Démocratie directe, Démocratie indirecte, Démocratie !
Récemment, les Suisses ont voté sur trois initiatives qui portaient sur un « plan de financement de l’infrastructure ferroviaire » (approuvée par 60% des votants), « financer l'avortement est une affaire privée » (repoussée par 70%), retour à un système de quotas pour « l'arrêt de l'immigration de masse » (adoptée par 50,3%).
Si le « oui » à la troisième initiative a été très commenté en France, la deuxième initiative - à cause de son résultat ? - n'a pas retenu l'attention. Les Français ne sauront pas que les Suisses ont rejeté le déremboursement de l'interruption volontaire de grossesse, ce qui ne manque pourtant pas d'intérêt au moment où le gouvernement espagnol veut l'interdire. A la grande satisfaction de certains en France.
Quant à l'idée même que le peuple puisse décider, par référendum, des investissements dans les infrastructures ferroviaires.
- Référendum (CC BY-NC-ND 2.0)
- photo par Rue89 Strasbourg http://www.flickr.com/photos/rue89strasbourg/8631680530/
Avant de parler des résultats et des conséquences du référendum sur « l'arrêt de l'immigration de masse », il est intéressant de regarder ce qui se passe chez nos voisins helvètes qui ont une grande expérience des consultations populaires dont on parle en France essentiellement quand elles concernent les immigrés ou les populations issues d'immigration : droit de vote municipal ou cantonal, interdiction des minarets...
La démocratie directe a été la première forme de la démocratie. Par la suite, la démocratie indirecte, représentative s'est généralisée. La démocratie suisse combine les deux : les citoyens élisent leurs représentants aux différents conseils (communes, cantons, confédération) mais peuvent se prononcer également, par référendum, sur des textes législatifs ou constitutionnels adoptés par ces conseils ou proposer des modifications constitutionnelles ou légales par le biais de l'initiative populaire. Ces consultations sont organisées en général quatre fois par an au niveau fédéral. Les citoyens sont appelés à se prononcer sur un ou plusieurs sujets...
Pour qu'un référendum d'initiative populaire fédérale soit organisé, il faut que « 100 000 citoyens ayant le droit de vote » demandent par écrit « à l'Assemblée fédérale la révision totale de la Constitution ou l'adoption, l'abrogation ou la modification de dispositions constitutionnelles ou législatives ». L'initiative dispose de 18 mois pour obtenir les 100 000 signatures. Si cette initiative est présentée sous forme d'un projet rédigé, il ne peut être modifié ni par le Parlement, ni par le Conseil fédéral. Pour être adopté, ce projet doit obtenir une double majorité, du peuple et des cantons. Le résultat acquis, le Conseil fédéral dispose de trois ans pour modifier la législation, la Constitution, renégocier les traités si nécessaire.
La participation lors de ces consultations a beaucoup varié, passant de presque 70 % lors du début du XX° siècle à moins de 30 % un siècle plus tard. Mais elle tend à remonter : dans les années 2000, elle a été en moyenne de 47,2% variant entre 38,7% et 53,8%.
En France, les référendums ont mauvaise presse. Le premier date de 1793, pour l'adoption de la constitution jacobine qui n'a jamais été appliquée. Ils ont été utilisés comme instrument d'accession au pouvoir par les Bonaparte sous la forme plébiscitaire ce qui va entraîner une certaine méfiance des démocrates pour cette procédure.
Le référendum a servi pour enterrer la III° République et mettre en place la IV° et la V°. Il est inscrit dans la Constitution de la V° République comme un des moyens d'exercer la souveraineté mais son usage est restreint, constitutionnellement, à des domaines précis et l'initiative appartient toujours à l'exécutif.
Le général de Gaulle s'en est servi, à plusieurs reprises, pour obtenir le soutien à sa politique et à sa personne. C'est l'échec d'une réforme constitutionnelle par référendum qui l'a conduit à démissionner de président de la République. Depuis, l'exécutif a, à plusieurs reprises, pris l'initiative de soumettre une question à référendum, de façon moins personnalisée, sans poser la question de confiance et sans s'engager à démissionner en cas de résultat négatif.
En 2008, une « importante » réforme a introduit dans la Constitution ce que certains ont appelé, de façon un rien exagéré, un référendum d'initiative populaire, d'autres plus modestes, un référendum d'initiative partagée.
« Un référendum... peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». Il peut porter « sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions... »
« Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi... Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum. »
« Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique. »
Tout ceci est très éloigné du modèle suisse. Il ne s'agit pas d'un initiative populaire mais d'une initiative parlementaire qui doit rassembler 185 députés ou sénateurs, donc réservée en fait aux gros groupes parlementaires. Soutenus par 10% du corps électoral, environ 4,5 millions électeurs. Si ces conditions sont remplies et si la proposition de loi n'a pas été examinée - non adoptée - seulement examinée, le président de la République la soumet à référendum !
Faut-il ajouter que les lois organiques nécessaires pour mettre en place ce faux semblant de réforme démocratique de 2008 n'ont pas été adoptées à ce jour ? Tout ceci traduit la grande méfiance du législateur devant l'exercice du pouvoir par les citoyens.
