Beaucoup de révoltés, si peu de syndiqués
Pourquoi le CNE est-il passé comme une fleur tandis que le CPE mobilise à front forcé les organisations syndicales ?
Trop contents d’occuper le devant de la scène politique, sociale et médiatique, les patrons des grandes et petites centrales syndicales continuent de se garder d’évoquer la pauvreté en nombre de leurs troupes et leur poids plume en terme de représentativité, qui resteront leur apanage, à moins d’un raz de marée de syndicalisation, quand enfin, la rue un peu calmée, elles iront s’asseoir à la table des négociations. Ils se gardent encore plus de dire combien l’argent de l’Etat, des collectivités territoriales et des fonds européens (intérêt général oblige) leur est nécessaire pour survivre et continuer de fonctionner, tant les cotisations des adhérents tardent à leur offrir leur efficacité et leur indépendance.
Et pourtant, quel dommage, quelle urgence ! « Les salariés en France ne sont pas assez syndiqués », s’attendrait-on à entendre répéter, marteler, qui de François Chérèque, qui de Bernard Thibault, heureuses têtes d’affiches du moment sur les plateaux de télé et de radio. « Je lance un appel à tous les étudiants et salariés ! Rejoignez les rangs du syndicalisme pour faire entendre votre voix, pour peser concrètement dans la société et le monde du travail et faire valoir vos revendications face au patronat et aux partis politiques ». Que nenni. L’heure n’est pas à l’appel à la seule lutte sociale, démocratique et véritablement efficace : celle du syndicalisme indépendant, fonctionnant avant tout avec la contribution et le soutien massif de ses adhérents. Mais, alors, quand sera-t-il l’heure ?
Cancres syndicaux.
Ne sommes-nous pourtant pas les derniers de la classe syndicale européenne ? A peine plus de 8 % des salariés en France adhèrent à un syndicat, dont
5 % sont issus des fonctions publiques. Pour les 3 % restants, il s’agit majoritairement de salariés travaillant dans des grandes entreprises. Et encore, bon nombre de ces adhérents, secteurs public et privé confondus, sont-ils des militants actifs avec détachement syndical à la clé.
Pourquoi donc, le contrat nouvelle embauche (CNE), qui exactement de la même manière que le très décrié CPE, met à mal le Code du travail, la sécurité et la santé des salariés, est-il en définitive presque passé comme une lettre à la poste ?
Rappelons qu’il est en vigueur par voie d’ordonnance depuis le 2 août 2005 et commence à grossir les troupes des quelque 215 000 justiciables patientant chaque année à la porte des tribunaux prud’homaux.
Le désert syndical de 84 % de nos entreprises.
Pourquoi le CNE n’a-t-il pas vu, lui aussi, se déverser dans les villes de France le peuple étudiant et salarié ? Une raison au moins. Parce que le CNE ne regarde que les entreprises de moins de 20 salariés, que ceux-ci aient plus ou moins de 26 ans, précisons-le ! Que dans ces entreprises, où l’on trouve souvent le pire et parfois le meilleur du patronat, règne le plus parfait désert syndical. Or, quelque 3,6 millions de salariés travaillent dans des TPE (très petites entreprises de moins de 11 salariés) et quelque 4 millions de salariés ont leur emploi dans des petites entreprises dont les effectifs vont de 11 à 49 salariés. Rappelons que 84 % des entreprises françaises sont des TPE, soit 1,2 millions d’entre elles.
Iniquité à géométrie variable.
Ainsi, parce que les victimes ou bénéficiaires du CNE travaillent dans des entreprises où le syndicalisme est désespérément absent, ce contrat de contrat de travail apparemment tout aussi bancal et inique que son petit frère CPE, continue d’être proposé sans qu’aucune organisation syndicale ne réclame officiellement son abrogation.
En effet, pas un mot, pas une allusion sur cet ex-nouveau contrat Villepin, tant dans la lettre adressée en chœur le 28 mars à Jacques Chirac par la CGT (Bernard Thibault), la CFDT (François Chérèque), FO (Jean-Claude Mailly), CFE-CGC (Jean-Louis Walter), CFTC (Jacques Voisin), que dans la déclaration commune appelant à manifester le 4 avril prochain signée cette fois par la CFDT, CGT, FO, CFTC, CGC, FSU, Unsa, Solidaires, Unef, Confédération étudiante, Union nationale lycéenne (UNL) et Fédération indépendante et démocratique lycéenne (Fidl).
A moins que le CNE soit un contrat moins « inadmissible » que le CPE, comme la CFDT le dénonce dans ses tracts ? Maryse Dumas (CGT), répondant cette semaine à un auditeur de France Inter sur ce sujet n’a-t-elle pas affirmé que sa centrale demande l’abrogation du CNE ? Entre temps, elle a, semble-t-il, oublié d’exiger de coucher cette noble revendication noir sur blanc dans la lettre à Jacques Chirac et l’appel au rassemblement du 4 avril...
Certes, les partis politiques d’opposition (PS en tête) ainsi que la GGT (par la voie de Maryse Dumas) semblent vouloir depuis le week-end suivant l’abracadabrantesque déclaration du chef de l’État, ajouter le CNE à leur panier d’abrogation. Depuis l’été 2005, la réflexion aura pris son temps. De trou de mémoire en trou de mémoire, le CNE a beaucoup attendu avant de réveiller les mauvaises consciences politiques et syndicales. Jusqu’à présent, il fut surtout question de soigner ses maigres troupes et d’aller dans le sens de la rue, toujours bien chichement syndiquée.
Trois millions de syndiqués supplémentaires ?
Mais demain ou après-demain, il le faudra bien, le dialogue social reprendra. A la faveur de la mobilisation « historique » contre le CPE, les organisations syndicales autour de la table auront-elles rallié à leur combat un nombre conséquent de salariés ? Pas si sûr. Et même, pas sûr du tout.
Réforme des retraites oblige, la dernière fois que la CFDT a franchement négocié, son patron a vu en 2003 et 2004 pas moins de 30 000 salariés et militants (chiffre officiel avoué) rendre leur carte. On comprend mieux que la stratégie qui consiste à caresser le peuple dans le sens du poil, sans rien lui demander, pas même l’engagement d’une cotisation, apparaisse le plus sûr moyen de survie, qui plus est, à quelques mois du congrès de sa centrale.
En effet, comme Bernard Thibault fin mars 2006, lors du 48e congrès de la CGT, François Chérèque parlera encore une fois, lors du 46e congrès de sa centrale en juin 2006, au nom de tous les salariés. Alors, à quoi bon se syndiquer... ?
Muriel Bastien
44 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON