimant tout et n’importe quoi, mais là on touche à la limite du politiquement correct.
Edwy Plenel en arrive aujourd’hui à qualifier les USA de rogue state, d’Etat voyou et il a raison (4) mais malheureusement il ne veut pas, pour des raisons aussi politiques qu’économiques (il doit vendre un journal dit sérieux à des gens dits sérieux) aller titiller la bête au fond du gouffre (5).
L’ordre assassin donné par Donald Trump n’est que l’énième illustration de ce comportement qu’avait théorisé Jacques Derrida, en retournant contre l’impérialisme américain le concept de « rogue State » forgé sous la présidence de Ronald Reagan pour désigner les cibles étatiques des États-Unis.
https://www.mediapart.fr/journal/international/050120/la-guerre-qui-vient?page_article=1
La désinformation, plus que le simple mensonge ou le mensonge par omission, réside dans la création de liens factices entre des gens, des situations, des événements afin de servir un certain roman politique. Il réside dans l’enrobage plus ou moins savant de choses dont on ne veut pas trop connaître le dérangeant fond, tout comme dans la dénonciation moraliste (à la sauce antisionisme = antisémitisme par exemple (7)) permettant de délégitimer d’office tout avis ou questionnement remettant en cause les intérêts politiques ou économiques des puissants et leurs chiens de garde médiatiques et policiers.
On va ainsi maintenir que les violences policières sont toujours le fruit légitime de la provocation de la rue, ou que l’entrepreneuriat terroriste islamiste local n’est en réalité que la conséquences de gens souffrant de troubles mentaux. Ou que la réforme des retraites est avantageuse pour tout le monde sauf, bizarrement, pour ceux dont le régime a vraiment besoin, qui conserveront leurs privilèges.
Les graves dangers de la désinformation et de la corruption.
Cette situation est grave car, même si un régime théoriquement démocratique ne ment pas sur tout, tout le temps, la désinformation est tellement endémique que l’on ne peut ni ne doit rien croire sur parole et toujours demander des preuves, se demander ce que sert telle ou telle déclaration ou prise de position. La désinformation, de plus, marche main dans la main avec la corruption. L’une a besoin de l’autre et cette corruption est aujourd’hui une gangrène massive de par le monde, y compris ici : selon, l’indice de perception de la corruption (6), la France se situe entre l’Uruguay et les Emirats Arabes.
La France a en réalité tout d’une république bananière (8) et ceci crée une situation de défiance pouvant se muer rapidement en rejet au profit d’extrêmes voire, si elle n’a plus grand chose à perdre, en guerre ouverte entre un régime et une partie conséquente de sa population.
Au vu de ceci, et sans même aborder le sujet du dérèglement climatique, 2020 s’annonce chaude. Pour se protéger de la désinformation rampante il faudrait que chacun.e fasse son propre travail journalistique : filtrer, recouper les sources, contextualiser mais peu en ont le temps, ni réellement l’envie, ni nécessairement les moyens. Le réflexe pavlovien est nettement plus accessible et répandu : selon qui parle, selon la « cause » que l’un.e ou l’autre prétend défendre, on applaudit, on s’offusque ou l’on ignore.
Pain béni pour la désinformation, ce qui nous ramène à nos eschatologues du début : si ce qui rend le monde fou est en fait la religion, du moins celles qui prophétisent ici un nécessaire Armageddon ou là une « Ultime Bataille » entre le Bien et le Mal ouvrant la porte à un avenir radieux pour les survivants, dénoncer « l’autre » comme le Mal absolu tout en se revendiquant du Bien tout aussi absolu est le b-a-ba de toute désinformation de masse.
Le retour de Palpatine.