L'initiative citoyenne européenne, prévue par le traité de Lisbonne, sans être contraignante pour la Commission européenne est plus ouverte : la Commission peut être amenée à rédiger de nouvelles propositions d'actes juridiques sans y est forcée, à la demande de seulement un million de citoyens de l'Union européenne.
Le référendum a pu paraître en voie de normalisation en France quand il a porté sur les statuts de la Nouvelle Calédonie (1988) ou de la Corse (2003), sur le traité de Maastricht (1992), le passage au quinquennat (2000) ou le projet de constitution européenne (2005). A chaque fois, la question était claire et n'engageait pas le gouvernement en place.
La participation a été inégale, particulièrement importante quand les référendums ont donné lieu à un véritable débat national comme lors des deux traités européens, Maastricht et projet de constitution européenne, avec des discussions qui ont montré que les Français pouvaient s'intéresser à la politique, y compris aux questions européennes pourtant négligées par les politiques lors de toutes les élections, y compris européennes.
Malheureusement, les résultats n'ont pas toujours été ceux qui étaient attendus par les compétents politiques. Ce qui a encore augmenté leur méfiance envers les référendums.
Il y a pourtant place pour un référendum dans une république apaisée et qui veut progresser vers plus de démocratie. Encore faut-il vouloir la participation, le débat démocratique et tenir compte du résultat, sans considérer les élus comme un recours contre le peuple !
Quand on parle de référendum et surtout de référendum d'initiative populaires certains « défenseurs de la démocratie » montent aussitôt au créneau. Mais ces « défenseurs de la démocratie » ne sont pas les mêmes suivant les questions envisagées.
Nombre de ceux qui voudraient soumettre à référendum les questions touchant l'immigration se sont organisés pour contourner le résultat du référendum sur la Constitution européenne en rédigeant un fac-similé, le traité de Lisbonne, qu'ils ont fait entériner par voie parlementaire. Inversement ceux qui veulent des référendums sur les questions institutionnelles, souvent, n'en veulent pas sur les questions de société.
Tous préfèrent les manipulations sondagières aux consultations populaires précédées de débats.
Il est certain que la question n'est pas simple car certains problèmes sont propres à déclencher des querelles passionnelles et il n'est pas sûr que des règles aujourd'hui évidentes auraient trouvé facilement une solution par référendum : ainsi du droit de vote des femmes (seuls les hommes auraient été consultés) ou suppression de la peine de mort qui semblent aujourd’hui largement acceptés...
Mais le débat n'est-il pas en démocratie la seule façon de faire avancer les questions qui divisent : questions concrètes comme choix des représentants, encore que le tirage au sort peut être envisagé pour la désignation de ceux-ci ?
La réponse a une question concrète est probablement plus facile et plus démocratique que l'élection d'une représentant.
Quand il s'agit d'une question concrète, aussi complexe soit-elle, elle est débattue à l'échelle de la collectivité locale ou nationale. Les raisons et les conséquences de cette décision sont avancées publiquement par les partisans et les adversaires et portées à la connaissance des citoyens.
Malgré les apparences, la chose est beaucoup plus complexe quand il s'agit d'élire un représentant. Tout d'abord le représentant est pré-choisi, le plus souvent par des organisations politiques. Qui, d'une certaine façon, apparaissent comme les garants du candidat. Mais l’électeur ne connaît pas toutes les transactions qui ont conduit à cette désignation. Il doit voter pour une personne sans être certain de sa fiabilité, sans être en accord avec la totalité de son programme. Sans avoir aucun recours en cas de non-respect, individuel ou collectif, des engagements. Sans connaître les questions imprévues sur lesquelles le représentant peut être amené à se prononcer.
Le seul recours possible est le vote lors de l'élection suivante. Un couperet pour lequel la réponse est binaire alors que le représentant aura fait adopter ou repousser des dizaines de décision.
Les choses seraient bien différentes si existait la possibilité au recours par un référendum d'initiative populaire. Qui pourrait faire annuler une décision sans mettre en question l'ensemble du travail du représentant. Ou faire adopter par la voie populaire une mesure qui ne trouve pas sa majorité dans les assemblées par suite des divisions ou des combinaisons partidaires.
Mais les politiques considèrent les électeurs compétents pour qu'ils leur délèguent, abandonnent le pouvoir de décision, non pour qu'ils prennent les décisions eux-mêmes. C'est forts de ce pouvoir reçu qu'ils amputent celui des citoyens !
La France a déjà une constitution qui fait de son système de gouvernement une monarchie républicaine où le président de la République jouit de plus de pouvoir que la plupart des autres chefs d’État ou de gouvernement de pays démocratiques. La démocratie française admet la liberté d'expression, de manifestation, ce qui est loin d'être négligeable. Mais pourquoi ne pas introduire un droit d'initiative populaire qui serait une importante avancée vers une démocratie pacifiée ?
La démocratie directe n'est pas contraire mais complémentaire à la démocratie représentative.
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