Affaire Merah : tout, sauf un loup solitaire
Les documents déclassifiés par la DCRI et transmis au parquet l'indiquent clairement : Mohamed Merah, pour cette même DCRI était déjà jugé "dangereux" en 2009, avant même qu'il n'aille effectuer deux voyages en Afghanistan et au Pakistan. A partir de là, c'est simple : cette fameuse DCRI dirigée par un homme très proche de Nicolas Sarkozy ne pouvait ignorer les rapports alarmants de ses propres agents, et il ne reste plus qu'une seule solution : en avoir fait un informateur, voire un agitateur médiatique potentiel, ou alors c'est un sommet d'incompétence manifeste, qu'un simple carton retrouvé dans le box où Merah avait stocké l'une de ses voitures contenant des armes rend impossible : c'était celui d'un responsable de la sécurité présidentielle * ! Le pouvoir, en plus haut lieu, a bien laissé filer un homme dont la dangerosité était manifeste, connue et répertoriée depuis plus de 3 ans : il faisait partie d'un groupe d'islamistes dans lequel figurait son frère, qui, lui aussi, et tout aussi étrangement, a traversé les filets des différentes rafles menées contre ses milieux susceptibles de commettre des attentats. Depuis hier, les familles des victimes réclament fort justement la déclassification des rapports de la DGSE, pour qu'on sache ce qu'était allé chercher le jeune toulousain dans ses périples en pays bienveillants avec le terrorisme islamiste. Ils réclament aussi qu'on s'intéresse davantage au rôle tenu par Abdelkader Merah, retrouvé à plusieurs reprises en plein délit d'assistance aux intentions morbides de son jeune frère, sinon d'incitation.
Plus on en apprend sur le cas de Mohamed Merah et plus on se rapproche du sommet du pouvoir en place à l'époque, à savoir de Bernard Squarcini, très proche du président de l'époque. Les documents révélés montrent à l'évidence que quand bien même des policiers accumulaient les signaux d'alarme, leur responsable s'asseyait dessus : Bernard Squarcini, qui, bien qu'alerté à plusieurs reprises sur le cas de ce jeune en pleine dérive islamiste n'a pas bougé le petit doigt pour s'emparer de son cas. J'avais ici-même dès le début évoqué d'étranges relations entre Mohamed Merah et Bernard Squarcini : les documents produits hier à la justice par Manuel Valls enfoncent le clou dans le genre. Car au moment même où ses propre services claironnaient une menace d'attentat en France, sans citer le touousain, Merah était déjà connu des services de police pour s'être fait arrêter à des contrôles policiers, notamment au Perthus : à ce moment-là il fait, je le rappelle dans le go-fast. Rappelons qu' était en fait connu de la police depuis bien avant encore : "la section Étrangers et Minorité de la DCRG émet dès octobre 2006 une fiche “ S ” comme sûreté de l’État, à son nom, le désignant comme « membre de la mouvance islamiste, radicale, susceptible de voyager et de fournir une assistance logistique à des militants intégristes" vous avais-je déjà dit. Or Bernard Squarcini, le 10 septembre 2010, évoquait une menace fort précise sur le pays : celle d'un "desperado des banlieues qui passe à l'acte" ou celle de djihadistes, ces Français qui partent se former aux explosifs en Afghanistan, en Irak, au Yémen".
En 2009, le "desperado" est alors en prison, où il se rapproche de celui qui va devenir son beau-frère Sabir Essid (arrêté en 2006 en Syrie en compagnie de Thomas Barnouin) et aussi de son frère, islamiste connu, dont il s'était écarté à plusieurs reprises : le fameux Abdelkader, l'anguille des réseaux toulousains qui s'est toujours sorti des arrestations de ses confrères. Cela, on, le sait depuis grâce aux "fadettes" du téléphone de son frère : elles permettent d'enquiquiner les journalistes du Monde, sous Sarkozy, mais pas d'arrêter les islamistes les plus virulents !
