Après Tchernobyl et Fukushima, ...
C'est devenu le mantra anti-nucléaire par excellence. Comparaison n'est pas raison dit-on, et c'est particulièrement vrai concernant ces deux événements. S'il est tout à fait légitime de s'inquiéter des effets sur la santé et l’environnement de l'industrie nucléaire, la pratique consistant à entretenir la confusion, trop répandue chez les militants anti-nucléaires, reste inacceptable. Tout comme celle consistant à mobiliser l'émotion, surtout la peur. La question du nucléaire est éminemment technique, et celle de l'énergie hautement stratégique, en ces temps de raréfaction de l'énergie fossile. Ainsi, il convient de rétablir les faits concernant les deux accidents emblématiques du nucléaire civil.
L'accident de Tchernobyl est la pire catastrophe du nucléaire civil jamais survenue. Mais il faut se garder de jeter le bébé avec l'eau du bain. Si elle nous enseigne quelque chose, c'est avant tout l'état de dérive de la bureaucratie soviétique, qui a décidé la construction du type particulier de réacteur qui équipait la centrale. Il est rigoureusement impossible qu'un accident similaire se produise avec les réacteurs du parc électronucléaire mondial, hors de la Russie, qui continue à ce jour l'exploitation de ces infâmes réacteurs RBMK. Ces réacteurs, dits « à tubes de force » sont d'une technologie radicalement différente du reste du parc mondial, partagé entre réacteurs à eau pressurisée et à eau bouillante. Ils violent à peu près toutes les règles de sécurité fondamentales qui ont prévalu à la conception des réacteurs occidentaux.
Sans rentrer dans trop de détails, les tares du RBMK sont multiples. L'utilisation du graphite comme modérateur de neutrons, en lieu et place de l'eau dans nos centrales, a été un facteur majeur de la catastrophe, nous y reviendrons. Ces réacteurs sont fondamentalement instables, il est très difficile de les piloter. Ils ne disposent pas d'enceinte de confinement, et leur tuyauterie est d'une complexité délirante. Cerise sur le gâteau, ils ont ce qu'on appelle un « coefficient positif de température », c'est-à-dire que plus ils chauffent, plus les réactions nucléaires augmentent, et donc plus le réacteur chauffe : ils sont susceptibles d'emballement thermique. Les réacteurs occidentaux ont été conçus autour du principe inverse, un coefficient négatif de température. Enfin, tandis que leur concept même était une folie, ils ont été mal réalisés. Le principal instrument de sécurité d'un réacteur, les barres de contrôle, servant à stopper les réactions nucléaires, avaient sur les RBMK des défauts de conception majeurs. Paradoxalement, c'est ce dispositif de sécurité, mal conçu, qui entraînera la catastrophe de Tchernobyl.
Le RBMK soviétique, à comparer avec un réacteur standard à eau pressurisée, sur l'image suivante.
Pourquoi les soviétiques ont-ils fabriqué ces horreurs ? C'est d'abord le produit des aberrations de leur système bureaucratique. Ensuite, le RBMK est un réacteur de pauvre. Sur le plan économique, il a de nombreux avantages. Quand bien même il est complexe, il n'utilise pas de pièces difficiles et coûteuses à fabriquer, il n'y a pas de cuve sous pression, pas d'enceinte de confinement. Le combustible qu'il utilise est plus faiblement enrichi que celui de nos réacteurs, c'est un facteur d'économie important dans l'exploitation d'une centrale, l'enrichissement étant une opération coûteuse. Il permet une exploitation sans interruption, l'absence de cuve pressurisée fait qu'on peut remplacer les barres de combustible individuellement, sans avoir à refroidir l'ensemble du réacteur, à le stopper. Enfin, ces réacteurs sont dits « plutonigènes », c'est-à-dire qu'on peut y produire industriellement du plutonium, à des fins d'armement nucléaire, en parallèle de la génération d'électricité.
L'accident lui-même a déjà été maintes fois décrit. Il est dû à l'intersection de plusieurs facteurs, dont le principal reste la technologie spécifique RBMK, ainsi que d'une série d'erreurs humaines. L'isolement et la politique de secret de l'URSS ont privé les opérateurs soviétiques de l'expérience de la communauté des techniciens du nucléaire, les défauts de conception ont fait le reste. Alors qu'il s'agissait de conduire un exercice de sécurité, les opérateurs de Tchernobyl ont accumulé les erreurs. Constatant une perte de puissance, due à ce qu'on appelle un empoisonnement au xénon, gaz à faible durée de vie issu de la fission, grand absorbeur de neutrons, ils ont rétracté toutes les barres de contrôles qui modèrent les réactions nucléaires pour tenter de redémarrer le réacteur. Le xénon absorbant se désintégrant, l'opérateur constatât une augmentation de puissance rapide, et décidât d'activer l'arrêt d'urgence du réacteur, c'est-à-dire l'abaissement de l'ensemble des barres de contrôle. Malheureusement, les défauts de conception de celles-ci firent que le réacteur s’emballât en une fraction de seconde.
