Dans la suite de notre série sur la mise en évidence des partis politiques français et de leurs programmes, à une époque où c’est surtout le flou idéologique qui domine, nous avons choisi de nous intéresser au cas des écologistes. En effet, depuis 1974 et la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle -il obtint alors 1.32% des voix- les partis qui se veulent les défenseurs de l’environnement sont une force incontournable de la vie politique française. Ou plutôt des forces. Car aujourd’hui, entre le très médiatique Daniel Cohn-Bendit, Cécile Duflot, la secrétaire nationale des Verts, ou encore l’Alliance écologiste indépendante, rassemblement de droite qui unit plusieurs petits mouvements et qui a présenté des listes aux élections européennes de juin 2009 (et dont il sera question dans mon prochain article), la situation est plus qu’équivoque, pour ne pas dire contradictoire.
Avant toute chose, pour montrer le bien-fondé de cette série qui vise essentiellement à clarifier les grandes orientations séparant les partis politiques, je m’autoriserai à citer un court passage de
mon premier article sur la situation globale de la droite française. Le 3 août 2009, j’écrivais ainsi à propos de Philippe de Villiers, qui a officialisé le 4 août dans Ouest-France sa décision de rejoindre le comité de liaison de la majorité, parallèlement à M. Frédéric Nihous :
"Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, est aujourd’hui considéré comme le flotteur droit du président de la République. Se retrouvant en réalité sur de nombreux points avec Nicolas Sarkozy (notamment sur la question économique, où il soutient le libéralisme), il est en revanche surtout connu pour sa défense de la "vieille France" (il est lui-même vicomte) et particulièrement de la France rurale (il est élu local, président du Conseil général de Vendée), ce qui explique largement son alliance avec Frédéric Nihous, président de Chasse, Pêche, Nature et Traditions au sein du mouvement Libertas pour les élections européennes de juin 2009. Il souligne ainsi le rôle de l’autorité, de la famille, mais aussi la fierté d’être français (son rejet de "l’islamisation de la France" a été le point fort de son programme lors des présidentielles de 2007)"
Là où certains ne voyaient guère de différences entre M. Le Pen et M. de Villiers, j’étais le seul à pressentir, ou plutôt à légitimer, l’alliance de ce dernier avec Nicolas Sarkozy.
Mais il est temps de passer au sujet qui nous intéresse : la situation des écologistes dans notre pays.
Les Verts, leurs idées et leurs stratégies
Dans la droite ligne de René Dumont, dont nous avons brièvement parlé, la plupart des hommes politiques qui appartiennent au mouvement écologiste sont de gauche. Il est en effet évident que ceux qui défendent l’économie de marché et le modèle productiviste, s’inscrivant dans la tradition de la droite française, ne considèrent naturellement pas la sauvegarde de l’environnement comme une priorité. Au contraire, les Verts, présents en politique depuis les années 70, et qui connurent leur première heure de gloire aux élections européennes de 1989 avec 11% des suffrages, avant de s’imposer comme une force politique majeure à l’issue des élections européennes de juin 2009 (un peu plus de 16% des voix), sont sensibles à la destruction du milieu naturel occasionnée par la recherche illimitée du profit.

Son actuelle secrétaire nationale, Cécile Duflot, insiste ainsi aussi bien sur les problèmes de société que sur les questions environnementales. Allant jusqu’à prôner pour certains d’entre eux, dits "zégistes", la décroissance économique, ils prennent généralement le parti des plus pauvres contre les grands groupes industriels pollueurs, réclamant une plus grande justice sociale et une limitation des profits.
Leurs quelques succès, sans suite, s’expliquent en grande partie par leurs positions et prédictions catastrophistes (le fameux : "il ne nous reste plus que dix ans pour changer"...), ainsi que par la réalisation de plusieurs films ayant pour but la culpabilisation de l’opinion et visant à émouvoir tous les publics (les deux plus récents sont "Une Vérité qui dérange", de Al Gore, et "Home", de Yann Arthus-Bertrand, financé par l’industriel François-Henri Pinault, et dont le mensuel La Décroissance se demande s’il ne sert pas une idéologie "capitalo-compatible").