Mais il n'a pas encore été formé en Afghanistan, il est vrai : il le sera en 2010, puis en 2011, pour coller exactement aux deux descriptions d'hyper-dangerosité données par celui qui était à l'époque chargé de bloquer en France l'extension de ces deux phénomènes : en somme, en 2010, Squarcini crie au loup alors qu'il a sous sa coupe un jeune louveteau en plein devenit jihadiste ! Mieux, il le fait étroitement surveiller, puisqu'entre "janvier et août 2011, on le filmera et l'observera même pendant 1200 heures" vous avais-je ici-même déjà précisé. On le filme, copieusement, mais on le laisse quitter le territoire pour un voyage qui le mène direct en Afghanistan puis au Pakistan dans des fiefs de poseurs de bombes et de kamikazes : avouez qu'il y a de quoi se poser des questions. Surtout que les hommes de Squarcini notent sur Merah à son retour en janvier 2011 que cela pose effectivement problème, mais leur chef n'en a cure, visiblement, comme le rappelle Le Parisien : " ce voyage dans une ville considérée comme un bastion de jihadistes "doit nous interpeller ", écrit la DCRI, qui se donne pour mission "d’approfondir l’environnement » amical et familial de Mohamed Merah, "un individu au lourd passé délinquant en phase de radicalisation".
On possède des vidéos de la personne, enregistrées chaque jour, on possède son nom son adresse, et on est incapable de le bloquer au guichet d'une compagnie d'aviation ? On possède même le numéro de son téléphone, puisque l'enquête a aussi montré que des agents de la DCRI n'ont eu de cesse de l'appeler à diverses reprises. On possède son nom, son adresse, on a son numéro de téléphone, mais on mettra 10 jours à le retrouver après qu'il ait commencé ses crimes alors qu'on a noté sa dangerosité potentielle ? De qui s'est-on moqué à Toulouse dès le premier assassinat ?
On a noté quelque part qu'il fallait surveiller sa famille, mais on ne retrouvera pas tout de suite le nom de sa mère comme se cachant derrière l'adresse Ip de l'ordinateur sur lequel le contact avec le malheureux vendeur de moto sera fait ? On ira même jusqu'à dire qu'on ignorait alors où il habitait, alors que l'administration pénitententiaire connaissait l'adresse de son immeuble ? On devait "approfondir l’environnement » amical et familial de Mohamed Merah", avait noté un fonctionnaire, et on a été incapable de se rapppeler de lui et de sa famille dès le premier crime commis sur un soldat français dans la ville même où il habitait ? Mais à quoi servent les ordinateurs de la salle blanche de la DCRI (à prévoir à l'avance les résultats des tapis de jeux installés au Cercle Wagram disent les fort mauvaises langues : "Marie-Claire Giacomini, mise en cause pour avoir distribué des enveloppes de liquide au personnel, c’est une amie de longue date de Bernard Squarcini, le puissant patron des services de renseignements (DCRI)" nous avait appris Paris-Match).
Le Monde résume ainsi les notes de la DCRI : "Le jeune homme, sorti de prison en août 2009 pour une série de délits, figure par exemple dans la note de 'suivi de la mouvance salafiste radicale toulousaine. En novembre 2010, une nouvelle note le décrit comme 'un membre d'une fratrie d'islamo-délinquants' et précise qu'il prend des cours de religion et de langue arabe, ce qui coïncide avec l'arrivée d'une 'nouvelle génération d'islamistes toulousains". C'est exactement le contraire de ce que nous avait dit Squarcini, pour qui il s'était "autoradicalisé" : pourquoi donc avoir autant menti sur le sujet, sinon pour ne pas avouer que tout le groupe toulousain repéré depuis longtemps était sous la coupe de la DCRI ? Les agents de Squarcini remettent à leur patron un dossier où la conclusion parle "d'islamo-délinquants", à savoir que l'on sait de quoi vit à l'époque Merah (ce qui n'est pas de ses salaires d'apprenti-carrossier !), à savoir de ces circuits en go-fast pour ramener de la coke d'Espagne, on sait qu'il s'est radicalisé religieusement, et on ne fait toujours rien ? Cela s'appelle comment, en langage policier ? La protection d'une source ?
Que penser en effet du même pas subtil distingo entre les personnes arrêtées en 2008, notamment ? "En 2008, dans le cadre de l’enquête, le nom d’Abdelkader Merah apparait. Mais l’homme est habile.« Un vrai salafiste, champion de la dissimulation » se souvient un enquêteur de la DST. Il est inquiété, placé en garde à vue, avec Mohammed, mais aucun des deux frères ne feront pas partie des 6 personnes condamnées à Paris, pour avoir été membre de cette filière baptisée filière Artigat. Sabri Essid lui se retrouve en prison. Et qui va demander des permis de visite pour venir le voir régulièrement ? Qui va lui amener de l’argent pour cantiner ? Mohammed Merah ! Dès 2008 donc, le lien « quasi-officiel » entre Mohammed Merah et une filière sérieuse de « fondus du Jihad » est établi…" insiste Frédéric Helbert.
