Divorce : Faut-il maintenir la prestation compensatoire ?
La prestation compensatoire, payée à l’autre par l'un des époux lors d'un divorce, a connu plusieurs réformes ces dernières décennies, mais continue d'être controversée en raison du coût qu'elle représente pour les débiteurs, de sa finalité et de ses justifications qui restent floues. Par ailleurs, faut-il la supprimer alors que les femmes françaises ont largement conquis le marché du travail depuis plusieurs décennies ?
Commençons par un peu d'histoire
Au caractère indissoluble du mariage et à la distribution sexuée des rôles a répondu pendant longtemps le paiement d’une pension viagère après divorce : l’homme assurait des revenus à son ex-épouse, indépendamment des sommes versées pour les enfants communs.
Parce que ce modèle constituait une source permanente de conflits entre ex-époux, la loi a voulu l’abandonner en 1975 en instaurant une prestation compensatoire (PC), préférant au versement d’une pension un versement en capital, destiné à compenser la disparité des niveaux de vie au moment de la séparation et dans un avenir prévisible.
Cependant, ces nouveaux textes législatifs furent rapidement pervertis par des magistrats continuant à appliquer le principe du versement d’une rente viagère, posant le postulat d'une incapacité de l’époux débiteur à honorer une telle dette sous la forme d'un capital.
Cette rente viagère non révisable, transmissible aux héritiers, conduisait parfois à des situations manifestement injustes dans lesquelles le conjoint débiteur demeurait contraint de payer une pension à son ex-conjointe alors même que la situation économique de celle-ci s’était considérablement améliorée et que celle du débiteur s’était dégradée.
C’est ainsi que même en cas de remariage avec un homme plus fortuné que l’ex-mari, l’ex-épouse conservait à vie cette pension dont manifestement elle n’avait plus besoin.
Alors que d’autres pays tels l’Espagne avaient déjà prévu l’extinction d’une telle pension lorsqu’elle ne se justifiait plus, comme par exemple dans le cas d'un remariage ou d'un concubinage de l’ex-épouse, ou bien encore après la perception d’un héritage conséquent, voire tout simplement après une amélioration substantielle de sa situation sur le marché du travail, la France avait laissé perdurer une situation qui suscitait bien souvent la réprobation à la fois de l’ex-époux débiteur contraint de payer à vie quel que fut l’amélioration du niveau de vie de l’ex-épouse, mais aussi des héritiers contraints de devoir simuler, au delà du décès du débiteur, la poursuite d’un mariage pourtant dissout plusieurs décennies auparavant.
Prenant acte de ces aberrations, le législateur Français a définitivement consacré le principe d’un paiement en capital, dans sa réforme du divorce entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Désormais la rente viagère deviendrait l’exception :
« À titre exceptionnel, le juge peut, par décision spécialement motivée, lorsque l'âge ou l'état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins, fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère » Article 276 du code civil.
La prestation compensatoire, un concept difficile à appréhender et qui se heurte au principe de réalité
Il reste néanmoins que les fondements même de la prestation compensatoire continuent d’interroger alors que les femmes ont massivement conquis le marché du travail depuis plusieurs décennies.
Par ailleurs, si l'on observe le comportement des générations actuelles, on ne peut que constater une nette préférence pour le PACS en substitution du mariage puisque son nombre a été multiplié par 10 en 15 ans alors que le nombre de mariages chutait de 25% pendant ce même temps.
Et lorsqu'il a mariage, on constate un part croissante des unions en séparation de biens.
Si le régime de la communauté de biens reste majoritaire dans le stock des mariages en cours, le recours à la séparation de biens a augmenté de 64% entre 1992 et 2010. En 2010, pour les couples récemment formés (soit, ensemble depuis moins de 12 ans), ce taux atteint presque 20%.
Les couples cherchent à échapper à cette communauté de biens qui est encore imposée aujourd'hui, puisque c'est par défaut le régime auquel les futurs mariés sont soumis.
Un tel rejet de l'institution "mariage" ne peut manifestement pas s’accompagner d’une adhésion significative au principe de la prestation compensatoire. Lorsqu'il existe, le désir d'union s'accompagne aussi du soucis de préserver l'indépendance financière de chacun et de contrôler au coup par coup ce qui est partagé ou non d'un commun accord.
Quant au recours massif au Pacs il ne peut qu’illustrer le rejet d’une ingérence de la puissance publique dans leurs affaires, domaine qui leur paraît éminemment d’ordre privé.
