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Du renoncement libérateur à la rencontre céleste (théorie du PCRA 4)

Après les 1, 2, 3 premières parties de cette étude, nous allons tenter ici d’achever l’esquisse d’une théorie psychologique de l’amour courtois en explicitant comment l’aban-don de soi, c’est-à-dire, le sacrifice entendu comme renoncement à son désir de satisfaction, à la possession de l’objet désiré se trouve être tout à la fois la condition de possibilité d’une rencontre de sujet à sujet, mais aussi, la source d’un désir qui, porté à l’incandescence, ne s’éteint jamais et constitue en soi, une source de jouissance qui ne connaît pas la crise.

Que nous l’assumions ou non, la dimension sacrificielle inhérente à l’aban-don de soi auquel invite la passion amoureuse n’est pas un héritage suranné. Car c’est toujours par ce que l’on est prêt à lui sacrifier que l’on dit à l’autre la valeur qu’il/elle a à nos yeux. Le monde marchand l’a bien compris qui, avec force publicité, invite l’amant à casser sa tirelire pour offrir à sa belle le plus beau des bijoux.

Le renoncement à l’accomplissement du désir physique qui se dit dans l’épreuve amoureuse de l’assag — quand la belle et le chevalier passent une nuit nue à nu, sans se toucher, seulement séparés par une épée — n’est donc pas du masochisme, mais une discipline que l’on s’impose joyeusement car au travers d’elle nous disons à l’autre qu’il n’est pas le simple objet de nos désirs sexuels, mais le sujet que nous désirons rencontrer.

L’amour humain peut (doit ?) dépasser l’animalité de l’Eros possessif en y associant l’Agapé, cette forme d’amour qui porte au don de soi, et qui s’incarne généralement dans l’attitude des parents disposés à tout sacrifier, y compris eux-mêmes, pour leurs enfants ; ce dont, notons bien, l’animal est lui aussi capable.

L’amour courtois ou fin’amor est, comme son nom l’indique, un amour civilisé, tout empreint de bonnes manières qui sont, à tout instant, dans la plus minuscule des attentions, dans la moindre parole, l’occasion de dire à l’autre le respect qu’on lui porte.

l faut y insister, cela s’opère à chaque fois par une forme de renoncement à la toute puissance primitive de nos désirs qui fait de l’autre un objet de satisfaction. Le simple fait d’être capable de se taire, pour laisser la parole à l’autre et simplement l’écouter, est déjà une forme de renoncement, un sacrifice miniature qui, sans mot dire, fait comprendre à l’autre qu’on le considère comme un sujet, comme un être libre que l’on entend respecter en tant que tel et dont la parole a pour nous de la valeur, quoi que ce soit qu’elle veuille dire. Lorsque nous sommes portés par le désir, lorsque nous avons le souci de plaire, nous savons sacrifier à cette règle de politesse que, malheureusement, nous nous empressons souvent d’oublier dès que l’objet du désir est venu en notre possession.

L’amour courtois a porté cet esprit de renoncement, l’Agapé, au cœur de l’Eros. Il en a fait une règle qui, tout en s’appuyant sur les autres règles — les interdits qui permettaient de faire obstacle à l’accomplissement du désir —, les a dépassées et a ouvert un nouvel espace relationnel, celui de la rencontre de sujet à sujet.

La condition d’une telle rencontre étant le renoncement au désir naturel de « possession » de l’autre, le refus de le réduire à un statut d’objet de satisfaction de nos besoins sexuels et affectifs, on peut comprendre que cet espace, ouvert il y a un millénaire, soit encore quasiment vierge.

Il reste à conquérir. Car, vous l’avez compris, la révolution de l’amour courtois est depuis longtemps révolue, laminée et récupérée qu’elle fut par l’institution du mariage. Trop vite réduit à ses dimensions sociales et biologiques, l’amour libre des anarchistes n’a, quant à lui, connu qu’un feu de paille lors des belles années de la contre-culture. Son potentiel révolutionnaire n’a pu s’affirmer faute d’une maîtrise suffisante de la dimension psychologique. La libération de la pulsion sexuelle a surtout fait apparaître l’actualité de la domination masculine. Au moins en avons-nous fini avec l’angélisme du désir sexuel, qui n’est pas automatiquement bon parce que « naturel ».

