Bipolarisation de la vie politique : le programme commun du PS et de l’UMP
La France va droit vers la bipolarisation de sa vie politique et c’est sans doute le seul élément de programme commun du PS et de l’UMP. Après avoir enterré leurs extrêmes respectifs, leur combat commun se porte désormais au centre, lequel ferraille dur pour exister.
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C’est François Mitterrand qui a engagé la
bipolarisation de la vie politique française avec son « union de la
gauche ». Malgré les difficultés rencontrées, elle a permis son élection
et, en guise d’ouverture, la nomination de quatre ministres communistes en
1981, tout heureux de montrer à leurs électeurs le profit que l’on pouvait
tirer d’une alliance avec le puissant voisin idéologique... jusqu’en 1984
seulement puisque le gouvernement Fabius ne leur donnera aucun poste. On sait
ce que pèse aujourd’hui le PC !
Hélas pour lui, ses idées étaient à l’époque déjà
en perte de vitesse à l’échelle mondiale et il n’avait guère le choix de ses
alliés. Ce qui n’est assurément pas le cas des différents partis qui se
revendiquent au centre ou tout proche (par ordre alphabétique : le
Mouvement démocrate de François Bayrou, le Nouveau Centre d’Hervé Morin, le
Parti radical de gauche de Jean-Michel Baylet et le Parti radical valoisien de
Jean-Louis Borloo).
Sarkozy, lui, a tué son voisin de droite, non
pas en s’alliant avec lui (ce qui n’était politiquement impensable vu l’opprobre
collective dont le FN est l’objet), mais en reprenant une partie de son fonds de
commerce idéologique (lutte contre l’émigration, idéologie sécuritaire) et en
le maquillant pour en faire du "racisme à visage républicain". Gros
succès ! On sait ce que pèse aujourd’hui le FN !
Ayant fait le ménage aux extrêmes, les deux
partis majoritaires ont désormais un intérêt commun à le faire au milieu,
d’autant que ce milieu a connu un regain d’intérêt à la dernière présidentielle
et empiète désormais sur leurs deux plates-bandes.
Le mois de mai 2007 du coup vit se jouer
plusieurs batailles au centre, confirmant son importance stratégique. François
Bayrou dégaine le 10 mai, quatre jours après le deuxième tour de la
présidentielle en annonçant la création du MoDem. Sarkozy réplique le 15 en
suscitant un rapprochement entre PRG et PRV, en recevant Jean-Michel Baylet
pour créer une « force centrale » (sous-entendu dans la majorité
présidentielle), mais le PS a promptement rappelé ce dernier à l’ordre. Du coup,
le rôle de force centrale au sein de la majorité présidentielle est dévolu au
Nouveau Centre, dont la création est annoncée le 29 mai (par des
centristes tous ralliés à Sarkozy, ce qui préfigure sa ligne politique).
Malgré un récent et bref coup de projecteur, la
messe est donc dite concernant le PRG et le PRV, qui demeurent des alliés
traditionnels et systématiques, respectivement du PS et de l’UMP. Le Nouveau
Centre quant à lui reprend la recette qui a longtemps servi l’UDF, qui consiste
à échanger une docilité globale en échange de quelques accords ponctuels pour
un ministère, une circonscription ou une mairie. Un confort certain, un
bénéfice immédiat et visible, mais un cadeau empoisonné. L’UMP et le PS ne sont en effet pas des tuteurs qui espèrent voir leurs pairs
grandir et fortifier, ce sont des seigneurs qui n’ont aucun intérêt à voir un
vassal s’émanciper ! Et les seigneurs préfèrent concentrer les
pouvoirs que de les distribuer. Combien de ministres, de députés, de maires
Nouveau Centre pourraient survivre si demain l’UMP met un terme à leur accord
électoral et présente des candidats UMP en face de chacun d’eux ? Cette
seule hypothèse démontre toute la fragilité du Nouveau Centre et la docilité à
laquelle il doit se tenir s’il veut survivre. Ce centre-là, dont la mise à mort peut-être prononcée
à tout moment, ne gêne pas l’UMP et peut même lui servir lorsqu’il
prétend parler au nom des électeurs centristes pour mener la charge contre ses
anciens compagnons restés au MoDem. Car de tous les partis centristes, le MoDem
est bien celui qui pose le plus de problèmes.
Bayrou a en effet retenu la leçon que Mitterrand
a infligée aux communistes et a vu venir celle que l’UMP préparait à l’UDF.
L’alliance d’un petit et d’un grand est le plus sûr moyen de faire disparaître
le petit. Elle n’est qu’un sursis à court terme qui annonce une disparition à
long terme. Et, quitte à mourir (le risque est réel vu le rapport de forces),
autant le faire les armes à la main.
