Chroniques d’un désastre collectif prévisible
En 1945, se terminait un conflit mondial qui avait à peine égratigné certains pays (dont les USA intervenus tardivement), mais laissant quelques pays lourdement meurtris dont l'Union Soviétique, qui dans la bataille contre les armées nazis perdit de l'ordre de 15% de sa population de 1939 (environ 25 millions de personnes). Comparativement 400 000 citoyens des Etats-Unis perdirent la vie au cours de ce conflit (0,3%), et environ 1,3% des français.
En 1918, on avait fait très lourdement payer l'Allemagne pour la première guerre mondiale avec le "Traité de Versailles" qui portait en temps de paix le niveau de représailles contre le vaincu à un niveau insupportable pour le vaincu. Certains pensent avec de solides arguments que celà créa le terreau dans lequel le nazisme ne pouvait que prospérer avant d'amener Hitler au pouvoir.
Il fut décidé d'une autre approche pour l'Allemagne en 1948, où Truman choisi le Plan Marshall (basiquement des prêts (non des dons) à l'Allemagne pour acheter aux USA les moyens de se reconstruire sous surveillance), contre le Plan Morgenthau qui basiquement présentait une facture très salée à l'auteur indiscutable d'une boucherie qui avait tué en 5 ans des dizaines de millions d'humains.
Quid de la principale victime de ce conflit, à savoir l'Union Soviétique , le "pays" qui avait fixé l'essentiel des armées nazies dans un combat particulièrement meurtrier et donné le temps de préparer la riposte et la victoire en Europe de l'Ouest ?
Elle fut largement oubliée, le débat aux USA aboutissant sous l'influence de quelques personnages dont George F. Kennan à une politique d'endiguement pour limiter l'influence de ce pays non démocratique sur ses voisins et la dissémination de son idéologie communiste, assez peu "soluble" dans l'idéologie capitaliste des USA. Les russes, eux n'ont jamais oublié. Ils ne sont pas prêts de le faire.
En résumé on a tendu la main à l'agresseur et tourné le dos à sa principale victime, situation extraordinaire avec le recul historique que nous avons.
Dans un "long télégramme" en avril 1946, destiné au secrétaire d'Etat de l'époque pour l'informer sur ce qui se passait en Union Soviétique, Kennan disait explicitement qu' " Au coeur de la vision névrotique du Kremlin des relations internationales est le sentiment d'insécurité, traditionnel et instinctif chez les Russes". On se frotte les yeux en voyant 76 ans plus tard, les mêmes analyses des motivations russes concernant l'Ukraine. On y reviendra.
Le 4 avril 1949 sera fondé l'OTAN, la réflexion pour sa création étant survenue bien avant l'explosion de la première bombe H soviétique ou même le déclenchement de la guerre de Corée et perçu d'emblée comme une menace potentielle par l'Union Soviétique. La Corée sera le premier pays ou les deux principaux vainqueurs contre le nazisme, s'affronteront en laissant deux millions de victimes pour rien derrière leur passage.
Avance rapide jusqu'à 1989 quand Gorbatchev décide de mettre un terme à l'Union des Républiques Socialistes Soviétique et baisse la garde en supprimant le Pacte de Varsovie. Explicitement, dans la tête des citoyens russes et dans celle d'une fraction de la direction russe, on ouvre les bras à une coopération avec les anciens adversaires, mais aussi alliés dans la guerre la plus meurtrière de l'histoire humaine.
Le capitalisme arrive en force en laissant un bain de sang dans son sillage en Russie et la question se pose de savoir si on conserve une structure militaire qui visait à contrer l'URSS et le Pacte de Varsovie d'une invasion de l'Europe centrale ou de l'Ouest. Prudents, on décide de conserver l'OTAN alors que les frontières de la Russie ont reculé de plusieurs milliers de km vers l'Est, mais promis, juré, aucune extension de l'OTAN au delà des frontières de l'Allemagne réunifiée.
De 1989 à 2008 presque 20 ans pour oublier les bonnes résolutions et tout mettre en oeuvre pour ne jamais revenir en arrière. En avril 2008 au sommet de Bucarest les USA décident (contre l'opposition en carton pâte de l'Allemagne et de la France) que l'Ukraine a vocation à entrer dans l'OTAN, soit dans un raccourcis fabuleux à parachever une avance de plusieurs milliers de km vers la frontière de la Russie que l'URSS avait laissés "libres" dans son retrait. De très nombreuses voix russes comme américaines et européennes ont dit à l'époque qu'on faisait une très grosse erreur. Kennan le disait dès 1998, Mearsheimer un peu plus tard, Cohen, bien d'autres.