Etabli, et même écrit noir sur blanc par les enquêteurs de la DCRI : "à l'automne 2011 Mohamed Merah projette un voyage au Pakistan et devient, selon une note une "cible privilégiée" de la DCRI. Elle l'interroge à son retour et relève, dans un rapport fin 2011, "un comportement inquiétant". Les enquêteurs font même part de "la double menace directe et indirecte des militants revenant des zones sensibles", dont Mohamed Merah. Indirecte car "ils peuvent susciter des vocations", et directe car "ils peuvent revenir avec pour instructions de créer des réseaux de soutien ou d'accueil logistiques ou de conduire des actions armées". "La DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la défense ndlr), est sensibilisée sur ce dossier Mohamed Merah", indique la note écrite trois mois avant les tueries qui ont coûté la vie à sept personnes." LE DPSD l'est ; certes, mais pas la DCRI... Trois mois avant, des personnes compétentes en matière de terrorisme ont mis sur le nom de Merah une étiquette de dangerosité maximale. Leur "cible privilégiée" viendra pourtant montrer quelques mois auparavant ses fameuses "photos de voyage" au Pakistan dans les locaux mêmes de la police, après avoir été contacté par la DCRI. Dans des endroits qui sont des fiefs évidents du jihadisme et du terrorisme, et on aurait crû à sa thèse de "voyage purement touristique" ? A moins d'être taxé de crétinisme, je ne vois pas comment un policier spécialisé aurait-pu avaler pareille couleuvre ! Il est impossible de croire à autant de bêtise : il ne reste que la thèse de l'étouffement de dossier. Il y est bien allé, mais il ne fallait pas que ça se sache. Pourquoi donc ? Dans sa désormais célèbre interview de Paris-Match, Nicolas Sarkozy ira même jusqu'à dire que Merah n'est jamais allé dans les centres d'entraînements jihadistes (**) : prononçant ainsi le même gros mensonge que Bernard Squarcini. Les deux avaient bien décidé de nous vendre un Merah à leur manière : celui du "loup solitaire", membre d'aucun réseau...(et donc non manipulable !) ce que les archives de la DCRI démentent sur toute la ligne. Pourquoi ont-ils autant tenu à mentir sur ces preuves accablantes ?
Les documents déclassifiés évoquent un individu extrêmement dangereux ? Réécoutons ce qu'à tenté de nous vendre l'ineffable ministre de l'intérieur du moment, pendant le déroulement des événements eux-mêmes : "la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) avait dressé « deux courtes listes de suspects potentiels dans les deux pistes principales retenues, celle de l'ultra-droite radicale et celle de l'islamisme radical dans la région Midi-Pyrénées ». Mohamed Merah« était suivi depuis plusieurs années par la DCRI et ses agents toulousains, mais jamais aucun élément de nature à (faire) penser qu'il préparait une action criminelle n'était apparu », a précisé ce mercredi le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant" nous avait appris RMC. C'est manifestement en complète contradiction avec ce qu'on a pu lire dans les documents découverts : à son retour de voyage, Merah avait "confirmé s’être rendu en Afghanistan et au Pakistan », et certainement pas pour en ramener des cartes postales : "ces déplacements constituent une « menace directe », souligne le rapport, « car les jeunes djihadistes peuvent revenir avec pour instruction de conduire des actions armées ». Glaçante prémonition" note le Parisien. Un employé de Squarcini subodore que Mohamed Merah peut du jour au lendemain passer à l'acte en France, avec une "action armée" possible sinon... probable... et on ne fait rien pour l'en empêcher ? Qui des deux à le plus menti, en ce cas ? Squarcini, ou Guéant ? D'un côté, c'était un "islamo-délinquant", pour les inspecteurs de la DCRI... et pour le ministre de l'intérieur un individu ne présentant aucun danger immédiat ! Voilà bien pourquoi le commentaire du Parisien du jour est amplement justifié : "accablant et dérangeant" note d'entrée le journal : accablant pour au moins les deux personnes citées, et leur proximité avec le chef de l'Etat... la manipulation du candidat au jihad sur le territoire français apparaît en filigrane à la lecture des 23 pages de documents versés à l'enquête : via l'infiltration du réseau dont il faisait partie. C'est bien pour cela qu'ils nous ont martelé la thèse impensable du "loup solitaire" : un gars de cette espèce par définition est incontrôlable, alors qu'un membre d'un réseau, qui obéit à des ordres ou des injonctions de supérieurs, l'est. Et ce réseau est bien celui des "fameuses" filières syriennes. "Mohamed Merah, l'auteur des meurtres de Montauban et Toulouse, n'appartenait à aucun réseau et son passage à l'acte "relève davantage d'un problème médical et de fanatisme que d'un simple parcours djihadiste", estime le patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) dans une interview publiée vendredi dans Le Monde" avait-on pu lire à l'époque : or, aujourd'hui, les 23 pages versées au dossier affirment visiblement tout le contraire !
