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Accueil du site > Tribune Libre > À France télévision au sujet de César et d’Alésia

À France télévision au sujet de César et d’Alésia

Mardi prochain, 25 novembre, sur France 2, vous avez prévu de diffuser un documentaire sur Jules César. Vous avez invité des historiens de l'Alésia officielle ainsi que Madame Porte, partisan de l'Alésia franc-comtoise, apparemment seule latiniste. Je devine que vous allez, une fois de plus, relancer la querelle de la localisation du site. Pourquoi ne faites-vous pas appel à d'autres latinistes, professeurs tout autant sinon plus compétents en langue latine que Mme Porte alors que les partisans du site jurassien mettent en avant sa traduction du texte césarien que, pour ma part, je considère comme erronée ?

…Cum Caesar in Sequanos per extremos lingonum[2] fines iter faceret … (VII, 66, 2). C'est clair, c'est net, c'est sans ambiguité. Ma traduction est celle admise par la majorité des latinistes : comme César faisait route par les territoires extrêmes des Lingons pour aller chez les Séquanes… L'itinéraire que j'indique sur le croquis ci-joint est celui qu'impose la stricte logique militaire : le chemin le plus court. Alise-Sainte-Reine était aux Mandubiens (1), lesquels étaient vassaux des Lingons comme l'indiquent les monnaies lingones retrouvées sur le site. Les toponymes de la région "Dubis, Vidubia, Dubnorix" sont un autre indice. César voulait rallier Dijon, un des trois pagus séquanes où il pouvait espérer trouver des stocks de blé pour son ravitaillement. (2)

Comme César faisait route par les territoires extrêmes des Lingons pour aller chez les Séquanes... dans le raisonnement tactique militaire, c'est ce qu'on appelle "une intention de manoeuvre", j'ai l'intention... Nous avons ensuite le scénario détaillé : départ de César de l'oppidum senon d'Auxerre (3). Vercingétorix prend position, peut-être dans la nuit, à 10 000 pas des Romains, à Noyers (4), d'où il déclenche, au lever du jour, son embuscade de cavalerie. La bataille étant perdue, il fait retraite sur la base de repli qu'il a pris soin de préparer à Alésia/Alise-Sainte-Reine (5).  

Le récit de Plutarque est confus : César fut donc obligé de décamper de chez eux (de chez les Éduens) et de traverser le pays des Lingons, pour entrer dans celui des Séquanais, amis des Romains, et plus voisins de l'Italie que le reste de la Gaule (intention). Là (?) pressé par les ennemis, enveloppé par une armée innombrable, il pousse en avant avec tant de vigueur, qu’après un combat long et sanglant, il a partout l’avantage, et met en fuite les Barbares (bataille de cavalerie ?). Il semble néanmoins qu’il y reçut d’abord quelque échec (Plutarque revient en arrière, à Gergovie) car les Arvernes montrent une épée suspendue dans un temple, comme une dépouille prise sur César... Le plus grand nombre de ceux qui s’étaient sauvés par la fuite (il revient à la bataille de cavalerie) se retirèrent avec leur roi dans la ville d’Alésia. César fit le siège de cette ville...

Il n'y a là rien qui contredise vraiment mon interprétation du texte de César, mais il est vrai que les partisans de l'Alésia franc-comtoise peuvent en déduire que César a franchi le pays lingon, qu'il en est sorti, qu'il est entré dans le pays des Séquanais/Séquanes et que c'est donc là, dans le Jura, que se trouve la véritable Alésia... mais où est la logique militaire dans tout cela ? (6) Prétendre que César, pour rejoindre la Province, serait passé par un itinéraire du Jura par peur de rencontrer une résistance dans le couloir de la Saône, mais cela aurait fait s'esclafer tous les sénateurs de Rome.

Véritable juge de paix, Strabon écrit que la bataille a eu lieu à Alésia, cité des Mandubiens, peuple limitrophe des Arvernes (Géographie, IV, 2, 3). Or, le pays séquane n'est pas limitrophe des Arvernes. Le pays lingon, et donc mandubien, l'était à condition de mettre la région du mont Beuvray sous contrôle arverne et Bibracte, entre Dheune et Saône, comme cet auteur l'a écrit et comme je l'ai expliqué dans de nombreux articles. (7)

Plusieurs années après, le récit de Dion Cassius est intéressant sachant qu'il recopie, mais en le résumant, le texte des Commentaires. 