Force est de constater que tous les changements législatifs et sociétaux n’ont cessé d’évoluer dans le sens d’une libéralisation du divorce et d'une diminution des engagements réciproques entre conjoints de faits ou légaux.
Partant, il n’est plus possible de considérer le mariage comme une promesse de vie commune ni d'un partage de revenus « jusqu’à ce que la mort nous sépare », ce qui aurait pu justifier une compensation destinée à compenser la disparité dans les conditions respectives de vie après le divorce.
Mais peut-on encore arguer d’une inégalité de genre uniquement imputable à la vie de couple dans le mariage, période maritale dans laquelle la femme s’investirait plus que l’homme dans les taches ménagères ? Probablement plus. Ce serait d’ailleurs perpétuer l’idée d’une dépendance économique de la femme vis à vis de l’homme ainsi que celle de la femme au foyer éloignée de l’emploi.
Compte tenu du développement massif des autres formes de vie commune que sont le Pacs et le concubinage, comment soutenir l'idée d'une inégalité de genre qui n'existerait que dans le mariage ?
Peut-on avancer l’argument de la parentalité alors même que 6 enfants sur 10 naissent hors mariage ? Les contraintes liées à la parentalité diffèreraint-elles selon que les parents soient mariés, pacsés ou concubin ? Bien sûr que non.
Face à de telles évidences s’ajoute une difficulté supplémentaire d'interprétation le la PC : si un mariage sur deux se solde par un divorce, n’est-ce pas aussi parce que cette institution proposée par les pouvoirs publics n’est plus adaptée à nos sociétés modernes. Les pouvoirs publics eux-mêmes ne portent-ils pas une responsabilité en tant que promoteurs du mariage ?
C'est donc à la lumière de ces évolutions sociétales notoires qu'il apparaît légitime de revisiter la question de la prestation compensatoire et de son existence même.
Cependant, si l'on conservait le principe d'une indemnisation, que devrait-on compenser au moment du divorce et pourquoi ? Qui devrait supporter le poids de l'indemnisation ? L’un des deux conjoints ?
La puissance publique qui a elle-même institué le mariage, institution qui finalement ne convenait pas dans un cas sur deux peut-elle se dédouaner de sa part de responsabilité ?
Des éléments incontestables de réponse auraient pu être donnés si le législateur avait produit une définition claire du mariage. Mais il n’en n’est rien. Aucun article du code civil, aucun texte de loi ne donne une quelconque définition du mariage.
Ainsi les objectifs de cette prestation compensatoire n’ont jamais été tranchés et les magistrats eux-mêmes peinent à évaluer son montant. Preuve en est la variabilité selon les juridictions. Preuve en est le foisonnement des méthodes de calculs toutes aussi farfelues les unes que les autres. Elaborées en fonction de la conception personnelle du mariage de tel ou tel auteur pour arriver à un résultat pré déterminé avant même la construction de la méthode en question. Tant que vous y êtes, Monsieur Depondt, pourquoi ne pas multiplier votre résultat par le logarithme népérien du poids moyen des notaires du département … ?.
S’agit-il de répondre aux besoins de l’époux sans ressource, en rattachant au mariage des obligations spécifiques justifiant la perpétuation d’un devoir de solidarité au-delà de la rupture ? Dans ce modèle, la base de calcul de la prestation est le besoin alimentaire de l’époux créancier. Mais si l’épouse est en emploi, où se situe le besoin ?
S’agit-il d’équilibrer en tout ou partie les niveaux de vie après la séparation ? Ce serait nier l’existence du divorce en simulant la poursuite du mariage. Résultat paradoxal à l’heure où le divorce est devenu un droit quasi inconditionnel.
S'agit-il de justifier une prestation compensatoire parce que statistiquement le niveau de vie des femmes baisserait plus que celui des hommes après le divorce ? Cela reviendrait à opter pour une condamnation ex ante sur la base de préjugés, sans tenir compte des situations particulières. Mais ce serait aussi admettre la pérennisation d’un principe de dépendance économique des femmes, lesquelles s’enrichiraient pendant le mariage alors que les hommes s’appauvriraient pendant le même temps. Une fois le mariage dissout, le mécanisme naturel des forces de travail personnelles impliquerait un différentiel qu’il serait légitime de compenser uniquement en cas de passage préalable par la case mariage mais pas dans les autres cas.
S’agit-il enfin de compenser la perte de capacité de gains pour l’époux qui s’est investi plus que l’autre dans les activités domestiques au détriment de sa trajectoire salariale, considérant que l’équité commande de l’indemniser du préjudice subi ? Ce serait baser la prestation compensatoire sur le principe de la responsabilité civile.
Au delà du flou et de l’incompréhension d’un tel objet conceptuel, on voit bien qu’aujourd’hui la question de la prestation compensatoire ne se pose plus dans les termes qui ont présidé à la rédaction de l’article 270 du code civil et dont ont peut d’ailleurs interroger la constitutionnalité.
Quelles pistes d’évolution ?
C’est ainsi que le Portugal a réformé son droit de la famille avec une volonté d’adaptation à la société contemporaine. Dans la loi du 31 octobre 2008 le législateur a décidé de ne plus faire porter l’accent sur les déséquilibres économiques naturels consécutifs à la rupture du mariage, mais seulement de répondre aux dommages matériels subis par l’un des conjoints et ayant pour origine les renoncements faits par celui-ci pendant le mariage. Sa réponse fut la mise en place d’un crédit compensatoire.
Par ailleurs, si l’obligation alimentaire demeure, elle a subi une nouvelle lecture. Cette obligation alimentaire se fonde maintenant sur une situation de besoin : l’obligation alimentaire au moment du divorce est limitée par l’affirmation expresse du principe d’autosuffisance.
La législation est devenue exigeante en la matière et le droit aux aliments présente une nature exceptionnelle. L’ex conjoint doit mobiliser l’ensemble des ressources à sa disposition afin de pourvoir à ses besoins. Il ne s’agit donc pas d’équilibrer les niveaux de vie rendus différents par le divorce mais seulement de pourvoir aux besoins de l’un des époux s’il est incapable d’y pourvoir par sa force de travail personnelle.
Le crédit compensatoire quant à lui met l’accent sur les dommages subis et les pertes qui en résultent. Son but est indemnitaire. Le législateur a pris pour matrice celle de la responsabilité civile c’est à dire, remédier aux dommages causés par le mariage plutôt que de se fonder sur un principe d’enrichissement sans cause visant à compenser la disparité des niveaux de vie consécutive au divorce sans égard à l’origine fondamentale de ces disparités.
On le voit, le Portugal a opté pour une vision cohérente avec la libération du divorce et l’évolution des rapports hommes-femmes dans nos sociétés modernes. Ce n’est plus la rupture du mariage qui est compensée, mais les dommages que le mariage a pu causer à l’un des deux conjoints.
Et la France ?
Dans sa volonté de réduire les inégalités de genre sur le marché du travail, La France a fait le choix de se doter d’un arsenal législatif contraignant à l’égard des entreprises coupables de discriminations.
Hommes et femmes entrent dans la même relation d'ordre. Tous les métiers sont ouverts aux femmes. Elles ont accès aux mêmes formations que les hommes si elles le souhaitent. Les concours d'entrée aux grandes écoles formant nos élites leur sont ouverts dont celui de l'école militaire la plus prestigieuse de France : Polytechnique.
Bon nombre de réformes ont été adoptées pour concilier vie familiale et vie professionnelle : congés spéciaux rémunérés, dispositifs de garde d’enfants, aides ménagères à fiscalité avantageuse, réductions collectives du temps de travail et une avancée majeure dans notre tout nouveau code du travail, le droit opposable au télétravail.
D’autres éléments de réponse démontrant une évolution vers la responsabilité civile se trouvent déjà dans le code civil.
Citons l’article 271 de notre code civil :
La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
A cet effet, le juge prend en considération notamment :
- la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.
Le dernier alinéa de cet article est sans ambigüité. Reprenons sa rédaction en y incluant le sixième alinéa :
leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire PAR les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne.
Que déduire de cette rédaction ? Que ce qui doit être compensé c’est un dommage causé par le mariage et non pas la constatation d’une simple différence résultante de l'effet naturel des qualifications professionnelles. Et au passage, que les droits à la retraite sont des biens propres et non des biens communs puisqu’il n’y a pas lieu de les égaliser mais seulement de compenser un dommage éventuel.
Nos sommes donc déjà en marche vers la responsabilité civile.
Serons-nous capables d’évoluer vers une conception claire et acceptée de la prestation compensatoire car totalement axée sur une notion de responsabilité civile où resterons-nous arcboutés sur une conception hors du temps, aussi floue qu’injustifiable et incompréhensible ? Il en ira de la survie de l’institution du mariage déjà largement concurrencé par les autres formes de vie commune.
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