Bac Philo 2021, voie générale, explication d’un texte de Durkheim
L'auteur : David Émile Durkheim, né le 15 avril 1858 à Épinal et mort le 15 novembre 1917 à Paris, est un sociologue français considéré comme l'un des fondateurs de la sociologie moderne.
La thèse de Durkheim est que les certains faits s'imposent à nous "de l'extérieur", qu'ils sont d'abord "objectifs" avant d'être "subjectifs", c'est-à-dire intériorisés. Durkheim donne l'exemple de réalités sociales objectives : la religion, le langage, la monnaie, les instruments de crédit, les pratiques professionnelles.
Durkheim commence par distinguer le droit et les mœurs. Le droit définit les obligation "objectives" des individus dans un système de lois, les mœurs sont des manières habituelles d'agir qui peuvent de référer au droit, mais de manière souvent imparfaite : "il arrive que nous ignorions le détail des obligations qui nous incombent et que, pour les connaître, il nous faille consulter le Code et ses interprètes autorisés !"
"Quand je m'acquitte de ma tâche de frère, d'époux ou de citoyen, quand j'exécute les engagements que j'ai contractés, je remplis des devoirs qui sont définis, en dehors de moi et de mes actes, dans le droit et dans les mœurs" : l'expression importante est "en dehors de moi".
"En dehors de moi" est synonyme "d'objectives". "Objectives" est le contraire de "subjectives". Les obligations sociales sont objectives, c'est-à-dire qu'elles s'imposent à moi, qu'elles existent en dehors de moi, ce n'est pas moi qui les ai faites, mais elles m'ont été transmises par mes parents, mes éducateurs, la société, je les ai reçues par l'éducation. Comme le montre l'exemple des enfants sauvages, l'homme n'est pas un animal social dès sa naissance, il le devient, grâce à l'interaction avec autrui.
Les obligations sont objectives avant d'être subjectives, collectives avant d'être individuelles. Elles s'imposent à moi en tant qu'individu. Ensuite, mais seulement ensuite, elles deviennent "subjectives", elles sont d'accord avec mes sentiments propres et j'en sens intérieurement la réalité.
Approfondissons l'exemple du langage. Le langage est la faculté humaine de s'exprimer au moyen de signes. Cette faculté caractérise toute forme de communication humaine. Elle se caractérise par la double articulation monème/phonème. On distingue le langage proprement dit qui est la faculté de parler, la langue qui est un ensemble de signes, de mots, de règles de grammaire et de syntaxe utilisés par une communauté humaine pour communiquer et la parole qui est l'expression individuelle de la langue en tant qu'utilisation concrète des signes linguistiques dans un contexte précis.
Lorsque je parle, je n'invente pas (ou rarement, ou à des fins ludiques) les mots dont je me sers, la manière de les disposer, les règles de grammaire. Je les trouve déjà là, en dehors de moi et une partie de l'éducation d'un enfant (infans veut dire qui ne parle pas) consiste à lui apprendre ces mots et le bon usage de la langue (on ne dit pas aller au docteur, mais chez le docteur, par exemple). Parfois, même une fois devenus adultes, nous sommes obligés de consulter le dictionnaire pour vérifier le sens d'un mot, comme nous consultons le "Code et ses interprètes autorisés" pour connaître le détail des obligations qui nous incombent.
Note : La linguistique est une discipline scientifique s’intéressant à l’étude du langage. La linguistique prescriptive correspond à la norme, c'est-à-dire ce qui est jugé correct linguistiquement par les grammairiens : on ne doit pas dire : "je vais au docteur" mais "je vais chez le docteur". À l'inverse, la linguistique descriptive se contente de décrire la langue telle qu'elle est et non telle qu'elle devrait être.
De même, il n'y a pas d'expression "spontanée" de la foi. Le croyant, quelle que soit sa religion, est d'abord élevé dans telle ou telle religion. Il en apprend les gestes, la liturgie, les textes fondateurs. Si je n'ai jamais entendu parler de l'Evangile, il n'y a aucune chance que je devienne "spontanément" chrétien. Il faut un apprentissage, une transmission dans le temps, une communauté de croyants qui partagent une foi et des pratiques communes.