Mais il nous faut encore en finir avec l’angélisme du sentiment. Il est temps de reconnaître qu’au travers de la possessivité qu’elle tend à légitimer, l’innocente sentimentalité constitue le réservoir constamment renouvelé de l’archaïsme, c’est-à-dire, de la violence, qui caractérise encore les relations de couple.

Ainsi Pascal Bruckner a bien raison quand il écrit… :

" On sait aujourd'hui que l'amour n'est pas démocratique, qu'il ne répond pas à la justice ni au mérite, qu'il charrie la dépendance, l'abjection, la servitude aussi bien que le sacrifice et la transfiguration. C'est cette complexité de l'amour que nous devons redécouvrir. "

Mais il le dit en croyant encore au sentiment, en croyant qu’après la révolution sexuelle des années 60 et 70, il suffira de lui faire à nouveau une place pour que vienne la paix des couples. Insondable naïveté. Le monde a parfois connu la paix des braves mais jamais celle des couples, au moins pour ce qui est du plan sociologique, c’est-à-dire, statistique. Cette paix reste à forger.

La référence que fait Bruckner à la démocratie, surprenante dans le contexte amoureux, est cependant des plus judicieuses car c’est bien du respect du sujet, du respect de sa liberté dont il s’agit. Renoncer à posséder l’autre, à le « contrôler », à l’avoir en son pouvoir pour en faire un être-sous-la-main, un objet de désir destiné à combler nos besoins sexuels et affectifs, c’est renoncer à l’archaïsme et à l’« ancien régime », c’est lui reconnaître la totale liberté d’être ce qu’il/elle est ou veut être, c’est-à-dire, la totale liberté d’agir selon son désir de sujet libre. C’est, en somme, permettre à la démocratie d’advenir dans le couple.

Aussi incongrue que cette dernière puisse sembler ici, elle est éminemment souhaitable car l’autre devient alors infiniment désirable pour au moins deux raisons. D’abord parce que «  rien ne me fait plus envie qu’un objet qui toujours m’échappe ». Ensuite parce que le fait que ce soit un être totalement libre qui me choisisse est certainement ce qui donne la plus grande valeur à sa présence auprès de moi. Car l’attention d’un être que je tiens en laisse (affective, sexuelle, financière, etc.) n’a de valeur que si je suis angoissé à l’idée de vivre seul. Pour paraphraser Coluche, je dirais que certains ont des conjoints parce qu’ils ne voient pas qu’un chien leur conviendrait aussi bien (vu la manière dont ils les traitent).

Tel est donc ce qui donne son sens au parfois douloureux effort de contenir encore et encore son désir tout en jouissant (quel autre mot ?) de l’énergie et de l’ardeur qu’engendre son inaccomplissement, tant il est vrai que « le plaisir de cet amour se détruit quand le désir trouve son rassasiement ».

Renoncer à faire de l’accomplissement du désir sexuel sa priorité, renoncer à le chercher pour le laisser advenir, savoir même y renoncer complètement autant de fois et aussi longtemps que nécessaire, c’est mettre un terme à la violence de l’instrumentalisation, de la possession, c’est consentir au statut de sujet libre qu’a l’autre au sein de ce que l’on pourrait appeler une démocratie amoureuse.

Exprimer le plus complet respect à égard de l’autre passe même, me semble-t-il, par le fait de, non seulement le laisser (verbe qui traduit un je-ne-sais-quoi de subi et donc d’éventuellement réticent) mais le vouloir libre. Il s’agit en somme de manifester clairement sa compréhension et sa pleine adhésion au fait que seule la rencontre d’un être libre a de la valeur… pour un être libre.

Une fois les amants accordés sur une telle vision, les moindres de leurs gestes, les plus petits murmures seront comme des offrandes qu’ils se feront réciproquement et qui leur procureront la plus intense jouissance par ce fait même qu’ils auront su préalablement renoncer à toute attente et vivre ainsi un Agapé qui « contient » Eros au double sens du terme contenir que de Rougemont avait souligné en son temps. Plutôt que de venir remplir un vide ou un manque, la présence, l’attention de l’autre sera vécue comme un cadeau inespéré qui, dans un voluptueux chavirement, fera déborder de plaisir celle ou celui que l’incandescence de son désir avait déjà comblé(e). 