Le cas Cohn-Bendit
D’autre part, il importe de revenir plus en détail sur la dernière campagne des Verts pour les élections de juin 2009 menée par le très médiatique Daniel Cohn-Bendit, ancien militant anarchiste reconverti dans l’écologie politique. Chacun l’aura compris, c’est essentiellement à un ton différent qu’est due sa belle troisième place à la dernière échéance électorale. Enchaînant avec talent les réflexions populistes, notamment dans son clip de campagne où on le voit exécuter une chorégraphie avec Eva Joly et José Bové (« Merci aux banques sans foi ni loi »..., etc), tutoyant ses adversaires, adoptant des postures de comédien, il aura finalement été le seul à parler d’Europe. Mais il aura parallèlement réduit le message écologiste à une sorte de mélange, fondamentalement anti-politique, de bons sentiments, de changement à tout prix, de démocratisation de la société (ce qui ne signifie rien). Dès lors, l’opinion aura du mal à séparer l’idée écologique de la personnalité de Daniel Cohn-Bendit, tant celui-ci a porté le mouvement. Cela ne pourra qu’être préjudiciable au développement d’un sentiment "vert", surtout au moment où la priorité est la relance de la croissance économique pour effacer les effets de la crise. Il se pourrait bien que l’échec du "Club de Rome" en 1972 , groupe de réflexion qui prônait l’arrêt de la croissance quelques mois avant le premier choc pétrolier, se produise de nouveau. A l’époque, les dirigeants politiques n’avaient pas écouté ces intellectuels, préférant suivre leur logique libérale. A moins d’une prise de conscience généralisée, le G20 ne prendra pas en compte la voie proposée par les écologistes.
Contestations et perspectives d’avenir
De même, si la stratégie délibérément catastrophiste a fonctionné, si chacun des électeurs a compris que la planète était plus que jamais en danger, il n’en reste pas moins que Daniel Cohn-Bendit ne fait pas l’unanimité au sain du mouvement des Verts. Le 8 juillet dernier, la députée de la première circonscription de Paris, Martine Billard, décidait de quitter les Verts pour rejoindre le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, au nom de ses convictions de gauche. Selon elle, la tactique de Daniel Cohn-Bendit, qui tendait à faire un appel du pied aux électeurs du centre pour récupérer les voix de François Bayrou, était strictement incompatible avec une politique écologiste. Ainsi, entre la glorification un peu irréfléchie de la nature et les solutions politiques proposées, il semble y avoir un abîme qui plonge, petit à petit, les écologistes (qui se disent) de gauche dans une crise identitaire. Pour la première fois, sans doute, ils ont pris conscience qu’ils pouvaient avoir une réelle influence sur la politique nationale. Pour la première fois, apparaît la question des alliances, et pour la première fois, malheureusement, s’engage une bataille d’ego pour conquérir le leadership d’un parti cantonné jusque-là aux seconds rôles. Cela se fera sans doute au détriment d’un message se voulant en principe universaliste, humble et contradictoire avec la volonté de puissance nécessitée par les luttes politiques.

En effet, aujourd’hui, devant la mise en avant des thèmes écologistes par les grands partis traditionnels, depuis l’Union pour un Mouvement Populaire qui vante les mérites de la "taxe carbone" jusqu’au Parti Socialiste, Ségolène Royal se prétendant, le 1er septembre, sur RTL "la meilleure candidate écologiste à l’élection présidentielle", la tâche des Verts s’avère compromise, d’autant plus que le Parti Socialiste semble aller un peu mieux et est redevenu crédible depuis son Université d’été à La Rochelle. Car, il faut bien le voir, les Verts profitent surtout de la faiblesse du sentiment politique en France. Idéologie finalement un peu vide - à l’instar de celle des droits de l’homme -, simple vecteur d’espoir à l’heure de la crise de la mondialisation et de l’économie de marché, l’écologie ne remplace pas, malgré tout, les grandes forces traditionnelles. Une fois passée cette réussite éphémère, les Verts reprendront sans nul doute le rôle qui était le leur jusqu’à maintenant, celui d’une force d’appoint pour les socialistes, dans leur entreprise de reconquête de la présidence de la République en 2012.
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