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Accueil du site > Tribune Libre > Démocratie et CPE : n’est pas représentatif qui veut.

Démocratie et CPE : n’est pas représentatif qui veut.

Si le gouvernement paraît illégitime dans son action autour du CPE, c’est sa contestation qui en réalité remet en cause la démocratie, son cadre juridique et la constitution qui sont les garants justement de son expression.

Faut-il retirer ostensiblement le CPE ou l’aménager ? Derrière cette interrogation apparemment légitime dont chaque citoyen peut se saisir, une interrogation plus sourde se tapit en réalité au creux de la première : Pourquoi se poser cette même question ? Pourquoi parler de retrait ? En effet, alors même qu’un sondage récent présenté dans le journal de LCI du 6 avril montrait que 58% des Français se prononcent non pas contre le retrait du CPE, mais pour son aménagement, l’UNEF, désormais seconde association étudiante (et non un syndicat) [cf. l’article d’Aurélie Champion], campe sur son discours mobilisateur : pour le retrait pur et simple du CPE.

Outrance dans les termes ? Faute logique ? Sûrement, sachant que les associations étudiantes ne sont pas des syndicats, donc nullement représentatives (même si elles sont choisies temporairement par le gouvernement comme interlocutrices), elles construisent une légitimité politique alternative, en se déclarant justement représentatives puisqu’elles l’ont votée comme telle... lors de leurs assemblées générales à la très forte majorité de leurs participants.

Etonnante démocratie, où l’on voudrait que la démocratisation des structures infra-étatiques (associations, syndicats, sociétés, groupements, etc.) suffise par son propre processus délibératif, par extrapolation, à venir incarner le collectif, en dehors de tout principe de représentation. Or la partie ne peut prétendre représenter le tout.

On voit en quelque sorte par déformation se structurer un mécanisme "incarnatif" que l’on retrouve dans la sous-représentation structurelle du syndicalisme français. Avec pourtant seulement 7% du corps salarial, celui-ci peut légitimement, par un retournement inédit, incarner la classe des salariés (soit 88 % de la population) dans son ensemble, vécue comme silencieuse dans son consentement. « La part des sans-part », comme le dirait le philosophe contemporain Jacques Rancière, est portée par le célèbre abus de majorité (major pars), cette dictature sans partage qui condamne la minorité (minor pars) à l’exclusion et au rejet.

Qu’en reste-t-il sur le terrain constitutionnel ? D’abord un refus persistant des contestataires à reconnaître la légitimité des élus de la Nation. Sommes-nous retombés trois siècles en arrière ? On croirait revivre certains arguments portés par la pensée réactionnaire au lendemain de la Révolution française : le principe représentatif, contrairement aux Etats généraux (assemblées d’Ancien régime), n’était que la majorité d’un instant... Ce à quoi les libéraux pouvaient répondre en reprenant à leur compte le discours d’Edmund Burke, homme politique et philosophe britannique, à ses électeurs de Bristol, que le choix d’un mandataire, excluant toute impérativité, devait avant tout se déterminer pour ses qualités humaines, afin, par définition, de parer à l’imprévu... ce pour quoi il était d’ailleurs député.

A cette légitimité donc du corps législatif, contesté dans sa vocation à incarner la nation, en opposant celle du peuple réel, celui de la rue, le peuple mobilisé, se conjoint le rejet de la légitimité du Conseil constitutionnel. On a pu voir avec quelle facilité, les représentants syndicaux « attendaient la décision » validant la constitutionnalité de la loi sur l’égalité des chances... sans réserve concernant son article 8 relatif au CPE ! La solution était pourtant binaire, et sans doute la censure aurait-elle valu à la haute juridiction de se voir qualifiée de réaliste, prenant finalement une décision de bon sens, le vrai peuple ne pouvant jamais mentir, cette authenticité paysanne transférée de son passé vichyste dans l’ordre de l’urbanité résignée de nos sociétés modernes... L’exclu, qu’il soit sans-papier, chômeur, précaire, jeune, dans sa réalité nue, ne peut pas se tromper.

Ce que veut montrer cette tribune, c’est qu’in fine, ce sont les pouvoirs publics qui sont remis en cause, au nom d’une appréciation politique de l’usage du pouvoir gouvernemental qui nie le principe de juridicité. En réalité, nous nous trouvons dans un dilemme qui relève de la simple éducation politique : on ne dénonce pas un système lorsqu’on s’aperçoit que toutes ses potentialités ont été mises en oeuvre dans un but déterminé. On le refuse en soi, à la base, mais en ce cas il faut le dire indépendamment de la crise elle-même, à moins de penser que la politique est avant tout un opportunisme. Si feu le professeur de droit Boris Stark pouvait dire dans son Traité d’introduction au droit que l’essence du droit est d’être le contraire de la morale, tout recoupement entre ces deux catégories étant purement fortuit, il faut reconnaître qu’il s’agissait ainsi de montrer la vocation avant tout structurante de la règle commune, indépendamment de la qualité portée sur telle ou telle personne. C’est sans doute un paradoxe du droit, et pourtant le sceau de la démocratie... En sachant, en outre, qu’il reste toujours le moment de l’élection, désormais si proche, pour sanctionner définitivement les gouvernants.

Samuel-Frédéric Servière et Julien Arnoult


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11 réactions à cet article    


  • Ludovic Charpentier (---.---.68.100) 10 avril 2006 12:48

    Il y a quand même un problème grave en France avec nos institutions actuelles : l’absence d’un véritable contre-pouvoir. Les élus de l’opposition sont tout autant respectables que ceux du gouvernement. Le problème est que leur rôle reste assez symbolique, faut d’une vraie confiance vis à vis d’une opposition supposée « empêcheuse de réformer en rond » alors qu’elle serait plutot « proposeuse de réformer autrement » (les contrepropositions du groupe socialiste sur la réforme de la sécu semblaient judicieuses mais ont été snobés par Douste-Blabla et consors). Quand aux syndicats, certes il y a peu de syndiqués. Mais pour quelle raison ? Pour la plupart des employés, les syndicats n’ont qu’un rôle symbolique, ils n’ont guère été écoutés jusque là... Pour une fois, les syndicats ont démontré leur importance dans l’union, et ont sans doute donné envie à des employés de les rejoindre. A condition qu’ils ne bouzillent pas tout dans leurs luttes internes...

    Pour réformer intelligemment et démocratiquement, il faudrait :
    - La consultation systèmatique des syndicats avent toute réforme. Paradoxalement, Borloo avait déposé une loi en ce sens en 2004, snobée pour le CPE. Et c’est plus la forme qui a choqué dans la crise du CPE (passage en force au détriment d’une loi votée par le même gouvernement) que le fond.
    - Une deuxième chambre qui joue vraiment son rôle de contrôle démocratique des travaux de l’Assemblée Nationale. Or le Sénat est à l’heure actuelle vissé à droite. Il ne remplit donc son rôle de contrôle que quand la gauche est au pouvoir... Pour compenser, il faudrait un Sénat élu par les Régions, comme en Allemagne, ou mieux encore un Sénat élu à la proportionnelles intégrale, obligeant un jeu d’alliance pour faire passer lois ’modérées’ ou lois plus radicales...


    • Bruno de Clock (---.---.24.199) 10 avril 2006 19:50

      Ludovic,

      Vous avancez comme cause de la sous représentation syndical, le fait que les français croient que les syndicats n’ont qu’un rôle symbolique. N’est pas un peu court. Pour moi le rôle du syndicat est important. Il est sensé représenter les travailleurs et donc avoir une vision très pragmatique du monde du travail.

      Or, en France, on ne peut que constater que les syndicats ne sont pas pragmatiques, qu’ils sont très orientés politiquement. Les « grands syndicats » français sont tout de même affiliés à des partis politiques d’extrême gauche. Ne faut il pas voir là le manque de représentativité des syndicats. Honnêtement, je suis quelqu’un qui a plutôt des idées de droite et aujourd’hui, je suis incapable de choisir entre un syndicat car leur action est moins la défense des salariés que la promotion des idéologies aux quelles ils sont liés.

      Cordialement,

      Bruno de Clock


    • Christophe (---.---.58.18) 10 avril 2006 23:51

      Les « grands syndicats » français sont tout de même affiliés à des partis politiques d’extrême gauche

      Que vous considériez SUD comme un syndicat fortement ancré à l’extrème gauche, soit. Que la CGT et, moins engagé sur cette voie, la CFDT aient des appointances respectivement avec le PC et le PS, je vous l’accorde. Et les autres ?

      Et qu’est-ce qu’avoir une vision pragmatique ? Abonder dans le sens de la gouvernance ou proposer des propositions cohérentes indépendantes ?


    • (---.---.229.136) 11 avril 2006 10:19

      @Ludovic J’ai le droit de vote et je l’utilise pour elire un maire, un depute, un president. Je mandate ces gens la pour etablir des lois. Si les syndicats veulent avoir un mot a dire, ils doivent passer par le suffrage universel car ceux que je vois manifester, ils ne me representent du tout. J’ai vraiment le sentiment qu’on baffoue mes droits, car en France mon droit de vote n’est pas respecté. A quoi bon se deplacer pour voter si in fine, la personne que nous mandatons (donc legitime) doive sans cesse cerder au chantage des minorites ?


    • Ludovic Charpentier (---.---.68.72) 11 avril 2006 12:20

      Si vous avez voté Chirac dès le premier tour, comprenez que vous n’êtes que 18% dans ce cas... Où est la représentativité ? D’ailleurs, depuis les 101 mesures de Mitterrand, aucun candidat à la présidentielle (et surtou pas Chirac) n’a osé prendre le risque de proposer une vraie feuille de route, mis à part Madelin à la rigueur qui s’est joliment planté en 2002 en proposant tout haut ce que la droite passait sous silence...

      Quant au ’gauchisme’ des syndicats, c’est ’plutôt’ vrai pour FO et la CGT (quoique Mailly et Thibault sont quand même beaucoup moins ’idéologiquement obtus’ que ne l’étaient Blondel ou Krazucky...). Mais la CFDT est plus modérée, et que dire de la CFTC (Conférédation Française des Travailleurs Chrétiens, ce n’est pas un syndicat de gauchistes) ?

      Le problème est que les syndicats sont dans un cercle vicieux : leur faible nombre d’adhérents les poussent à agir dans la crainte de la perte de ceux-ci... et à chercher à se montrer plus à gauche que le voisin (à part la CFTC qui est un nain à côté des trois gros, mais un nain toutefois opposé au CPE...). Et puis, l’erreur est humaine, affecte tout le monde, inclus les puissants qui nous gouvernent. Problème : comment le leur faire comprendre quand ils se plantent autrement que par la pratique du zapping électoral ?


    • Gio (---.---.55.116) 12 avril 2006 15:44

      Chirac, 18% des voix, et les autres ?!

      A vous lire certainement beaucoup plus représentatifs


    • Aline (---.---.1.121) 10 avril 2006 20:48

      Certes une majorité de français a élu le Parlement actuel ; le gouvernement peut être considéré comme représentatif. Il a le Droit pour lui.

      Est ce une raison pour mépriser, une fois élu, ses électeurs et les citoyens ?


      • www.jean-brice.fr (---.---.151.130) 10 avril 2006 21:08

        Allez sur www.jean-brice.fr et vous aurez une autre approche...


        • jean (---.---.138.147) 10 avril 2006 21:25

          vous vous êtes mis à deux pour écrire ce tissus d’inepties ou c’est l’un qui à copié sur les bétises de l’autre ?

          « Si feu le professeur de droit Boris Stark pouvait dire dans son Traité d’introduction au droit que l’essence du droit est d’être le contraire de la morale, tout recoupement entre ces deux catégories étant purement fortuit »

          A non ! il y en a un troisieme : Boris Stark, le gourou-sophiste de service...


          • filaplomb (---.---.78.210) 11 avril 2006 08:38

            Pour Stark, les intérêts dont se prévalent les particuliers ne sont pas tous également dignes de protection et, il convient de ne pas paralyser l’action de ceux qui prennent des initiatives. Lu sur : www.sciencepolitique.net /cours/fichiers/responsabilitecivile.htm Le problème de la responsabilité consiste à concilier 2 droits antagonistes : droit d’agir et droit de ne pas subir injustement les conséquences de l’action d’autrui. Il admet donc que pour situer le point d’équilibre entre ces 2 droits, il faut tenir compte de l’importance de l’intérêt lésé. Les intérêts essentiels (intégrité corporelle, intégrité des biens) doivent être garantis objectivement et si une atteint leur est portée, l’auteur doit en répondre civilement dans tous les cas sans rechercher s’il a commis ou non une faute.


            • jean (---.---.167.40) 11 avril 2006 10:33

              Rien que cette formule « les intérêts dont se prévalent les particuliers » est fausse. Le terme « intérêt » n’a aucune valeur juridique.

              En parlant d’intérêts particuliers il ferait indirectement allusion aux droits fondamentaux mais sans les désigner. Puisque par nature dans la République les droits sont égaux : égalité des droits. Donc cela ne servirait pas cette thèse des droits à géométrie variable. La protection totale pour ceux qui causent des nuisances par leur activité (OGM, pétroliers, etc.), protection réduite pour ceux qui les subissent (le public, les communes exposées, etc.) ...

              Astucieux, mais enfin un peu grosse la ficelle... Il n’a pas inventé le fonds de garantie, ni l’eau savoneuse, le sale gosse !

              Un ennemi de la République de plus... ils se multiplient entre eux on dirait !

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