Parce qu’elle est tout entière placée sous le sceau du renoncement, parce qu’elle n’est porteuse d’aucune attente, d’aucune revendication, d’aucune recherche de satisfaction via l’autre-fait-objet, une telle relation d’aban-don et de respect mutuels constitue, à ma connaissance, le seul lieu où l’amour puisse être vécu dans une paix et une félicité proprement céleste qui confine au sacré.

La rive du fleuve qui reste à atteindre me paraît donc être, ni plus ni moins que celle où l’amour se vit dans la spiritualité, lorsque nous touchons au divin ou que, plus exactement, nous cessons de lui faire obstacle ; lorsqu’au sortir du fleuve, « nue à nu », nous le laissons advenir, au travers de l’autre, qui nous le rend bien :-)

Voici comment on peut, je crois, décrire le paysage proprement tantrique sur lequel l’amour courtois ouvrait et pour lequel il serait bon d’avoir à nouveau un chemin d’accès tracé et dégagé. Car depuis au moins deux mille cinq cent ans que les innombrables aventuriers de cette forme d’amour nous ont laissé des jalons, nous en avons une telle profusion qu’ils risquent de nous égarer au moins autant que de nous aider.

C’est pourquoi dans les deux prochaines et dernières parties de ce texte, je proposerai une réflexion sur quelques principes que je crois nécessaires pour (a) véritablement mettre en acte la volonté de respecter l’autre totalement, donc dans sa liberté absolue de désirer et (b) construire ainsi, grâce à l’accord auquel il s’agirait de venir, une relation où la paix sera assurée. Dans un tel contexte, chacun peut baisser la garde, renoncer au souci de soi, venir à l’aban-don de soi et laisser ainsi advenir l’inouï d’une rencontre qu’on peut reconnaître comme céleste en cela que, par la diversité de ses formes et le caractère extatique de la présence qu’elle engendre, elle déborde infiniment l’étroitesse du cadre dans lequel la société, dans son souci de reproduction a, jusqu’à présent, tenté de maintenir les couples.


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9 réactions à cet article    


  • Gollum Gollum 2 juin 2011 12:04

    Bonjour. RIen à dire sur ce texte que j’approuve entièrement.



    Je voudrai toutefois mettre l’accent sur la logique sous-jacente à tout ceci.


    Car derrière cette révolution amoureuse se cache en fait une révolution de la vieille logique d’Aristote sur laquelle est basée toute notre civilisation.

    A est différent de non-A et il n’y a pas de possibilité de fusion ou de communion entre les deux de telle sorte que A deviendrait non-A et réciproquement.


    La logique d’Aristote implique que si je veux mon bonheur je dois d’abord penser à moi. La logique sous-jacente à l’Amour tantrique est exactement l’inverse.

    Si je veux mon bonheur, je dois y renoncer et au contraire vouloir le bonheur de l’Autre.


    C’est exactement la logique à l’œuvre qui se trouve de façon cachée mais néanmoins bien visible et en abondance dans les Évangiles...


    « Cherchez le Royaume d’abord et tout le reste vous sera donné en surcroît »..


    « Premier commandement : tu aimera ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton Esprit » Deuxième commandement : « tu aimera ton prochain comme toi-même »


    La possibilité donc d’aimer son prochain (donc sa bien-aimée) est de façon claire liée à la réalisation d’abord du premier commandement.


    Il n’échappe à personne qu’actuellement dans nos sociétés désacralisées cela n’arrive jamais et que donc la possibilité d’aimer l’autre à laquelle pourtant on aspire (omniprésence de l’Humanisme pourtant stérile) se dérobe de plus en plus..


    Cette logique évangélique qui veut que pour obtenir quelque chose l’on doive d’abord y renoncer se trouve dans le monde taoïste chinois. Citons Lao-Tseu, Tao-Tö King, ch. 22 : « Qui se plie restera entier, qui s’incline sera redressé, qui se tient creux sera rempli, qui subit l’usure se renouvellera... »


    à comparer avec les maximes évangéliques : « les premiers seront les derniers » « Qui s’abaisse sera relevé » etc...


    C’est une logique d’abandon de soi et d’abandon à la Providence à laquelle on laisse le soin de pourvoir à notre destinée.


