C’est quoi, être du centre ? Enième tentative d’explication, à l’attention de ceux qui n’y sont pas.
Suite à un intéressant documentaire amateur sur les motivations des militants sarkozystes, réalisé par le collectif Othon, et suite à une discussion sur ce que signifient « être de gauche » et « être de droite », John-Paul Lepers, journaliste leader de LaTéléLibre, pose la question : « et être du »Centre« , c’est quoi ? »
Pour moi, être du centre, c’est d’abord être politisé mais pas polarisé.
Être politisé, c’est-à-dire s’intéresser à la politique, au sens noble du terme, et s’être forgé une opinion sur un certain nombre de questions. Une opinion forte, libre, claire, et argumentée. Oui, forte. Il ne s’agit pas d’un "centre mou", qui se dirait sur tous les sujets "au fond, c’est trop complexe, on ne peut pas vraiment savoir, les deux parties ont un peu raison, de toute façon c’est une question d’équilibre, de juste milieu". En même temps, il faut savoir ne pas se prononcer lorsqu’on a pas suffisamment pris le temps de s’informer.
Ne pas être polarisé, c’est avoir renoncé, dès le début de la formation de sa conscience politique, ou bien plus tard, à se positionner dans le référentiel gauche-droite que la culture politique cherche à imposer. C’est ce qui fait qu’un électeur du centre reste souvent complètement incompris des militants de gauche ou de droite, ceux-ci proposant du coup régulièrement leurs propres explications au centrisme : solution de facilité, démagogie, pêche aux électeurs des deux bords, volonté d’obtenir un poste à tout prix, insatisfaction chronique, refus de s’engager,... On remarquera d’ailleurs qu’ils trouvent généralement plus de raisons pour expliquer le positionnement au centre des personnalités politiques que pour celui des simples électeurs. Bah... quoi de plus normal que de ne pas comprendre, quand on baigne quotidiennement dans un lieu commun qui dit qu’il faut être soit de gauche, soit de droite ?
Le choix du centre se fait généralement parce qu’on ne se reconnaît ni dans le discours véhiculé par la gauche, ni dans celui véhiculé par la droite (et pas non plus dans ceux des extrêmes). Dit comme ça, ça peut ressembler à un choix par défaut. Sauf que, d’une part, il reste à se reconnaître dans le discours que véhicule le parti au centre, et que d’autre part, cette non-reconnaissance est généralement la conséquence d’autre chose : le rejet du simplisme et de l’idéologie.
Simplisme. C’est pourtant flagrant. Quoi de plus simpliste et réducteur que de résumer un ensemble d’opinions politiques sur des sujets variés à un espace à une seule dimension : l’axe gauche-droite. D’ailleurs, les vrais centristes ne se réclament pas nécessairement du centre, ou plutôt ne présentent pas les choses comme ça, pour ne pas retomber dans le piège qu’ils ont cherché à éviter. Ils se disent le plus souvent démocrates, ou encore républicains. Si vous rencontrez quelqu’un qui vous explique spontanément qu’il est "de centre-droit", c’est qu’il n’a pas compris grand chose à ce qu’est le centre, en tout cas aujourd’hui. N’est-ce pas simpliste, pour ne pas dire complètement faux, de considérer que quelqu’un qui se prononce pour une économie libérale va sans doute se prononcer également contre le mariage des homosexuels ? Ou de considérer qu’un autre qui s’oppose à la culture des OGM a sans doute applaudi à la mise en place des 35 h ? Qu’est-ce que ces deux questions ont en commun ?
Pourtant... on constate souvent que si, que sur des sujets aussi différents, on retrouve un clivage gauche-droite assez net. C’est vrai. C’est vrai parce que tout ça est entretenu. Parce que pour une part des électeurs, une fois qu’on a choisi son camp, c’est pas compliqué : il n’y a plus qu’à être d’accord avec ce qu’il prône, sur tous les plans, et en désaccord avec ce que prône l’autre bord, sur tous les plans aussi. Une fois que le bien est d’un côté et le mal de l’autre, comment imaginer qu’une mauvaise idée vienne de son propre camp, ou pire, qu’une bonne idée émane du camp adverse ? Et puis il y a tout le poids de l’Histoire. Ça commence à faire bien longtemps qu’existent en France et ailleurs ces deux bords... Ça se transmet, ça devient une question de milieu.
Attention, la gauche et la droite, ça existe ! Ce n’est pas du tout mon propos de dire que tout ça c’est du pareil au même. Ce serait évidemment nier la réalité. À la base, sont à gauche ceux qui considèrent que l’Etat doit plutôt intervenir dans l’économie, notamment pour garantir l’égalité, et à droite ceux qui pensent le contraire, notamment pour garantir la liberté. Mais théoriquement ça se limite à une vision du rôle de l’État dans l’économie. L’économie, c’est central, mais ce n’est pas tout. Et dans un monde globalisé, dans un pays qui souscrit aux règles fixées par l’OMC, la marge de manœuvre de l’État pour intervenir dans l’économie est plus que limitée...