César voulut marcher sur-le-champ contre les Éduens ; mais, arrêté par la Loire, il se dirigea du côté des Lingons, et ne fut pas plus heureux. Dion Cassius reprend ici "l'intention" de César dont j'ai parlé. Quant à Labiénus, il s'empara de l'île située dans la Seine...

Avant cet événement, (avant cela) Vercingétorix, à qui César ne paraissait plus redoutable à cause de ses revers, se mit (s'était mis) en campagne contre les Allobroges (en y envoyant le frère d'Éporédorix, DBG VII, 64). Il surprit dans le pays des Séquanais le général romain qui allait leur porter du secours, et l'enveloppa ; mais il ne lui fit aucun mal (il s'agit de la bataille de cavalerie) : bien au contraire, il força les Romains à déployer toute leur bravoure, en les faisant douter de leur salut et reçut un échec par l'aveugle confiance que le nombre de ses soldats lui avait inspirée. Les Germains, qui combattaient avec eux, contribuèrent aussi à sa défaite : dans l'impétuosité de l'attaque, leur audace était soutenue par leurs vastes corps, et ils rompirent les rangs de l'ennemi qui les cernait (il s'agit toujours de la bataille de cavalerie où la charge des cavaliers germains l'emporta). Ce succès imprévu ne ralentit point l'ardeur de César : il contraignit les barbares fugitifs à se renfermer dans Alésia, qu'il assiégea. 

Je résume Dion Cassius : l'intention de César est toujours de traverser le pays lingon mais, ici, pour porter secours aux Allobroges. Il faut évidemment comprendre "après s'être ravitaillé en pays séquane" ce qui m'amène à Vienne comme objectif, ville allobroge proche de l'agresseur éduen (le frère d'Éporédorix dont j'ai parlé). Mme Porte préfère Genève ce qui, à mon avis, ne s'explique pas. Mais nous ne sommes, là encore, que dans l'intention.

Passons à l'exécution. Le scénario est le suivant si l'on suit Dion Cassius : César part du pays senon. Il est surpris en pays séquanais. la bataille de cavalerie tourne à son avantage. Vercingétorix se replie sur Alésia.

Mme Porte identifie le pays séquanais au pays séquane, dans le Jura, et y met donc son Alésia. Quant à moi, j'en déduis que Noyers-sur-Serein, là où je situe la bataille de cavalerie dans mon interprétation des Commentaires, est considéré par Dion Cassius comme étant en pays séquanais.

Et, en effet, nous sommes bien sur la voie sequanas de la carte de Peutinger, voie de l'Armançon en partie, si riche en vestiges archéologique qui se poursuit par la vallée de la Seine. De même que l'Arar - la Saône - était aux Éduens, de même la voie Sequanas était aux Séquanes. Indice intéressant, les habitants de Île-de-France ne s'appelaient-ils pas anciennement des Séquanais ? Et, en effet, rien ne permet de dire que cette voie "séquane" soit tombée, à l'époque de César, aux mains des Mandubiens ou des Lingons.

Enfin, pour se mettre en accord avec le texte de César, Madame Porte propose la traduction suivante de la phrase-clef du texte de César "Comme César passait chez les Séquanes par l’extrémité du territoire des Lingons afin de pouvoir plus aisément secourir la Province"… ce qui n'est pas acceptable sur le plan grammatical. On ne fait pas mouvement dans, ce qui aurait dans ce cas exigé l'ablatif "in Sequanis". On fait mouvement vers (les Séquanes) ce qui est clairement indiqué par l'expression "in Sequanos" à l'accusatif.

Ce sont les mauvaises traductions et interprétations des archéologues qui fournissent à Mme Porte ses autres principaux arguments.

Voici l'interprétation du museoparc d'Alésia 

Celle de l'archéologue Michel Reddé

 

Et voici la mienne

On voit tout de suite la différence : du côté officiel, une passoire, de l'autre une savante imbrication d'obstacles naturels aussi redoutables que des barbelés modernes, dissimulés en plus et battus par les javelots, les balistes, interdits ensuite par les lances et les épées du corps à corps.

Ce sont toutes ces erreurs de traduction auxquelles s'ajoutent des interprétations archéologique erronées qui sèment le doute, ce dont les contestataires du site font leur lit http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/alesia-le-serpent-de-mer-est-de-152891. Le jour où les archéologues et les historiens comprendront cela, on oubliera définitivement la querelle d'Alésia et on commencera peut-être à s'intéresser un peu plus intelligemment aux localisations de nos anciennes capitales gauloises de Bibracte et de Gergovie.

