Dans une école d’Albi : le Président Sarkozy face à trois expressions de la méchanceté
L’Éducation nationale vient d’offrir à nouveau, avant de fermer ses portes pour les grandes vacances, une de ces affaires à la fois anecdotiques, anodines et tragicomiques dont sa hiérarchie a le secret. Le site NouvelObs.com l’a relatée vendredi 4 juillet. C’est à Bernard Duguet que l’on doit d’en avoir été informé dans un commentaire d’article. On l’en remercie.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH209/223223-0d7a1.jpg)
Une initiation à la lecture d’image
Une enseignante de l’École primaire Claude-Nougaro à Albi (Tarn) avait proposé à ses élèves de CM1 pendant l’année qui s’achève, une recherche sur les sentiments que traduisent les expressions du visage : ils avaient eu à illustrer, par des images découpées çà et là dans des journaux, la joie, la colère, la crainte, la fatigue, la méchanceté, etc. Une exposition en avait été faite à strict usage interne. Jusque-là, on ne peut que se féliciter de voir une enseignante se préoccuper d’initier ses élèves à la lecture de l’image si difficile car si ambiguë, en raison, pour partie, de l’ambiguïté du langage analogique auquel elle appartient.
Le scandale est venu d’une illustration : une photo du président Sarkozy avait été retenue pour exprimer… la méchanceté ! Un parent d’élève s’en est légitimement ému. Mais il n’a rien trouvé de mieux que d’adresser directement à la Présidence de la République une lettre de dénonciation. La réponse n’a pas tardé. Une enquête a été ordonnée. L’enseignante n’a nullement contesté les faits, prétendant seulement n’avoir prêté attention qu’ « (aux) expressions et non (aux) visages ». Dans une déclaration à l’AFP, l’inspecteur d’académie du Tarn a déploré « un manque de vigilance » de l’enseignante qui méritait « une remontrance » : il aurait attendu d’elle, ajoute-t-il, qu’elle se montrât « plus attentive à l’utilisation des images - ce qui est évidemment pertinent -, (et même qu’elle en profitât pour) dans une leçon d’instruction civique, expliquer la démocratie et le rôle du président de la République et de personnalités du monde politique » - ce qui est hors-sujet car n’ayant rien à voir avec l’initiation à l’image dont il était question.
1- La délation
On peut sourire. On aurait tort. Sous l’apparence anodine de cette affaire perce la tragicomédie qui se joue quotidiennement à l’Éducation nationale.
D’abord, cette institution vit en permanence dans le soupçon et sous la menace quotidienne de la délation. Tout usager, tout membre du personnel est un dénonciateur potentiel. Depuis que la loi du 12 avril 2000 a vidé de son contenu la loi du 17 juillet 1978 en interdisant à toute victime de dénonciation la communication de la lettre de son dénonciateur pour éviter à ce dernier d’avoir à en rendre compte, les lettres affluent auprès de la hiérarchie. Le 29 novembre 2000, l’inspecteur d’académie du Gard avouait en recevoir une cinquantaine par semaine. La moindre peccadille prend aussitôt des dimensions disproportionnées. Le conflit s’envenime au lieu d’être circonscrit. Surtout, le débat contradictoire est rendu impossible puisque la victime ignore le contenu de la plainte de son délateur et qu’il n’en connaît que ce que l’autorité hiérarchique en donne à sa convenance. Quelle confiance peut subsister dans pareilles conditions ?
2- Le formalisme
À en juger ensuite par la défense de l’enseignante, sous réserve que l’AFP et Nouvel.Obs.com la rapportent fidèlement, on perçoit une faille majeure dans l’enseignement dispensé : « Parmi toutes ces photos de visages inconnus ou connus, aurait-elle expliqué, il y avait malheureusement celle de Nicolas Sarkozy. J’ai regardé les expressions et non les visages. »
On ne peut mieux illustrer le formalisme du savoir que dispense l’Éducation nationale. La malheureuse enseignante ne fait qu’enseigner ce qu’elle a appris. On l’a dénoncé récemment dans deux articles analysant successivement les sujets de français donnés au Baccalauréat et au Brevet en juin 2008 (1). L’enseignante ne s’intéresse ici, dit-elle, qu’ “aux expressions” d’un visage, sans même prêter attention au visage de la personnalité qui les manifeste. Un des signes distinctifs du formalisme est ainsi de pratiquer en toute inconscience la mise hors-contexte, sans se préoccuper du sens particulier que donne pourtant un contexte donné. En somme, une mimique, comme un texte n’a pas d’auteur, tout au plus “un narrateur”, cet ectoplasme sans existence physique ni sociale qui, selon le catéchisme formaliste en honneur, prend en charge le récit…
Illustrer la méchanceté par la photo d’un individu anonyme ou par celle du président Sarkozy – même si la lecture de l’image fait l’unanimité –, ce n’est tout de même pas la même chose. D’un côté on ne nuit à personne, tandis que, de l’autre, on porte atteinte à la réputation du président et à l’ordre démocratique qu’il représente. Un jugement de valeur négatif est porté gratuitement sur ce dernier. Ce n’est pas rien dans l’École de la République, surtout quand on apprend à l’élève à juger aussi légèrement des gens sur la mine. Jean de La Fontaine est oublié, qui disait aussi que “d’un magistrat ignorant, c’est la robe qu’on salue”.