    Alors que la logique d’Aristote est une logique binaire à 2 termes, extrêmement efficace quant au monde matériel et de plus en plus robotisé dans lequel on vit (d’où son omniprésence dans nos ordinateurs, bits à 0 ou 1), cette logique évangélique et taoïste est une logique gnostique à 4 termes en double contradiction croisée dont l’Archétype est le Tétramorphe de la vison d’Ézéchiel et que l’on a toujours mis en relation avec le Christ en Gloire, ce qui veut dire que cette logique est la condition sine qua non de notre divinisation.


    Je ne peux développer plus, ça nous entraînerait trop loin, et je me contente de renvoyer à l’œuvre d’Abellio qui a abondamment écrit sur cette nouvelle logique.


    Logique à l’œuvre notamment dans la relation de couple. Où l’homme tantrique se féminise (mais c’est une féminité subtile) ce qui accroît l’Agapé, alors que dans la relation classique l’homme reste homme et utilise plus ou moins la femme comme un objet. Il n’y a pas de réelle communion..


    Bon j’arrête là.. smiley


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 2 juin 2011 17:01

      @ Gollum,

      Merci pour ces références auxquelles j’avoue être quelque peu étranger mais que j’apprécie de venir recouper au travers de mes analyses car j’y vois une forme de validation. En fait leur existence ne me surprend pas car il me semble très probable et même logique que les dynamiques que je tente de décrire relèvent d’attracteurs plus ou moins universels.

      Le philosophe Alan Watts était lui aussi fasciné par cette logique du mouvement contraire (je ne sais plus exactement comment il formulait cela) que Pascal a lui aussi très bien illustré avec son « qui fait l’ange fait la bête ».

      C’est sûr qu’ici cette logique est omniprésente, elle est centrale.

      Je vous suis assez bien sur cette inversion dans la quête du bonheur mais avec quelques réserves tout de même au sens où ce qui me paraît la première caractéristique de la rencontre en pleine « présence », au-delà des tristes stéréotypes dont nous avons hérité, c’est qu’elle donne immédiatement accès au bonheur.

      Quand on y est, on sait qu’il n’y a rien au-delà à espérer ou désirer. On ne cherche plus le bonheur pour soi, on le vit, et on voit immédiatement que l’autre le vit aussi (car si tel n’était pas le cas, la présence de l’un à l’autre ne serait pas une réalité).

      Donc je ne formule plus la problématique en terme de quête du bonheur (car en vertu précisément de la loi du mouvement contraire, elle ne peut être que désespérée). Je la formule en terme de « le bonheur est là », (ce à quoi tout le monde a accès à un moment ou un autre de sa vie), qu’avons-nous à faire pour lui laisser la porte ouverte ? qu’avons-nous fait jusqu’à présent qui lui a permis d’être là ?

      Car il est, je crois, une loi supérieure à la loi du mouvement contraire, c’est la loi du stable. Loi à laquelle le biologiste Richard Dawkins disait que le principe darwinien obéissait et qu’en son temps Spinoza avait magistralement formulé avec cette idée que « toute chose tend à persévérer dans son être ». La reproduction qui est à la base du vivant en est l’expression la plus directe. Idem pour l’habitude au niveau psychologique.

      Le bonheur ne fait pas exception. S’il est souvent perçu comme tellement fugace c’est que nous le poursuivons au lieu de le laisser s’installer, au lieu de le laisser prendre ses habitudes dans notre vie (toujours la loi du mouvement contraire). Nous ne savons pas nous tenir au présent et projetté dans l’avenir en quête du bonheur futur, nous perdons tout car le bonheur ne se vit qu’au présent, jamais au futur.

      Quoi qu’il en soit, je crois qu’on pourrait creuser cette veine encore un bon bout de temps, mais moi aussi je vais m’arrêter là.


      • Eleostearique 2 juin 2011 17:08

        J’ai lu avec attention votre texte. Ma première impression est de penser qu’’effectivement renoncer à posséder l’autre c’est le reconnaître comme l’égal de soi-même.
        Il y a une phrase à laquelle je me réfère quand je dois accomplir certaines choses et qui dit « ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». C’est ce que je m’applique à faire.

        Pourtant en relisant votre texte, j’ai eu l’étrange ? idée que ce que vous avancez chercherait à assouvir vos intérêts et masquerait un profond égoïsme soigneusement caché par des mots choisis « sacrifice, être libre ».

        Je m’explique, vous avez écrit :

        « la seule rencontre d’un être libre a de la valeur...pour un être libre. »
        Ce qui me gêne c’est que partant de ce que vous avez écrit, il y a des personnes, qui pour x raisons qui ne répondraient pas aux critères d’être libre, auront d’après vous peu de valeur !

        " parce que le fait que ce soit un être totalement libre qui me choisisse est certainement ce qui donne la plus grande valeur à sa présence auprès de moi.« 
        Je dirai plutôt :
         »parce que le fait que ce soit un être totalement libre qui me choisisse est certainement ce qui donne la plus grande valeur à ma présence auprès de lui.« 

        Par ailleurs vous dites préférer la formulation »vouloir l’autre libre« et non »laisser l’autre libre« , ce qui laisse suggérer que vous craignez de devenir responsable d’un être qui s’en remettrait à vous entièrement.

        Quant à moi, je dirai que par le mariage nous abandonnons notre »liberté égoïste" pour devenir responsable des êtres qui viendront habiter ce foyer, nous prenons soin d’eux.
        Ce sont les gens qui se marient, même pour un court moment, qui vivent véritablement le sacrifice. Vous, vous vivez un sacrifice qui préserve votre petit confort !


        • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 2 juin 2011 18:22

          Bonjour Eléostéarique,

          Merci pour ce riche commentaire, même si je le trouve un peu acide (alpha-eléostéarique smiley.
          Il n’irrite pas, mais il agace un peu les dents comme du jus de citron.
          Je plaisante bien sûr.
          Vos remarques sont bienvenues et appelent une réponse attentive.

          Toutes les rencontres avec tous les êtres ont une valeur. Mais quand vient le moment de choisir avec qui partager une présence, choisirez-vous un être que vous savez vitalement dépendant de vous d’une manière ou d’une autre ou bien un être qui n’a nul besoin, nulle dépendance vis-à-vis de ce que vous pouvez lui offrir et qui vous choisit pour partager ladite présence ? Il va de soi que vous préfèrerez le second « toutes choses égales par ailleurs ».

          Autrement dit, si un être vous attire, vous êtes attirée, quelque chose démarre, et vous apprenez que....(a) il est aisé et n’a nul besoin de venir s’inviter chez vous pour vivre ou (b) il est dans la dèche et recherche désespérement un toit. Quelle info sera la plus rassurante quant à la sincérité de son attirance pour vous ? Pourquoi pensez-vous que les riches aiment à se marier entre eux ? Pour écarter la possibilité que l’autre soit trivialement « intéressé ». ça ne suffit pas, mais quand même, c’est un bon indice.

          La question n’est donc pas ici celle d’une quelconque égoïsme. Elle est juste de savoir si la rencontre est réelle ou si nous sommes dans l’apparence ou le faux-semblant.

          Pour le deuxième point, il y a méprise. Le distinguo laisser / vouloir, comme je l’ai explicité, concerne le degré d’adhésion que l’on peut avoir à la liberté de l’autre. On peut le laisser faire, en supportant, ou on peut, au contraire, vouloir que l’autre vive sa liberté car c’est elle qui est garante du fait que quand il/elle revient vers moi, c’est ce qu’il/elle veut vraiment (puisque, précisément, l’autre est libre de ne pas faire ce mouvement de retour vers moi). Est-ce que je suis clair ? je n’en suis pas sûr. vous me direz...

          Je ne comprends pas cette idée d’être responsable du conjoint. Je conçois la rencontre entre adultes autonomes et responsables.
          Je suis d’accord que je ne me précipite pas pour m’immoler sur l’autel de la relation de couple, pour tout sacrifier à l’autre.

          C’est d’ailleurs un point de réserve par rapport à ce qu’évoquait Gollum plus haut. La propension à se sacrificier n’est pas forcément toujours innocente. En tout cas, ceux qui sont portés au sacrifice de soi de manière radicale font très vite fuir les partenaires car la norme de réciprocité étant ce qu’elle est, ceux-ci ne peuvent pas ne pas penser qu’ils sont invités implicitement à faire de même et ils n’y sont pas forcément prêts.

          Concernant mon petit confort, vous visez juste. Oui, je veux mon petit confort. Au sens où je peux me contenter de très peu de confort. Mais le point sur lequel je suis le plus attentif, auquel je tiens le plus, concerne autant le confort de l’autre que le mien au sens ce que je vise avant toute chose c’est la paix.

          Je veux bien qu’on appelle ça du confort. Mais quoi qu’il en soit, je ne peux pas m’en passer. Et je m’en donne les moyens. C’est-à-dire, que je fais de mon mieux pour construire les conditions de la paix dans la relation que je vis.


        • Gollum Gollum 3 juin 2011 16:03

           La propension à se sacrificier n’est pas forcément toujours innocente. En tout cas, ceux qui sont portés au sacrifice de soi de manière radicale font très vite fuir les partenaires car la norme de réciprocité étant ce qu’elle est, ceux-ci ne peuvent pas ne pas penser qu’ils sont invités implicitement à faire de même et ils n’y sont pas forcément prêts.


          Si la propension à se sacrifier n’est pas innocente ce n’est pas un vrai sacrifice, cela va de soi.. Le vrai sacrifice de soi est joyeux par essence.. Et quand il y a fuite du partenaire c’est que celui-ci sent que ce sacrifice n’est pas authentique. Bref que c’est un sacrifice ascétique (et d’une ascèse mal vécue). Hors le sacrifice doit être naturel, faire partie de l’essence même de l’Être.. 

          C’est toute la distance qui marque la différence entre le moine en tension d’ascèse, et le Libéré vivant selon la terminologie hindoue, qui lui n’est plus dans l’effort et est définitivement détaché de son ego.

          Il est bien évident que cela ne se trouve pas à tous les coins de rue... smiley

        • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 3 juin 2011 17:19

          @ Gollum

          Tout à fait d’accord.
          En particulier avec la conclusion finale.
          En effet, cela ne se trouve à tous les coins de rue !
          Mais peut-être un jour, qui sait, cela sera la chose la plus naturelle du monde...


        • la beotienne 2 juin 2011 19:07

          Bonjour Luc-laurent, 
           

          A propos du sacrifice de soi : travaux pratiques

           

          Epuisée par ma lecture attentive et laborieuse de vos quatre articles et de leurs commentaires (je ne suis pas dyslexique, mais je posais presque le doigt sur l’écran pour suivre le cheminement de toutes ces pensées alambiquées et truffées de références sibyllines), je suis allée goûter.

          Encore tout embrumée et fascinée par vos heures de réflexion (avez-vous le temps d’agir ?!?),  j’ai extirpé du grille-pain les deux moitiés d’un tiers de baguette que mon compagnon y avait disposées quelques secondes avant ma redescente des cimes.  

           

          Est-ce que je devrais changer de boulanger ? Est-ce que mon compagnon est particulièrement maladroit ? Il semble très difficile de couper un tronçon de baguette longitudinalement en deux parties « égales » : il y en a toujours une qui a plus de mie que l’autre… Bref, j’extirpe donc les deux futures tartines,  je m’apprête à les poser sur la table, une pour lui, une pour moi. Mais une question se pose : A qui donné-je la plus belle ? (accordons-nous sur le fait que nous préférons tous les deux la plus-en-mie).

           

          Réponse : Je veux son bonheur : je la lui donne.  Oui, mais je sais qu’il veut mon bonheur : alors je la garde ?

           

          Difficile de hiérarchiser mon bonheur de manger une bonne tartine bien moelleuse, son bonheur de mon plaisir gustatif, mon bonheur de lui offrir le meilleur, son bonheur de manger une bonne tartine bien moelleuse, mon bonheur de…euh…je m’embrouille !

          Finalement, c’est toujours moi qui cède : je mange la meilleure, ça lui fait tellement plaisir !

          Est-ce que je veux plus son bonheur que le mien ?

          Non, c’est que j’ai toujours plus faim que lui, et ça pourrait durer longtemps, de se refiler la tartine…

           

           Aujourd’hui, par chance, il était absorbé par une recherche sur internet et n’a pas remarqué qu’il avait la plus belle tranche, ce qui nous a évité quelques allers-retours de tartine…

          « Quoi ?!? dites-vous , il utilise son mini-ordi pendant un goûter commun au lieu de savourer votre présence ??? Quel triste couple vous faites ! »

          Rassurez-vous, il recherchait un film pour moi qui les aime tant…

           


          • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 3 juin 2011 06:45

            Bonjour la béotienne,

            Merci pour ces travaux pratiques qui m’ont fait rire en même temps que me souvenir des nombreuses fois où j’ai connu des situations semblables quoique jamais dans une telle réciprocité (pas connu de « se refiler la tartine »).

            Mon sacrifice de la plus belle tartine passait généralement inaperçu ce qui, je me rappelle, m’amenait à interroger l’intérêt de la chose tout en sachant qu’un sacrifice n’est pas fait à des fins ostentatoires mais répond à un désir inconditionnel de faire le bien de l’autre.
            Malgré tout, cela m’a interrogé sur les attentions perdues dans le tonneau des danaïdes de l’inattention de l’autre.

            Approchons-nous de l’idéal, imaginons la plus parfaite abnégation, un constant sacrifice de la meilleure part pour l’autre, un don de soi de tous les instants et.... un partenaire complètement aveugle à la chose ou qui la tient pour acquise et n’en fait plus cas.

            C’est le genre de situation que beaucoup de mères de famille connaissent, inscrites qu’elles sont dans les stéréotypes du couple traditionnel, quoique dorénavant « à l’ancienne ».
            Une amie me disait, non sans irritation, un peu de jalousie et une certaine incompréhension, que ces femmes sont visiblement les plus heureuses. Alors que celles qui luttent pour un statut plus équlibré de femme moderne se retrouvent... en lutte permanente et toujours quelque peu frustrées.

            La chose me paraît tout à la fois compréhensible et désolante.

            Compréhensible car le bonheur vient simplement de l’adéquation entre nos attentes et nos perceptions. Ces femmes sont heureuses car ce qu’elles vivent correspond à leurs attentes. Elles vivent un « oui » au monde, à leur vie. Point barre. La femme moderne, en lutte pour son statut, reconnaissance, respect, etc. est moins heureuse car ce qu’elle vit ne correspond pas à ses attentes. Elle n’est pas dans le « oui » sans réserve de la précédente. Le « non » est très présent. D’où la frustration, l’insatisfaction, la lutte et l’absence de sensation de bonheur.

            Si on me donnait à choisir entre l’un et l’autre, comme le psychologue suisse Jean Piaget, je dirais que je préfère un tertium, ce « tiers exclu » par la logique du A et du non A évoquée par Gollum.

            En effet, même la solution qui semble la plus heureuse, (la femme soumise aux attentes de l’homme mais satisfaite) me paraît désolante car la somme de sacrifice qu’elle accomplit n’est pas reconnue par son conjoint.
            Ce qui est vécu est juste une conformité de part et d’autre à un même stéréotype. L’accord du couple porte seulement sur des jeux de rôles avec la division du travail qui en découle.
            De rencontre il n’y en a point car l’attention et le respect fait défaut du côté mâle (j’aurais dû le dire plus tôt : il va de soi que des situations inverses existent. Elles sont simplement plus rares d’un point de vue statistique).
            Si la femme est satisfaite, c’est qu’elle n’a pas d’attente sous le rapport de la rencontre véritable et c’est là où la chose est désolante. Car la vie est alors pure conformité aux stéréotypes. Il n’y a pas rencontre, présence de deux êtres, car celles-ci ont comme condition la liberté de sujets qui s’accueillent mutuellement et ne peut se réaliser par l’interaction d’automates seulement capables de s’inscrire dans des jeux de rôle standardisés qui leur apportent à chacun leur part de satisfaction indépendamment d’une véritable rencontre avec l’autre.

            Tout ça me semble une vie de zombie que les films « The Hours » ou « Fight club » ont, chacun à leur manière, férocement critiqué.

            Ma conviction est que la rencontre véritable est un des sommets de l’existence et qu’elle mérite qu’on s’en donne les moyens plutôt que de se satisfaire d’erzatz ou de comédie.
            Notez bien que cette conviction, parce qu’elle est basée sur l’idée qu’il n’y a rencontre que dans le plus absolu respect de la liberté de l’autre fait que je ne trouverais rien à objecter au fait que cet autre aille à son ordinateur durant le temps du goûter.

            Cette liberté que je lui reconnais étant ce qui, précisément, fera la valeur de sa présence quand, délaissant son ordinateur (son livre, ou je-ne-sais-quoi), elle viendra partager avec moi ce goûter.


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