Le bouton d'arrêt d'urgence du réacteur, dont l'activation a entraîné la catastrophe.
C'est l'origine de l'explosion, unique en son genre. D'une puissance nominale de 1000 MW, le réacteur a produit, probablement, entre 100 et 300 fois plus de puissance en quelques millisecondes. Le graphite modérateur est le premier coupable de cette réaction. Le réacteur a explosé sous l'intense dégagement de chaleur et de gaz. La dalle de béton et d'acier de 1200 tonnes qui le recouvrait a été projetée en l'air à des dizaines de mètres, puis est retombée dessus.
Etat de la centrale après l'explosion.
Une quantité gigantesque de particules a été projetée dans l'atmosphère. Contrairement aux autres accidents où il y a eu relâchement de matière radioactive dans la nature, il ne s'agissait pas uniquement des produits de fission, majoritairement le césium et l'iode, mais de l'ensemble des éléments présents dans le réacteur, uranium, plutonium etc. Un violent incendie à suivi l'explosion, alimenté par le graphite du réacteur. Celui-ci a créé une deuxième vague de dissémination de particules, plus fines et volatiles. A proximité du site, les particules de plutonium retrouvées étaient de taille relativement importante, limitant leur pénétration dans les sols. A l'inverse, celles générées par l'incendie étaient très fines et ont parcouru des distances considérables.
Carte de la dissémination de césium radioactif suite à l'explosion puis l'incendie de Tchernobyl. La Biélorussie a été le pays le plus touché.
Tchernobyl reste un accident unique, provoqué par une technologie dangereuse qui n'existe pas en dehors de la Russie. Contrairement à la croyance populaire, l'accident de Fukushima n'a rien de similaire, ni dans ses causes, ni dans ses conséquences, c'est ce que nous allons détailler maintenant.
Il convient tout d'abord de rappeler que l'accident a fait suite à un tremblement de terre majeur, suivi d'un raz-de-marée qui a ravagé toute la côte Nord-Est du Japon, causant plus de 18 000 morts, ainsi que des destructions considérables. C'est cet événement exceptionnel qui a entraîné l'accident de la centrale de Fukushima, ainsi que certaines négligences de la part des opérateurs de la centrale et du gouvernement.
Contrairement à la France, le parc nucléaire japonais est complexe, il y coexiste de nombreux types de réacteurs différents. D'autre part, ils sont opérés par des exploitants privés et distincts. Il n'existait pas d'autorité de sûreté indépendante. L'exploitant de Fukushima n'a pas jugé nécessaire de renforcer la protection de la centrale, contrairement à celui de la centrale d'Onagawa, qui, bien qu'elle fût plus proche de l'épicentre du séisme, n'a pas connu d'incident majeur. Et il n'existait aucune autorité pour l'y obliger.
Carte des centrales nucléaires japonaises.
La centrale elle-même avait les tares du parc japonais : plusieurs versions du même type de réacteur, avec des systèmes différents, ce qui complexifiera grandement les opérations de sauvetage. Lors du tremblement de terre, les systèmes de sécurité automatiques des réacteurs ont fonctionné correctement. Les barres de contrôle des réacteurs se sont abaissées pour les stopper. Cependant, même en position d'arrêt, les réacteurs dégagent toujours une chaleur considérable pendant plusieurs jours, c'est ce qu'on nomme la « puissance résiduelle », qui est de l'ordre de plusieurs dizaines de Mégas watts. Ceci nécessite de maintenir le refroidissement du réacteur par circulation d'eau, à l'aide de pompes.
L'accident a véritablement commencé avec la destruction du réseau électrique dûe au tsunami. Les générateurs de secours, qui devaient alimenter les pompes de refroidissement ont été noyés. Ils avaient été placés au fond des bâtiments, pour des raisons de normes anti-sismiques. Les réacteurs disposaient cependant de systèmes de refroidissement passifs, ne nécessitant pas d'alimentation électrique. Ces systèmes, bien qu'insuffisants, ont grandement limité les conséquences de l'accident, en offrant un précieux délai qui a permis d'évacuer les populations avant que les réacteurs deviennent incontrôlables.
