Des places de cinéma gratuites pour lutter contre l’absentéisme scolaire ! Non, ce n’est pas une blague !
On reste sidéré devant la capacité d’invention de l’Éducation nationale pour imaginer les solutions les plus saugrenues aux problèmes tragiques qui se posent à elle. Pour lutter contre l’absentéisme scolaire, selon Le Figaro du 7 juin 2008, le lycée professionnel Louis-Lumière à Chelles de Seine-et-Marne vient de faire miroiter des places de cinéma gratuites aux élèves les plus assidus. Pourquoi ne pas envisager de leur verser un salaire, tant qu’on y est ?
Quand on a appris à marcher sur la tête, il devient difficile de tenir sur ses pieds.
Cette rétribution fait songer aux disques, films ou livres que les journaux proposent pour déclencher l’acte d’achat de leurs numéros. La différence toutefois est que l’école est gratuite et obligatoire. Ainsi gratuité et obligation scolaires n’auraient-elles pas des effets pervers ?
Une école d’abord obligatoire pour les parents
C’est d’abord un fait établi que la notion d’école obligatoire a changé en 120 ans. Qu’on se rappelle les années 1880 qui ont vu l’instauration de l’école obligatoire, pour des raisons à la fois philanthropiques, économiques et politiques puisqu’il s’agissait autant de former des employés alphabétisés pour les besoins de l’industrie que d’arracher les paysans à l’emprise du curé et du châtelain aristocrate, monarchistes impénitents.
Se retrouver sur les bancs de l’école pour les enfants n’était pas une corvée, en comparaison du travail des champs auxquels ils échappaient : le petit paysan passait d’une vie pénible de commis de ferme au service de ses parents, à une vie relativement reposante d’apprentissage intellectuel et de jeux, avec l’espoir d’échapper à cette terre qui ensevelissait les siens de leur vivant. Il fallait alors faire obligation d’envoyer leurs enfants à l’école à des parents souvent paysans, qui se résignaient mal à devoir renoncer à une main-d’œuvre enfantine gratuite, si utile au travail de la ferme.
Une école devenue obligatoire pour les élèves
Qu’en est-il aujourd’hui ? La situation est inversée, même si certains enfants sont invités à aider leurs parents commerçants ou artisans en dehors de l’école : la majorité des élèves, sauf erreur, situent le lieu de travail à l’école et la détente au-dehors. L’obligation scolaire est ressentie désormais comme une contrainte par l’élève. Venir à l’école, c’est quitter le repos des vacances pour un univers d’effort et de travail.
Pis encore, les élèves doivent accepter une évaluation sans complaisance à l’école – sauf égarement démagogique –, quand, à l’extérieur de l’école, les médias redoublent quotidiennement de flatteries pour obtenir d’eux la pulsion d’achat d’un produit – journaux, films, nourriture, vêtements, sports, etc. – et que leur sont offerts en modèles des stars à qui une complexion physique innée (les mannequins) ou un savoir-faire limité (les sportifs) suffisent à rapporter des revenus mirobolants : le salaire mensuel net d’un footballeur professionnel dans un club français pouvait, en septembre 2005, monter à 162 000 euros, sans compter d’éventuelles recettes publicitaires pour jouer sans compétence aucune le prescripteur de produits auprès d’un public tout entier prisonnier du réflexe d’identification.
Diplôme dévalué, réseau prisé
Ainsi, à longueur d’antenne et de colonnes de magazines, est vanté un type de « réussite » où un minimum de savoir est parfaitement inutile pour l’atteindre. L’appartenance à un réseau – comme l’a récemment rappelé, dans Le Monde du 30 mai dernier, Mme Rachida Dati, ministre de la Justice, pour expliquer sa fulgurante ascension sociale – est autrement plus efficace.
C’est que la détention d’un diplôme n’est plus le billet d’accès à un emploi certain, ni par temps de chômage ni par temps de croissance. Un des motifs est en particulier une dévaluation du diplôme lui-même, tant en contenu qu’en raison de son obtention par un trop grand nombre de candidats. Dans ces conditions, le traditionnel jeu des relations clientélistes devient décisif. À l’image de Mme Dati, mieux vaut se préoccuper de « se faire son réseau ». Et de réseaux, il y en a de toutes sortes : de l’économique à l’idéologique, de la coterie ou de l’écurie à la mafia.
À quoi bon perdre son temps à l’école qui a cessé d’être le fameux "ascenseur social" automatique qui permettait à un enfant de milieu modeste de devenir banquier, puis président de la République, comme Georges Pompidou ? Mais pour avoir trop insisté sur ces défaillances décourageantes, et avoir confondu l’école avec l’antichambre de l’entreprise, on en est venu à sous-estimer le fait qu’il vaut mieux avoir tout de même le diplôme plutôt que de ne pas l’avoir sur le marché du travail.
Dans ce contexte, les places de cinéma offertes pour lutter contre l’absentéisme scolaire sont-elles bien une réponse adaptée au problème ? Que peut un cachet d’aspirine contre un cancer ? En revanche, qu’a fait l’École, de son côté, pour armer ses élèves contre le conditionnement auquel les soumettent les médias de masse – musique, film, radio, télévision, internet, presse – et qui structure aujourd’hui leur minimum culturel ? Saturation sensorielle, entretien d’une incapacité infantile d’attention, stimulation violente des réflexes primaires que sont le voyeurisme, l’identification ou la vanité, tels sont les procédés qui caractérisent les médias plébiscités par la majorité.
Or, l’école peut-elle rejeter toute responsabilité dans un tel désastre ? Les spectateurs qui, cette fois, par leur assiduité encouragent ces programmes télévisés ou ces films, par exemple, n’ont-ils pas tous été soumis à l’obligation scolaire, depuis 120 ans qu’elle existe ? Et leur choix n’est-il pas un indice de la qualité du savoir qu’ils ont retiré de l’école ?
Paul Villach
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