La religion, comme le langage, la monnaie, les pratiques professionnelles existaient avant moi et si elles existaient avant moi, c'est qu'elles existaient en dehors de moi. En d'autres termes, ce n'est pas moi qui les ai inventés. Ce sont des "faits sociaux", ils s'imposent à l'individu et on doit les étudier en tant que tels.
Durkheim essaie de dégager la spécificité des faits sociaux afin de définir cette nouvelle science qu'il entend fonder : la sociologie. Pour devenir une science, la sociologie doit répondre à deux conditions : elle doit d'abord avoir un objet spécifique qui la distingue des autres sciences : le fait social. La sociologie est l'étude du fait social ; d'autre part, elle doit mettre en œuvre une méthode scientifique rigoureuse, objective, qui se rapproche le plus possible des sciences exactes, comme la biologie, de manière à se détacher le plus possible des préjugés, de la subjectivité produite par l'expérience ordinaire ; elle se devra d'étudier les faits sociaux comme des choses. Elle s'intéresse aux phénomènes collectifs et non aux exceptions individuelles, aux réalités objectives et non aux variantes subjectives.
C'est la raison pour laquelle Durkheim s'applique à détacher les faits sociaux de la subjectivité des acteurs. Si les obligations familiales, les croyances religieuses, la monnaie, le langage, les pratiques professionnelles dépendaient de la fantaisie des individus, si tout le monde pouvait décider par exemple de payer en coquillages plutôt qu'en euros, dans une société où c'est la norme de payer en euros et non en coquillages, de ne pas rembourser impunément ses dettes, d'inventer des mots qui n'existent pas dans la langue, il ne pourrait pas y avoir de sociologie. La sociologie suppose qu'il existe des normes nécessaires, universelles et objectives et éventuellement des exceptions à ces normes et non des phénomènes totalement contingents et arbitraires.
Lewis Caroll a évoqué une telle société dans Alice au pays de Merveilles, mais il n'a réussi qu'à décrire des exceptions amusantes (ou effrayantes) car le lecteur se réfère constamment à une norme de comportement admis (les reines de cœur ne font pas couper la tête des gens qui leur déplaisent, les lapins ne prennent pas le thé, les petites filles ne rétrécissent pas à volonté). Le monde d'Alice aux pays des Merveilles règnent le paradoxe, l'absurde et le bizarre, étranger aux lois de la sociologie.
La nécessité de fonder la sociologie comme une science aussi rigoureuse que la biologie nécessite de la définir comme l'étude des faits sociaux objectifs et collectifs, d'étudier des manières d'agir et de penser qui existent "en dehors des consciences individuelles".
Le social existe indépendamment de la conscience que nous en avons. Le fait social est donc un fait extérieur à la volonté des individus et irréductible à une étude individuelle. La sociologie est une discipline autonome, distincte de la psychologie.
Il y a donc d'abord des règles universelles, objectives, en dehors de moi et des actes, des manières d'agir et de penser subjectives, mais ces manières d'agir, de penser et de sentir présentent une "remarquable propriété" : elles existent en dehors des consciences individuelles.
Note : Le Suicide, publié en 1897, est une étude sociologique empirique où Émile Durkheim met en œuvre les principes méthodologiques qu'il a préalablement définis dans Les Règles de la méthode sociologique. Dans cet ouvrage, il défend l'idée selon laquelle le suicide est un fait social à part entière – il exerce sur les individus un pouvoir coercitif et extérieur – et, à ce titre, peut être analysé par la sociologie. Ce phénomène, dont on pourrait penser de prime abord qu'il est déterminé par des raisons relevant de l'intime, du psychologique, est également éclairé par des causes sociales, des déterminants sociaux. La statistique montre en effet que le suicide est un phénomène social normal : il est un phénomène régulier que l'on retrouve dans la plupart des sociétés et, au sein de chaque société, les taux de suicide évoluent relativement peu. "Ce qu'expriment ces données statistiques, c'est la tendance au suicide dont chaque société est collectivement affligée". (source : wikipedia)
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