Les opérateurs japonais n'ont pas été en mesure d'éviter la fusion des cœurs, malgré un dévouement et une ingéniosité remarquables. Ils ont rencontré plusieurs problèmes : d'abord le manque de formation du personnel. La documentation technique des réacteurs avait été informatisée, et, en l'absence d'électricité, les techniciens ont été contraints de rechercher parmi les dizaines de milliers de pages des notices techniques papier pour retrouver les informations nécessaires à l'opération de sauvetage. Ensuite, ils n'ont pas eu accès au matériel nécessaire pour conduire ces opérations. Rien n'avait été prévu, en carburant, pompes auxiliaires, batteries, et autres systèmes de secours. La dévastation causée par le tsunami n'a pas permis de trouver ces matériels dans l'industrie locale.
En l'absence d'informations fiables des systèmes de contrôle, une série d'erreurs humaines ont été commises, bien excusables cependant. Les opérateurs ont mal évalué la condition des réacteurs, et n'ont pas priorisé les opérations de sauvetage correctement. Disons-le clairement, ils ont malgré tout eu beaucoup de chance. Il y a eu deux types de relâchements de matières radioactives dans l'environnement : des fuites modérées provoquées par la pression excessive dans les réacteurs, et des relâchements volontaires. Les vents ont été favorables, dans l'ensemble, les matières radioactives ont été dirigées vers la mer. D'autre part, ces relâchements ont été sporadiques et étalés dans le temps.
Ces émissions de matière radioactive ont été essentiellement des produits de fission, césium et iode. La durée de vie de l'iode est faible (période de 8 jours), et n'aura pas de conséquences : l'alimentation très iodée des japonais (algues en particulier) fait que leur thyroïde, l'organe qui fixe cet élément, est généralement saturée. Le césium est plus problématique, sa période radioactive (improprement appelée demi-vie) est de 30 ans. Cependant, il ne pénètre que très peu dans les sols, et n'est pas absorbé par les plantes, hormis les champignons. Les cultivateurs de riz de la région continuent de vendre leurs récoltes, et rassurent les consommateurs en disant : c'est le riz le plus contrôlé de la planète. Quant aux rejets en mer, le facteur de dilution de l'océan pourvoit. Les poissons ne sont pas touchés, le césium se déposant sur les fonds. Seuls les crustacés, dans un périmètre restreint, doivent être considérés avec prudence. Il est tout à fait possible de les tester pour s'assurer de leur innocuité, et le gouvernement japonais fournit le matériel nécessaire.
Les rejets de matière radioactive ne dépassent pas quelques dizaines de kilomètres.
Il n'y a aucune similitude entre les rejets de Fukushima et ceux de Tchernobyl. Ni en quantité, ni en qualité. Tout le monde a été choqué par les images des explosions survenues dans les bâtiments réacteurs de la centrale japonaise. En aucun cas, il ne s'agissait d'explosion des réacteurs, qui auraient eu des conséquences dramatiques. C'est un phénomène connu, lors de l'échauffement excessif des réacteurs : passé une certaine température, les gaines des barres de combustible, en zirconium, réagissent chimiquement avec l'eau et produisent de l'hydrogène. Il est extrêmement difficile de confiner cet élément, le plus petit de la nature. L'hydrogène s'est accumulé entre l'enceinte de confinement et les toitures légères des bâtiments. C'est un gaz explosif, et c'est lui qui a explosé à Fukushima. Malgré la violence des explosions, les enceintes de confinent des réacteurs n'ont pas été éventrés. Le toit du bâtiment du réacteur N°4, à l'arrêt complet, et sans combustible chargé, à lui aussi explosé. Une conduite de ventilation le reliait aux autres bâtiments, et l'hydrogène s'y est aussi accumulé, avant d'exploser.
C'est uniquement la structure légère du toit des bâtiments réacteurs qui a explosé, à cause de l'accumulation d'hydrogène.
Dix ans plus tard, le gouvernement japonais a décidé de redémarrer l'exploitation de ses centrales.
Tout n'est pas rose pour autant dans l'industrie nucléaire. Omerta, rejets sauvages, et absence volontaire d'études épidémiologiques font que nous restons dans l'obscurité quant aux vraies conséquences de l'exploitation de cette énergie. Cependant, c'est le cas d'à peu près toutes les industries. Diesel, paraben, amiante, aluminium, titane et aujourd'hui graphène, la liste est longue... A suivre...
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