E. Macron est-il en danger de cour d’assises ?
E. Macron est-il en danger de cour d’assises ? (*)
Le président de la République est, selon le texte constitutionnel de 2007, pénalement irresponsable pour les actes commis es-qualité (1).
On trouve la liste des actes en question dans la constitution : nomination du Premier ministre et des ministres, dissolution, signature des ordonnances et signature des décrets s’ils sont délibérés en conseil des ministres, demande d’une deuxième lecture, soumettre un texte à référendum, saisir le conseil constitutionnel, signer et ratifier les traités après les avoir négociés, etc …
Ce faisant, ces dispositions sont l’aboutissement d’une longue évolution mettant fin à l’ancienne inviolabilité de La personne du roi. Et au corolaire de cette « inviolabilité » : le chef de l’Etat n’avait pas à assumer, spécialement pénalement, les conséquences de ses actes.
Les juristes qui ont pensé la modification constitutionnelle de 2007, ont peut-être voulu donner, au delà du discours en direction de l’opinion publique (2) , une « couverture pénale » solide au président de la République du moment. Auquel cas ils ont mal rédigé leur texte.
Le texte, tel qu’il est rédigé, expose en réalité le président de la République aux rigueur de la loi, pour les infractions qu’il peut commettre, notamment dans le cas de figure que nous soulevons ci-dessous.
Parce que, dans la nouvelle rédaction, ce sont les cas d’irresponsabilité qui sont énumérés (1) et non comme avant le(s) cas de responsabilité. Parce que les poursuites pénales ne sont pas subordonnées au vote préalable de la « destitution » (sic) , pas plus qu’à aucune autre condition (sic). Parce qu’elles ne sont plus limitées à la « haute trahison ». Parce que le déclenchement des poursuites pénales n’est plus réservé aux parlementaires. Parce que le jugement des infractions n’est plus du ressort d’une juridiction d’exception. Ce qui, soit dit au passage, est cocasse quand on sait (v. ci-dessous) que les ministres sont toujours jugés, eux, par un organisme (la Cour de Justice de la République) comprenant 12 représentants de la classe politique sur ses 15 membres.
Quand, de leur côté, le Premier Ministre ou un ministre commettent un crime ou un délit dans l’exercice de leurs fonctions, ils peuvent engager leur responsabilité pénale (3) . Par exemple, à raison du fait qu’ils ont pris ou pas pris telle décision C’est cette possibilité que des citoyens ont mise récemment en œuvre, qui ont saisi la Cour de Justice de la République (3).
La gestion de la crise sanitaire qui fait polémique pourrait favoriser des séances de lecture de la constitution.
Quand le chef de l’Etat provoque ces décisions ou ces abstentions ( en les ordonnant ou en usant, nécessairement dans ces cas, abusivement de son autorité), il n’exerce pas un acte que la constitution met dans la liste (v. ci dessus) des actes qu’il incombe au président de la République de prendre.
Le président de la République est alors très exactement et très banalement « complice » (4) du Premier Ministre ou du ministre à raison des actes criminels ou délictuels commis par ces derniers.
Ce qui, comme il a été dit ci-dessus, l’expose à être jugé par le tribunal correctionnel ou la cour d’assises.
Les innombrables commentateurs de la constitution de 1958 n’y ont pas pensé. Nous non plus (5) … jusqu’à ce jour.
Maintenant qu’ils la connaissent, les auteurs de plaintes contre les ministres peuvent (mais ce n’était pas l’objet de notre propos) exploiter la mécanique mise en place en 2007.
En sachant que s’ils portent plainte tout de suite contre le président de la République, il leur faudra attendre (6) la fin du mandat (7) pour que les actes de poursuite et d’instruction puissent être lancés.
Les médias pourront quand même de leur côté, et à leur manière, contribuer à délivrer les membres du gouvernement sur la sellette, du sentiment d’injustice. Puisque si les ministres peuvent aller en prison pour ce qu’ils ont fait, le président de la République … aussi pour leur avoir dit de le faire
Le tout laissant par ailleurs le président gérer dorénavant, comme tel ancien Premier Ministre, son « risque pénal associé ».
Marcel-M. MONIN
constitutionnaliste
(*) nous avons fait référence au chef de l’Etat en exercice, pour rendre le titre de l’article plus … « accrocheur ». C’est que les dissertations juridiques rebutent souvent. Mais certaines d’entres elles peuvent avoir leur utilité si elles sont connues en temps opportun.
(1) Article 67 al 1er ( rédaction de 2007) de la constitution :
« Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 (Cour pénale internationale) et 68 (destitution parlementaire) » .
(2) « Peut-être » … :- On supprime la « haute trahison » et on laisse croire qu’on remplace cette incrimination particulière par « quelque chose » de plus « vaste ». (v . la littérature juridique). - On continue à utiliser la même appellation de « Haute Cour » avec ce que cela suggère. Alors que la nouvelle « Haute Cour », c’est grosso modo « le congrès ». Qui n’a, contrairement à la Haute cour de justice précédente, aucun pouvoir d’appliquer le droit pénal (v. la littérature juridique qui ne relève pas ce point) .
Dispositions qui, en réalité, ne font que transposer pour le président de la République, le mécanisme de la motion de censure de l’article 49. A ceci près que les conditions de mise en œuvre de la « destitution » sont plus compliquées. Et que la destitution est encore plus difficile à voter que la motion de censure. Ce qui fait que les dispositions sur la destitution n’ont d’intérêt que pour les commentateurs.
(3) art 68-1 (ajouté en 1993) :
« Les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes (**) accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis.
Ils sont jugés par la Cour de justice de la République.
La Cour de justice de la République est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi. »
(**) dont il convient de séparer les actes qui n’ont pas de lien « intellectuel » avec les fonctions, et qui s’en « détachent ». On voit mal qu’un ministre soit jugé par la CJR, par exemple pour des actes sexuels non consentis et commis par lui dans son bureau du ministère, entre deux conversations téléphoniques avec le président de la République ou le Premier Ministre.
NB. Dans cet ordre d’idées : Ceux qui projettent de réviser la constitution, pourraient traiter de la responsabilité pécuniaire de ces personnes. En s’inspirant de la jurisprudence administrative qui a eu l’idée de moraliser la fonction publique, en créant le concept de « faute personnelle détachable du service ». Qui permet de frapper certains individus au porte monnaie (indépendamment de la sanction pénale).
(4) Article 121-7 du code pénal :
« Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.
Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre ».
(5) v. « textes et documents constitutionnels depuis 1958 ; analyses et commentaires » Dalloz - Armand Colin.
(6) art. 67 al 2 de la constitution :
« Il ( le président de la République) ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu ».
(7) ou avant, si le président est d’aventure destitué par un vote (selon une majorité difficile à atteindre) des parlementaires.
NB. Pour les membres du gouvernement, c’est la « Cour de Justice de la République » qui s’est substituée en 1993 à la (même) Haute Cour de Justice que ci-dessus. A cette occasion, la possibilité fut donnée aux citoyens ( « à toute personne qui se prétend lésée » ) de déposer des plaintes contre les ministres ( ce qui n’était pas possible avant).
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