Bien sûr, si on faisait remplir un questionnaire de cent questions politiques aux électeurs du centre, rares sont ceux qui obtiendraient cinquante réponses de droite et cinquante réponses de gauche. Évidemment, les gens du centre ont bien une tendance concernant l’intervention de l’Etat. Mais sans dogmatisme, sans idéologie. Pour reprendre un mot galvaudé ces temps-ci, avec pragmatisme. Ils pensent qu’il y a des cas où il vaut mieux favoriser la liberté, et d’autres où l’égalité est plus importante.
Et puis, finalement, il y a un troisième mot dans notre devise. Fraternité. La fraternité, ou la solidarité, c’est la solution pour que liberté et égalité cessent de s’opposer. Pour que librement, les Hommes vivent dans l’égalité. Mais la fraternité, ça ne se décrète pas. Ça ne s’obtient ni par la répression, ni par la subvention. Uniquement par l’éducation, une valeur majeure du centrisme, à laquelle on revient sans cesse.
Bon, mis à part le refus du clivage, qu’est-ce qui unit le centre ? Pas tant de choses c’est vrai. Sur les forums, les opinions peuvent être bien différentes parfois. Alors, comment bâtir un programme ? Nucléaire ou pas nucléaire ? Mariage homosexuel ou non ? Taxation des flux financiers ou non ? Pour un certain nombre de sujets, difficile de mettre les centristes d’accord. C’est parce qu’il n’y a pas d’idéologie, seulement des valeurs, pas de solution miracle, seulement des propositions discutables, que certains ont pu penser, en toute bonne foi mais sans chercher bien loin, que le centre n’avait pas de programme.
Le remède des centristes contre les désaccords, il s’appelle Démocratie. Nous y voilà. Non pas que pour eux, la démocratie soit une solution idéale, mais comme le disait Churchill, "la démocratie est la pire des solutions, à l’exception de toutes les autres". La démocratie, étymologiquement gouvernement du peuple, ne doit pas être le gouvernement de la majorité, fixée pour cinq ans à chaque alternance, mais le choix majoritaire du peuple, ou de sa représentation, sur chaque question particulière, sur chaque projet de loi. On en est loin non ?
Oui, la démocratie n’est pas acquise, totale, même si la France est considérée comme un pays démocratique. Un des points centrals du "programme" (on ne peut véritablement parler d’un programme que pour une élection particulière), c’est donc la réforme des institutions, de manière à les rendre plus démocratiques. Aujourd’hui, le système fait que les deux premiers partis disposent de quasiment toutes les places à l’Assemblée Nationale. Si l’on regarde les chiffres, c’est aberrant ! Il ne s’agit pas simplement d’un combat pour que le MoDem dispose de plus de places, mais aussi les Verts, le Front National,... Que le Parlement soit enfin représentatif de la diversité des opinions des français, et qu’il redevienne le lieu où l’on gouverne, le lieu où les décisions sont prises (et non pas simplement validées). Cette nouvelle façon de diriger le pays, qu’on appelle parfois la 6e République, n’est pas compliquée à mettre en place, elle existe dans d’autres pays depuis longtemps.
Problème : la majorité n’a pas toujours raison. Il y a des moments dans l’Histoire où la majorité a eu tort. Lorsqu’on a aboli la peine de mort en France, ce n’était pas du goût d’une majorité de Français. Ce qui invite les centristes à accorder une place centrale à l’éducation. L’éducation d’une part dans le sens de la transmission de connaissances, de l’élargissement de la culture générale des citoyens, afin qu’ils possèdent les clés pour comprendre et décrypter les enjeux politiques. L’éducation à l’esprit critique d’autre part, ce qui se rapproche finalement de la philosophie, pour permettre à chacun de se faire librement une opinion construite et raisonnée. Et enfin l’éducation à la citoyenneté, c’est-à-dire à un certain nombre de valeurs nécessaires aussi bien au vivre-ensemble - "Liberté, Égalité, Fraternité", entre autres - qu’au bon fonctionnement de la démocratie : sens des responsabilités du citoyen, séparation des pouvoirs, état de droit,...
La démocratie donne un rôle capital également aux médias. C’est par eux que les citoyens se tiennent au courant de l’actualité et cela a une influence majeure sur leurs votes. C’est pourquoi l’indépendance des médias vis-à-vis des pouvoirs politiques ou financiers est primordiale pour les gens du centre. Elle est loin d’être pleinement acquise.
Et enfin, je terminerai sur une autre valeur phare du centre : l’Europe. Cette valeur peut sembler tomber comme un cheveu sur la soupe, et n’avoir aucun lien avec le reste des idées centristes. Pourtant, elle découle directement du reste. Tout est lié. Vouloir la démocratie, c’est vouloir le gouvernement du peuple, le pouvoir au peuple. Or, le pouvoir, en tout cas pour une bonne partie, est au niveau de l’Europe. Et il est loin d’être suffisamment aux mains du/des peuple(s) européen(s). Le centre veut donc développer une Europe politique, sociale, démocratique, et non pas simplement comme c’est le cas actuellement un marché économique commun, une instance de (dé)régulation de l’économie.
En clair, être du centre, pour moi, c’est refuser les idéologies de la réduction gauche-droite, vouloir les remplacer par un système de décision pleinement démocratique, qui nécessite une indépendance des pouvoirs, un soutien fort à l’éducation, et une véritable Démocratie Européenne.
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