Il a tout d’abord mené une liste indépendante
aux européennes de 2004 puis a interdit aux membres de l’UDF de participer au
gouvernement Villepin (de Robien est passé outre). Le 8 juin 2005, pour la
première fois depuis 2002, l’UDF a refusé de voter la confiance au premier
gouvernement Dominique de Villepin, à la suite du discours de politique
générale que ce dernier a prononcé devant l’Assemblée nationale. La moitié du
groupe des députés UDF a ensuite voté contre le projet de budget 2006 présenté
par ce gouvernement ; les sénateurs Union centriste se sont abstenus. Les 28 et
29 janvier 2006, lors du Congrès extraordinaire de Lyon, les adhérents de l’UDF
(91,1 % des votants) ont apporté leur soutien à la motion unique de François
Bayrou définissant l’UDF comme un « parti libre et indépendant », au centre,
séparé des majorités et opposition de droite comme de gauche et garant d’une
démocratie pluraliste. Tout cela ne s’est pas fait sans que déjà l’UDF
enregistre depuis 2002 nombre de défections vers l’UMP (tels Pierre Méhaignerie, Philippe Douste-Blazy). La volonté de Bayrou de faire émerger un parti centriste indépendant
ne remonte donc pas à 2007, mais témoigne d’une stratégie bien plus ancienne.
L’UMP a laissé faire, d’une part pour ne pas
s’aliéner des électeurs qui votent traditionnellement pour elle à chaque second
tour et, d’autre part, comptant sur les défections successives pour assécher
progressivement l’UDF à son profit. Quant au PS, il n’avait alors nulle raison
de s’en mêler, puisque l’électorat de l’UDF était réputé de droite, donc peu
susceptible de voter pour lui.
Mais le premier tour de la présidentielle a créé
l’électrochoc pour les deux géants. Bayrou se hisse jusqu’à 20 % d’intentions de
vote en collectant de nombreuses voix de gauche et semble le seul susceptible
de l’emporter face à Sarkozy au second tour. Sarkozy et Royal se sentent tous
deux menacés et Bayrou devient la cible de toutes leurs attaques. C’est l’union
sacrée Sarkozy-Royal pour sauver la bipolarisation. Finalement, les instituts
de sondage (dont CSA, détenu à 44 % par un certain Vincent Bolloré) arrêtent
d’envisager le cas de figure d’un second tour Bayrou-Sarkozy, les médias (dont
TF1, propriété à 41 % du groupe Bouygues) s’efforcent de crédibiliser un peu plus
Ségolène Royal (de façon très éphémère), de décrédibiliser un peu plus Bayrou...
qui n’obtient finalement « que » 18,5 %. Les deux géants reprennent
leur souffle, mais ils ont eu chaud et ils ont compris la menace. Bayrou refuse
tout ralliement au second tour. La guerre au centre est déclarée.
Pour l’UMP, qui a écarté la concurrence de
l’extrême droite et remporté l’élection, il est facile de procéder à un
recentrage du discours, d’encourager l’émergence d’un parti centriste vassal,
de mettre en exergue des défections qui, en pratique, se produisaient déjà à
intervalles réguliers depuis 2002. L’attrait de victoires faciles est
irrésistible pour beaucoup et la méthode montre des succès certains.
Contrairement à l’UMP, le PS se retrouve attaqué
sur deux fronts à la fois, du fait de la ré-émergence de l’extrême gauche. Le
PC est bien mort, mais son idéologie fait encore recette. Du coup, le PS est
tiraillé entre son intérêt à conquérir le centre grâce à un virage
socio-libéral longtemps rejeté, et sa volonté d’englober les anti-libéraux dont
le poids politique devient non négligeable et l’apport électoral indispensable.
Difficile de faire ainsi le grand écart, sinon en conservant une ligne
politique très floue, ce que François Hollande réalise avec brio. Heureusement
pour le PS qu’à l’échelle locale les positionnements sont souvent plus
marqués, ce qui explique en partie ses récents succès. Mais, malgré ses
dissensions internes, le PS n’est pas demeuré les bras croisés depuis un an. Il
a continué son travail de bipolarisation aux dernières municipales, en
affichant pour la première fois des candidats PS
face à des élus communistes de longue date. Les Verts seront sans doute bientôt
au menu, comme l’annonce de la nouvelle ligne idéologique du PS, intégrant le
développement durable, peut le suggérer (message aux électeurs verts :
vous avez plus de chance que vos idées aboutissent avec nous). Quant à
Chevènement, tombeur de Jospin en 2002 et un temps candidat à la présidentielle
de 2007, il envisage son retour dans le giron PS. Le parti socialiste va donc
pouvoir se concentrer à son tour sur le cas du MoDem.
Mais Bayrou ne s’est pas émancipé à grands frais de la confortable tutelle UMP pour tomber dans la très incertaine tutelle PS (quoique certains nouveaux centristes tentent de lui en faire procès). Il a compris que le succès du centrisme (s’il arrive un jour) ne peut passer que par une ligne autonomiste (le seul bémol tient au nerf de la guerre, ce qui explique certains compromis ou alliances lors des municipales). Il marche délibérément sur les pieds du PS et de l’UMP et n’en espère donc aucune clémence. Il sait que ce sera une lutte à mort (de toute façon, pour lui, ce sera probablement 2012 ou rien). On comprend que nombre de membres de son parti, particulièrement ceux habitués à un certain confort électoral, ne veuillent le suivre. À ceux-là, le Nouveau Centre tend les bras. Mais une nouvelle génération, encore sans mandat électoral donc sans rien à perdre, peut accepter de relever ce défi. Bayrou doit sans tarder la faire émerger s’il veut survivre. Il est le dernier rempart possible à la bipolarisation fort désirée par le PS et l’UMP.
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