E. Mourey, extraits de mes ouvrages, 20 novembre 2014. Site internet www.bibracte.com

Renvois

(1) Mandubiens, hommes de la voie dubis, alias voie séquanas de la carte de Peutinger. César utilise les voies carrossables de l'époque.

(2) Les Séquanes avaient trois "terres", l'une dans la plaine d'Alsace (DBG I, 31), l'autre à Besançon qui était leur capitale, la troisième ne pouvant être qu'à Dijon, le Tilena/Talant de la carte de Peutinger, ce qui les mettait en concurrence avec les Éduens au sujet de péages de la voie Sequanas.

(3) Labiénus qui avait mis le convoi à Sens a rejoint César (DBG VII, 62).

(4) En toute logique, Vercingétorix ne met en place son embuscade qu'àprès que les Romains soient partis d'Auxerre et parcouru une première étape.

(5) Dans son mouvement "aller", Vercingétorix avait parcouru cette distance en trois camps - trois jours - ce qui explique que César a parcouru cette même distance en deux jours, n'arrivant à Alise que le surlendemain et non le lendemain.

(6) Bien que les Séquanes tenaient le défilé de La Cluse lors de l'émigration helvète (DBG I, 11) et bien que Strabon dise que le Jura leur appartenait tout en faisant frontière, il ne pouvait pas s'y trouver de cités séquanes conséquentes, leurs "terres" principales se limitant à trois selon César comme indiquées dans mon renvoi (2).
 
 


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9 réactions à cet article    


  • Donbar 20 novembre 2014 14:52

    Ave Æmili (Æmilix ?),
    C’est toujours un plaisir de vous lire et de vous voir mener bataille avec constance.
    Une toute petite observation : « per extremos fines » ne relève-t-il pas du modèle « summa arbor » (mot-à-mot l’arbre haut, pour dire en fait le haut de l’arbre). Auquel cas la traduction « par les extrémités des territoires » serait préférable.
    Et de toute façon, macte animo !


    • Emile Mourey Emile Mourey 20 novembre 2014 15:53

      @ Donbar


      Peut-être. Le Gaffiot traduit par frontière ou limite comme si c’était une ligne, ce dont je doute, sauf lorsqu’il y avait un cours d’eau et encore. Dans le cas présent, je pense que l’expression doit s’interpréter en opposition à « in fines », ce qui aurait été considéré comme une violation de territoire si César avait utilisé cette expression. Autrement dit, bien qu’il parcourt très certainement une voie antique sur laquelle les Séquanes percevaient encore des péages, César ne le dit pas. Il passe, certes, sur le territoire des Lingons... mais seulement sur les bords.

      • Emile Mourey Emile Mourey 20 novembre 2014 19:00

        @ Donbar

        D’accord pour votre traduction de per extremos fines, ce qui, d’ailleurs correspond mieux à mon interprétation. Dans mon ouvrage, j’ai fait une traduction au mot à mot : par les frontières extrêmes.
        César dit aussi en parlant d’Eporédorix qu’il était summo loco natus

      • Richard Schneider Richard Schneider 20 novembre 2014 16:31

        Bonsoir Monsieur Mourey,

        Sachant que France 2 allait diffuser le 25 de ce mois une émission sur Alesia - sujet qui vous tient particulièrement à cœur - j’ai bien l’intention de la suivre.
        Toujours heureux de vous lire.

        RS

        • Emile Mourey Emile Mourey 20 novembre 2014 17:48

          Oui, bonjour,


          Sachant que Stéphane Bern et Franck Ferrand, contre lesquels je n’ai d’ailleurs aucune animosité puisque je regarde leurs émissions, sont partisans de l’Alésia franc-comtoise, il faut probablement s’attendre, concernant Alésia, à l’entretien du flou et du mystère de leur part, ce qui est très médiatique mais ne fait pas progresser la connaissance historique. Il est probable que Mme Porte jouera sur du velours face à des historiens qui ne sont pas latinistes, ou peu, et face à des archéologues qui s’embrouillent dans leurs interprétations et qui sèment le doute sans s’en rendre compte.
          Mais le plus grave est que, pour la première fois dans une grande émission, le site du mont Beuvray sera consacré médiatiquement comme l’ancienne capitale des Gaules, avec ses pauvres maisons primitives en bois.
          François Mitterrand avait compris son erreur puisqu’il m’avait envoyé une carte pour me remercier. Je ne comprends pas le ministère de la Culture, la DRAC et d’autres. Ils ne peuvent pas dire que je ne les ai pas alertés. 

        • Antenor Antenor 20 novembre 2014 17:34

          Si César avait franchi la Saône avec l’armée gauloise aux trousses, il l’aurait signalé. Et une fois la Saône franchie, il aurait encore eu à repasser le Rhône entre Genève et Lyon. En gros, il se serait mis dans la situation des Helvètes au début de la Guerre des Gaules.


          • Emile Mourey Emile Mourey 20 novembre 2014 18:01

            @ Antenor

            Vous avez tout à fait raison. S’il est un fleuve que César connaît bien, c’est la Saône. En bon historien militaire, il n’aurait pas manqué de signaler qu’il l’avait franchi, et pour indiquer au lecteur sa position, et pour se faire valoir. Déjà, lors de l’émigration helvète, il n’avait pas manqué de se mettre en valeur en disant qu’il avait jeté un pont sur la Saône en un temps record.

          • Michel Merlin Michel Merlin 2 janvier 2015 20:25

            César aurait pu avoir traversé la Saône à gué

             — -- — -- - — -- — -- - — -- — -- —
            Merci à tous et en tout particulier à Mr Emile Mourey pour ces très intéressants renseignements.

            Je me permets de vous donner une information qui n’est plus immédiatement visible depuis que la (rivière) Saône est canalisée (XIXe siècle) : à l’étiage, qui dure longtemps, la Saône a un débit très bas (15-30m3/s) et se traversait donc autrefois à gué. Les crues, certes imposantes ( 2000m3/s chaque année, 3000 et plus en crues décennales ou centennales), ne causent que des dégâts prévisibles et aucun surprise ou danger aux personnes car étant longues et lentes elles laissent tout le temps de réagir.

            Il n’est donc pas nécessaire, du seul point de vue hydraulique, qu’une armée ait fait un pont pour traverser cette rivière.

            C’est le contraire pour le Rhône, dont le débit plus régulier en raison de sa triple alimentation (pluviale, nivale, glaciaire) n’est jamais bas, et dont la pente bien plus forte (IIRC 0.5m/km, 1m/km, 05m/km sur les 3 tiers entre Lyon et la Méditerrannée, encore plus sur le Haut-Rhône entre Genève et Lyon) rend les crues bien plus soudaines et rapides donc dangereuses.

            En gros, on peut donc voir en quelque sorte une rivière comme un endroit où il n’y a habituellement pas d’eau (c’est l’étiage), et où le ciel déverse tout-à-coup un grand seau (crue). La canalisation (barrages, écluses, dragages, digues latérales) transforme la rivière en un lac à l’étiage (pratiquement pas de débit), et en crue les barrages s’effacent pour laisser passer un débit bien trop élevé pour qu’ils y puissent quelque chose.

            Ce caractère est encore accentué pour la Saône, qui succède au Lac Bressan du Secondaire, et qui fonctionne encore un peu comme un lac. Sa pente est spécialement faible, et ses biefs spécialement long (IIRC l’un des biefs entre Dijon et Lyon fait 3m de haut sur 100km de long), sa largeur s’accroît beaucoup en crue (jusqu’à 5-7 km chaque année entre Châlon et Lyon)

            Note : j’ai dirigé (il y a bien longtemps, à l’époque de la construction des ponts Gal Koenig et Mal Juin, des écluses et barrages à grand gabarit Mer-du-Nord-Méditerrannée) l’arrondissement de Lyon du Service Navigation des Ponts et Chaussées (entre Genève, Dijon et Valence), et enseigné la Méca des Fluides à l’INSA de Lyon.

            Versailles, Fri 02 Jan 2015 20:25:00 +0100

            • JC_Lavau JC_Lavau 24 novembre 2016 10:48

              Il reste à réfuter l’analyse du texte latin par J. Quicherat, et le placement du portrait robot sur la carte par André Berthier, afin de réfuter la candidature de Chaux les Crotenay pour le siège de l’oppidum d’Alesia. Leur thèse me semble très forte, à moi qui ne suis pas spécialiste, ni plus latiniste.


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