Cette filiation syrienne a en effet toujours été active, et l'est restée jusqu'aux attentats commis par Merah : "de décembre 2011 à février 2012, Mohammed Mérah est dans la phase finale de sa préparation opérationnelle : C’est alors qu’il va se mettre à appeler sans cesse Sabri Essid, l’ancien candidat au Jihad, devenu une « référence ». Il appelle aussi alors Olivier Corel, « l’émir blanc », le chef spirituel, vivant reclus dans sa maison d’Artigat, jamais arrêté, ni condamné. Un témoin sérieux, dira aux policiers, après la tuerie, qu’il a vu ensemble Abdelkader et Mohammed Merah venir voir « l’émir blanc » quelques jours avant le début des tueries…" précise Frédéric Helbert. Le jeune déboussolé toulousain est revenu de deux expéditions en territoire jihadiste, comme d'autres écervelés on fait avant lui (dont l'allemand Breininger), il ne cesse d'appeler son demi-frère qui a fait de la prison pour extrémisme, ou son frère dont on connaît les liens avec les milieux jihadistes... et rien ne se fait ?
Une filière qu'un juge plutôt porté sur l'UMP, pourtant (il s'est présenté à une élection sous cette étiquette), avait décrit en détail dans son livre : "Un Brugière qui trois ans avant la filière toulousaine, a relevé le passage par la Syrie : "Les engagements pour l'Irak, à cette période, sont souvent individuels, comme ce fut le cas pour Muriel Degauque jeune Belge convertie, tuée en Irak lors d'une opération suicide en décembre 2005. Nombre de ces nouvelles recrues, fraîchement converties au djihad, sont inconnues des services de renseignements européens, ce qui rend leur identification particulièrement difficile Au début, Benyettou s'appuie sur un jeune Algérien Hakim Boubakeur (Boubaker el-Hakim) qui se rend en Irak fin 2002. II fait plusieurs allers retours, passe d'abord par Damas, va en Irak et revient en France au début mars. On le retrouve le 15 mars en Irak, où il assiste à la chute de Bagdad. Fin 2004, il retourne en Syrie où il est arrêté avant d'être expulsé vers la France et mis en examen du chef d'association de malfaiteurs terroristes et incarcéré. Boubakeur est plus que le principal soutien de Benyettou, il est le coordinateur du réseau dans la zone syro-pakistanaise. Il organise depuis Damas, le passage de ses camarades en Irak. Dans la précipitation du départ, ce rôle sera d'abord joué par un mineur de quatorze ans, endoctriné par Benyettou. Envoyé à Damas il doit accueillir les premiers membres du groupe du 19e arrondissement et les diriger vers des passeurs pour franchir clandestinement la frontière syro-irakienne, Hakim Boubakeur prendra le relais. Il les accueillera dans son appartement de Damas avant de les diriger sur les réseaux de Zarkaoui." La filière syrienne existe bel et bien avant 2007 !!! La DST, bien plus efficace que la DRCI a-t-elle depuis été mise sous l'éteignoir par le "Squale" ? Le 14 mai 2005, Boubaker a été condamné à une peine de sept ans ferme, assortis d'une période de sûreté des deux tiers : ce qui signifie en clair qu'il est à nouveau libre... de reprendre des contacts avec cette fameuse filière... à noter aussi sur le thème du laxisme qu'un autre jihadiste, Saïd Arif, condamné en 2007 à Paris, à dix ans de prison pour son appartenance aux filières islamistes tchétchènes (et libéré à mi-peine en 2012) avait lui réussi à fausser compagnie aux policiers alors qu'il était assigné à résidence à Millau (il ne voulait pas être exradé en Algérie), pour aller se réfugier en... Suède, où il avait à nouveau été arrêté : il avait pris 6 mois ferme.

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