On arrive en 2014 en Ukraine où un pays globalement divisé en deux (l'Ouest louche vers l'U.E. et l'Est vers la Russie selon la carte électorale et les sondages faits depuis le début des années 2000) connaît un authentique coup d'Etat largement soutenu par les USA (une longue pratique les concernant), les évènements du "Maidan", le massacre dans la maison des syndicats de "pro russes" et le déclenchement d'une guerre civile, suite à des décisions malheureuses du pouvoir ukrainien et une réaction aussi malheureuse de la Russie qui semble imprudemment avoir fourni le missile destiné à la protection aérienne de la zone "rebelle" alors que l'espace aérien n'était pas fermé à l'aviation civile mais semblait utilisé par l'aviation militaire ukrainienne. Un scénario parfait pour la destruction en vol du MH17 et la mort des 298 passagers.
Le soutien de la Russie à une faction de cette guerre civile ne se discute pas vraiment. Poutine en 2014 avait parfaitement connaissance par son passé et son poste actuel des dessous des cartes concernant le bombardement de la Serbie par l'OTAN (sous motifs qu'on sait largement spécieux), connaissait l'exemple de l'invasion de l'Irak sans aucune conséquence pour les USA, de l'invasion de la Syrie, de la mise à mort de la Libye et de son dirigeant pour des motifs largement financiers et géopolitiques, etc...
Cela faisait déjà près de 20 ans (Clinton décide de l'extension de l'OTAN en 1994) que la méfiance était de mise de part et d'autre et elle n'avait fait que s'amplifier depuis lors.
Poutine avait vu l'URSS se désintégrer, la Yougoslavie se désassembler, la Tchécoslovaquie se partionner, l'idée que la Crimée (qui n'a jamais demandé à être Ukrainienne mais a demandé dès 1991 à ne plus l'être (à de multiples reprises d'ailleurs avant 2014) , pour oublier le "don" imprudent de Kroutchev en 1956, puisse rejoindre la Russie ne pouvait le choquer, pas plus que l'idée que le Donbass s'autodétermine (l'exemple du Kosovo avait été qualifié par lui à l'époque de grave erreur qui pouvait ouvrir la boîte de Pandore du redécoupage des frontières et des nationalismes divers).
Par ailleurs Poutine ne peut ignorer la "doctrine Monroe" qui a occasionné la "crise des missiles" à Cuba en 1962. A l'époque l'URSS avait cherché la réciprocité de l'installation de missiles nucléaires en Turquie (membre de l'OTAN) en installant des missiles similaires à Cuba.
Kennedy menaça explicitement l'URSS d'une intervention qui aurait pu aller jusqu'à l'utilisation d'armes nucléaires.
Les deux adversaires reculèrent à l'époque.
De quel droit les USA s'arrogent-ils un privilège interdit à quiconque ? Si les USA ne se sentiraient pas en sécurité d'avoir des missiles ou des installations militaires dans un pays voisin, pourquoi la Russie serait coupable et paranoïaque d'avoir les mêmes préoccupations ? Or si les missiles de l'OTAN ne sont pas encore en Ukraine, l'histoire de l'OTAN depuis son extension montre clairement que ses installations militaires avancent continuellement vers la frontière de Russie. Pour la Russie ce n'était qu'une question de temps.
Par ailleurs la vive réaction US face à la possibilité que la Chine crée un partenariat avec les îles Salomon (à des milliers de km des frontières US) montre bien que leur sensibilité va très au delà de celle des russes qui ont toléré bien plus de choses avant 2014 et jusqu'à une époque très récente.
Des accords avaient été signés par l'Ukraine, avec l'approbation de la direction russe pour une autonomie large du Donbass à l'intérieur des frontières de l'Ukraine. Or l'Ukraine a clairement montrée que pour elle, le don de la Crimée en 1956, sans consultation populaire est irrévocable (Zelensky qui s'est fait élire sur un programme de fin de guerre (civile) l'a fait mentionner dans la Constitution), ce qui signifie que le droit de cette région a choisir son destin ne lui appartient pas (ce que l'U.E. ne peut qu'approuver vu qu'elle est adémocratique autant qu'elle le peut et se moque de l'opinion des Etats comme des peuples européens) et par ailleurs il a été fait savoir bruyamment que le Donbass (entré dans l'Ukraine en 1922) a moins de droits à l'autodétermination que le Kosovo alors qu'il a été sous le feu Ukrainien depuis 2014. On se demande comment une région qui louchait vers la Russie avant 2014 et qui s'est fait tirer dessus par des compatriotes pourrait rejoindre l'Ukraine, un pays à peine plus démocratique (selon nos critères) que la Russie et qui traine névrotiquement (mais à raison) des souvenirs de l'époque soviétique assez cuisants (pour la partie Ouest) après un tel épisode.