C’est bien ce que nous constatons aujourd’hui sous une forme totalement désinhibée : Trump fait assassiner sans raison un représentant d’un gouvernement a priori légitime, mais il est le Bien et toute réaction adverse serait la démonstration du Mal. S’il y en a un qui se marre, c’est Orwell. Ou Palpatine, qui ne serait finalement pas mort aux mains de son disciple Darth Vador comme je l’ai cru pendant près de quarante ans, mais tout dernièrement aux mains de Rey armée d’une croix formée par les sabres laser de Luke Skywalker et de la princesse Leia. Une Rey issue de sang Sith et appelée par le côté sombre mais dont la pureté de cœur lui permit de concentrer en elle toutes les forces des anciens Jedi dans l’Armageddon final et la victoire sans appel du Bien contre le Mal.
Oui, j’ai vu le dernier épisode des Starwars. Oui je sais, cette dernière trilogie purement commerciale de la saga à laquelle je fais parfois référence (voire révérence), comme ici (9), est un peu (beaucoup) un désastre côté scénaristique mais elle fonctionne émotionnellement pour les fans dont je suis :
Quel rapport me direz-vous ? Et bien le Bien, justement, et sa relation ambivalente avec le Mal. Au début Palpatine est un représentant d’un ordre démocratique qu’il transforme en Empire totalitaire via la désinformation et la corruption. L’agent corrupteur est le côté sombre de la Force, qui symbolise là ce que nous nommons argent, pouvoir et violence ici.
Trump et Macron sont des avatars contemporains de Palpatine : démocratiquement élus au nom de l’anti-système, obtenant quasiment les pleins pouvoirs afin d’arrêter les guerres et de nettoyer l’Amérique du cloaque de l’Etat Profond (drain the swamp, qu’il disait) côté Trump, ou recréer une espèce de Grande France mythologique côté Macron (la fameuse start-up Nation rationnelle, moderne et efficace mais en réalité une proie pour les prédateurs qui fondent et financent la Macronie), ils se révèlent être l’incarnation de ce même Mal dominé par la corruption et la désinformation.
Ils peuvent néanmoins espérer une majorité électorale aux prochaines élections car, à l’instar de Palpatine demandant les pleins pouvoir au Sénat afin de combattre la menace qu’il a lui-même créée, la dangerosité de « l’ennemi » justifie le recours au côté sombre – le Patriot Act aux USA ou l’état d’urgence et les lois de renseignements intégrées en droit français, tout comme les assassinats opportunistes ou le tir tendu au LBD contre journalistes et manifestants.
Dans Starwars IX donc, a priori le dernier épisode de la saga Skywalker où tout se termine définitivement et ne reste que l’avatar du Bien ayant dominé le Mal, Palpatine décède enfin et la Force est unifiée. Traduit en langage du Livre et des religions monothéistes, le nouveau règne de mille ans du Christ / Messie / Prophète peut advenir. De quoi occuper Charlie Hebdo un bon moment car la vengeance, en effet, est un plat qui se mange froid et se déguste lentement.
PS : Le paragraphe précédent relève peut-être d’une opération de désinformation.
Liens et sources :
(1) https://zerhubarbeblog.net/2018/09/11/les-dieux-criminels-au-coeur-des-conflits/
(2) https://zerhubarbeblog.net/2017/05/23/trump-larabie-et-la-connexion-juive/
(3) https://zerhubarbeblog.net/2019/12/10/the-afghanistan-papers-tous-les-mensonges-enfin-reveles/
(4) https://www.mediapart.fr/journal/international/050120/la-guerre-qui-vient?page_article=1
(5) https://zerhubarbeblog.net/2019/09/11/11-septembre-2001-18-ans-apres-la-rage-au-ventre/
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Indice_de_perception_de_la_corruption#Classement_2017
(7) https://zerhubarbeblog.net/2019/03/14/de-lamalgame-antisioniste/
(8) https://zerhubarbeblog.net/2019/03/14/bienvenue-en-republique-bananiere-francaise/
(9) https://zerhubarbeblog.net/2015/12/24/joyeux-noel-a-lempire/
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