Avec Chevènement, Ségolène trahit-elle la politique européenne de la France ?

Le Lion de Belfort renonce. Mais joue toujours les coqs gaulois... europhobes, avec un PS euro-hésitant !

C’est un événement dont il ne faut pas sous-estimer l’importance. Pour les présidentielles. Pour les rapports de forces au sein de la gauche. Et surtout, en cas de victoire de Ségolène, pour après. Pour la France et, surtout, pour l’Europe.
Il suffit de lire le dernier livre de Chevènement, La faute de M. Monnet, les derniers discours de JPC et de surfer sur son site pour voir que ses orientations européennes sont aux antipodes, sur bien des points, de celles des plus européens des socialistes, et de la grande majorité des socialistes européens.
Trois remarques et trois questions-clefs :
1- Ce n’est pas la « méthode de Jean Monnet » qui est à l’origine de la panne actuelle de l’Europe. C’est parce que nos dirigeants actuels se sont trop écartés de l’esprit, des méthodes et des stratégies des « pères de l’Europe », que Chevènement dénonce avec une myopie difficilement corrigible.
Non, l’Europe ne s’est pas construite contre les nations, amies pour garantir la paix entre des nations respectueuses les unes des autres, unies dans le respect de leur diversité et de leurs spécificités.
Non, l’Union européenne ne sacrifie pas les souverainetés nationales, mais elle doit permettre de garantir une souveraineté partagée mais réelle, effective.
Non, la construction d’une Europe politique n’efface pas les frontières, mais les dépasse, les transcende afin de dégager une « nouvelle frontière » pour reprendre, en l’adaptant, une formule de Kennedy, des horizons d’avenir.
Dans ces conditions, le PS va-t-il rester fidèle à la vision communautaire de l’Union européenne qu’il a toujours eue, ou va-t-il en revenir à une conception intergouvernementale (celle du Conseil de l’Europe) que Chevènement porte à bout de bras en en oubliant toutes les limites ?

2- Ce n’est pas le « trop » d’Europe qui crée problèmes : c’est l’insuffisance d’Europe, c’est l’inachèvement de la construction d’une Europe politique, c’est le fait qu’au plus haut niveau des Etats et des gouvernements (surtout en France) on considère trop « l’Europe » comme une affaire « étrangère » et pas assez comme une « affaire intérieure ». Le « déficit » européen est plus pédagogique que démocratique... et les premiers responsables en sont les dirigeants politiques et les médias.
L’Europe « concrète », oui. L’Europe « des projets », oui. L’Europe « des gens », oui. L’Europe « par la preuve », oui. L’Europe « sociale », oui. L’Europe qui puisse se défendre contre les effets pervers de la « mondialisation » et tirer parti de ses effets bénéfiques (tant sous-estimés) , oui. L’Europe de la recherche, de l’éducation, de l’énergie et de l’innovation, oui.
Mais ces figures-là de l’Europe ne font qu’une. D’où l’impérative nécessité de « constituer » cette union, de la doter d’institutions « politiques » nouvelles et d’instaurer un état d’esprit nouveau qui cesse de faire de l’Europe un bouc émissaire trop facile. D’où aussi la nécessité de doter cette union de budgets plus consistants et non plafonnés bêtement. Suicidairement.
Cette Europe politique est indispensable pour rapprocher l’Union de ses citoyens et pour mener des actions motrices : diplomatie, défense, stratégie, industrie, progrès social, immigration, justice.
Dans ce contexte, le PS allié à Chevènement va-t-il, comme Badinter, Delors, Guigou et d’autres le souhaitent, agir pour une Europe politique et une Europe de la Justice (promise sous le septennat de Giscard), qui reste à faire ? Ou va-t-il, au nom d’un souverainisme mal compris, s’arc-bouter sur des fonctions régaliennes mal assumées, d’une façon archaïque, plus nostalgique que porteur d’espérance ?
3- L’Allemagne obsède toujours Chevènement. Le Lion fait toujours face à la « frontière » qui est toujours, pour lui, une « ligne de front ». Le complexe de Denfert-Rochereau !

Je cite l’une des dernières prestations de cet archéonationaliste qui ne comprend toujours pas les « Germains », nos cousins : « Le vrai problème, c’est l’Allemagne de Mme Merkel. Il nous faudra gagner l’Allemagne à une conception qui privilégie la croissance interne en Allemagne et en Europe plutôt que le développement de ses exportations hors d’Europe. L’Allemagne réalise 70 % de ses exportations vers l’Europe au sens large, y compris la Russie, et son PIB est le tiers du PIB européen.

Cette réorientation européenne irait dans le sens des intérêts du monde du travail en Allemagne même, où il existe plus de quatre millions de chômeurs mais elle ne correspond pas à la politique actuelle du gouvernement Merkel qui prévoit une hausse de trois points de la TVA et une baisse à 30 % de l’impôt sur les sociétés.
C’est cet iceberg à l’horizon que les dirigeants du Titanic socialiste ne voient pas. Cette politique de Mme Merkel est celle des milieux dirigeants de l’industrie et de la banque. Elle ne répond pas aux intérêts du monde du travail ni de l’Allemagne elle-même.
Mais elle peut être infléchie : il faudra faire prendre conscience à l’opinion publique allemande de la nécessité d’un changement de cap « européen », de nouvelles règles du jeu, plus équitables dans le commerce international. Ce sera une de nos tâches, la plus décisive peut-être. »
Un Gaulois donneur de leçons à un pays qui a su faire et sait faire des réformes qu’il est incapable de faire ! Un état d’esprit qui est à l’opposé de celui qui a animé Schuman, Mendès, de Gaulle, Giscard, Mitterrand, Chirac...
Le PS saura-t-il renouer avec l’esprit de concertation permanente, de dialogue constant, d’amitié authentique avec l’Allemagne qui était pratiqué par Mitterrand et Kohl, ou cèdera-t-il aux cantiques passéistes du Lion de Belfort ?

Questions de fond...
A court terme, en échange d’une dizaine d’investitures aux législatives, le PS et Ségolène Royal font une bonne opération. Jospin n’a-t-il pas mis son échec de 2002 sur le dos de Chevènement et des 5,33% de suffrages réunis sur son nom ? Mais à plus long terme, cet « accord » est dangereux, chargé d’ambiguïtés.
Il est vrai que tout parti à vocation majoritaire est fatalement hétéroclite...
La droite de Sarkozy aussi a ses « souverainistes anti-européens », même si Pasqua est hors course et Seguin sur la touche.
Mais dans la situation actuelle, ne faut-il pas sur l’Europe avoir une ligne claire ?
La prise en compte de la victoire des non au référendum sur le traité instituant une constitution pour l’Union (qui fait croupir l’Europe dans la pire des crises depuis 1957 et qui la menace dans son existence même), ne doit pas exclure la clarté des idées, des ambitions, des objectifs.
Qu’en pensent les radicaux dits de « gauche », ralliés eux aussi à Ségolène en échange de quelques sièges à l’assemblée future ? Qu’en pensent les socialistes pro-européens ?

Une seule certitude : sur l’Europe, le seul qui soit clair, c’est François Bayrou. C’est le seul, en l’état, qui puisse « déverrouiller l’avenir » en débloquant le présent. Je ne juge pas, en l’occurrence, l’homme, mais le programme et la cohérence de ses propos.
Daniel RIOT
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