3- L’irresponsabilité
Telle est l’inconscience du formalisme qui ne juge que sur l’apparence en se moquant du contenu et sur l’expression d’un visage sans même se préoccuper de savoir que c’est celui du président de la République. On apprécierait donc la remontrance de l’inspecteur d’académie qui aurait souhaité que “l’enseignante (fût) plus attentive à l’utilisation de ces images”, s’il ne rejetait pas sur elle toute la responsabilité qui en incombe d’abord à l’institution. Que ne se tourne-t-il vers son ministère pour lui demander de rompre avec le formalisme enseigné dans toutes ses classes par l’École irresponsable qui apprend à juger d’un vin à la forme de la bouteille, à classer les champignons par la forme du chapeau ou du pied en ignorant leur toxicité (2), et à prêter attention à l’expression d’un visage sans même savoir qui l’affiche ? Le formalisme n’épargne personne : un pouvoir peut l’estimer utile pour égarer les citoyens et les abêtir ; seulement, il arrive, comme ici, qu’il se retourne contre lui.
L’apprentissage si nécessaire de l’image
Enfin, sous réserve que la photo ci-contre qui accompagne l’article du NouvelObs.com, soit bien celle qui illustrait la méchanceté, force est de reconnaître la fragilité de la leçon de l’enseignante. Une des difficultés de la lecture de l’image tient, en effet, a-t-on dit plus haut, à son appartenance au langage analogique, comme tout comportement.
Pour mémoire, c’est le langage qui tend à ressembler à ce qu’il représente par opposition au langage arbitraire (ou digital) qui, lui, n’entretient, comme les mots, aucune relation de ressemblance avec ce qu’il représente. Le mot “chat”, tout comme “cat” en anglais ou “gatto” en italien, désigne par simple convention arbitraire un animal précis. En revanche, deux angles aigus verticaux symétriques griffonnés sur une feuille au dessus d’une poignée de traits qui rayonnent, renvoient à une tête de chat.
De surcroît, l’expression de la méchanceté est sûrement, de toutes les expressions d’un sentiment, une des plus difficiles à identifier, car ce vice s’affiche moins sur un visage qu’il ne s’exprime en actes. Interfère en tout cas, dans l’identification d’un sentiment, le stock d’images que chacun garde en mémoire et qu’il consulte inconsciemment pour reconnaître, grâce au procédé de l’intericonicité, une image connue dans une image inconnue. L’image offerte du Président Sarkozy représente plutôt ici la fermeté du propos et de la volonté : le visage est sérieux, les sourcils, froncés, le regard, planté droit hors-champ ; d’une moue et du plat de la main tendue, le personnage tranche.
On ne sait ce qui est le plus affligeant dans cette affaire, du parent qui dénonce, du formalisme qui aveugle ou de la hiérarchie qui se défausse. L’enseignante n’enseigne jamais que ce qu’on lui a appris, la hiérarchie feint de l’ignorer et le parent d’élève saisit la présidence de la République de son indignation. Si seulement, l’incident pouvait contribuer à ouvrir les yeux sur les dangers cumulés de la délation, du formalisme et de l’irresponsabilité ! Car voilà trois expressions de la méchanceté qu’on ne détecte sur aucun visage mais qu’on reconnaît à des actes, comme ici dans cette malheureuse affaire.
Paul Villach
(1) « Les sujets de bac de français 2008 : ou comment juger d’un vin à la forme de la bouteille », Paul Villach, 24 juin 2008.
« Une incroyable promotion du « caïdat » au Diplôme national du Brevet », Paul Villach, 28 juin 2008.
(2) « L’éducation aux médias » et l’École, ou le mycologue inconscient », Paul Villach, 20 décembre 2007
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