Donc depuis 50 ans on a laissé les USA aligner en toute impunité, en l'absence de toute sanction et toute condamnation des coups d'Etats, des attentats sous faux drapeaux, des sanctions économiques équivalent à des déclarations de guerre, des invasions totalement injustifiables et on s'étonne de voir la Russie, alors qu'elle n'est pas directement menacée, que les missiles ne sont pas encore sous son nez, réagir proactivement à un scénario prévisible à la lumière du passé récent.
En connaissant parfaitement pour eux l'importance de la doctrine "Monroe" les USA ont clairement déclaré les hostilités envers la Russie au sommet de l'OTAN à Bucarest en avril 2008. Ils ne pouvaient pas ignorer les conséquences de cette décision sur leurs relations avec la Russie. Car eux-mêmes dans la même situation aurait réagit a minima comme la Russie.
En sachant les déclarations insistantes de la Russie que l'Ukraine dans l'OTAN était perçue par eux comme une menace existentielle, les européens ne pouvaient donc ignorer la dangerosité extrême de ne pas imposer les accords de Minsk II à la partie Ukrainienne. C'était un deal inespéré vu les effets collatéraux prévisibles d'une intervention militaire russe en Ukraine. A défaut il aurait probablement fallu laisser entendre que l'entrée dans l'U.E. était inacceptable sans un accord avec la Russie et probablement dire qu'il y aurait opposition à l'entrée dans l'OTAN.
Les faits sont accablants et le passé nous dit clairement que la Russie acceptait le maintien du Donbass en Ukraine et a attendu 8 ans avant de réaliser que ces accords ne seraient jamais respectés et donc...
Il ne fallait pas être sorcier pour ne pas deviner les conséquences de l'explosion de nos dépenses militaires, celles de l'exclusion du marché mondial d'un pays couvrant une fraction importante des exportations alimentaires, minérales et énergétiques dans le monde. "Débrancher" la Russie des marchés mondiaux était une assurance prévisible d'une explosion des prix, car l'Ukraine elle-même aura du mal à continuer à l'alimenter en étant en guerre avec des infrastructures démolies quotidiennement.
Par ailleurs sur le plan géostratégique, chercher le conflit avec la Russie équivalait à la jeter dans les bras de la Chine qui sera le nouveau leader mondial à terme (vu la taille de sa population, sa technologie, le niveau de ses dépenses militaires, etc...).
On a parachevé le scénario en confisquant la moitié des avoirs russes laissés imprudemment dans des banques occidentales, mettant dans le collimateur le dollar comme l'euro, comme réserves de devises fiables (vu que leur valeur peut tomber à zéro si on ne cède pas à l'arbitraire des sanctions décidées ici et oubliées là).
On a oublié que la crise de 2008 n'était nullement résolu mais l'éventuelle résolution différée par des perfusions de morphine (planche à billets des banques centrales), que la crise Covid avait fait aussi un travail de sape important et que la gestion de cette crise sanitaire en Chine pouvait faire prévoir une rupture ou une désorganisation importante et additionnelle du commerce international.
On a surtout oublié, si on croit en notre propre propagande anti russe et anti Poutine, qu'on a mis dos au mur, un pays qui dispose d'un arsenal nucléaire qui peut nous renvoyer à l'âge de pierre en quelques heures. Or tous les efforts visent à asphyxier l'économie russe et à prolonger le conflit militaire en envoyant des armes à une armée ukrainienne, peu étoffé en personnel et qui est mélangée volontairement à la population civile.
On pense sérieusement faire reculer la Russie, alors que son intervention est vécue par eux comme l'unique moyen de faire entendre leurs demandes no satisfaites par le refus des accords de Minsk ?
Toutes les parties en présence ont donc contribué à aboutir à la guerre, qui semble encore en 2022, le moyen préféré de résoudre des conflits d'intérêts qui passent très haut au dessus de la tête de tous les peuples de la Terre, mais permettent à quelques humains d'en envoyer des milliers sinon des millions à la boucherie pour "résoudre" des problèmes qui ne les concernent pas directement et qu'eux n'ont pu résoudre diplomatiquement.
Le jour où des missiles à tête nucléaire monteront vers le ciel pour mettre un terme à notre civilisation, on peut se demander si la Terre y perdra beaucoup. La connerie se paie tôt ou tard et il sera trop tard alors pour se jeter au visage le blâme mutuellement.
Sur Terre il n'y a nul part ici des "bons" et là des "méchants". C'est un conte de fée raconté depuis la préhistoire pour justifier toutes les guerres. On devrait se souvenir que nous sommes tous humains et qu'il n'y a nulle part des individus qui méritent de basculer dans une catégorie justifiant qu'on en fasse de la viande hâchée en appuyant lâchement sur des boutons à distance respectable pour éviter les tâches de sang et pire...
Est-on sûr d'avoir mis à notre tête des gens capables de faire la paix ? A en juger par les actes de ceux qui nous "dirigent" (vers quoi d'ailleurs...) on peut et on doit se poser la question.
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