Et si Royal était (un peu) révolutionnaire ?
Derrière ce titre en forme de boutade et de provocation, je voudrais attirer l’attention sur un double phénomène médiatique récent : retour du Ségo bashing et grand élan d’amour médiatique et blogosphérique pour la personne de Bertrand Delanoë. Cette observation m’a conduit à m’interroger.
Au-delà des débats d’idées, n’y aurait-il pas une forme de combat pour la préservation d’une façon de faire, d’un modèle que Royal remettrait en cause. Ne subirait-elle pas à son tour ce que François Bayrou a pu subir parce qu’il voulait réformer les institutions ?
Loin d’être un adapte de Ségolène Royal que j’ai souvent du mal à comprendre ou à suivre, la recrudescence des attaques et, surtout, leur forme m’a poussé à m’interroger sur ce paradoxe : Royal serait-elle l’ennemi à abattre ?
Cette tribune pleine de paradoxes et de provocation n’a d’autre but que de proposer quelques questions, de renverser quelques points de vue et d’inviter au débat.
Depuis quelques jours, le net retrouve des accents familiers. Un an après l’élection présidentielle, on y retrouve des mots et des expressions qui nous rappellent de bons vieux souvenirs.
"Ségolène Royal se pose en victime", "elle nous saoule à attaquer Paris-Match", "elle est trop stupide" et quand elle parle voilà ce que ça inspire au célèbre Versac "Tant de bêtises opportunistes de la part de Ségolène Royal montre bien qu’elle ne veut pas, rien comprendre, et mise sur la bêtise et le rabaissement du débat" !
Sur le par ailleurs excellent et varié rue89 tous les deux jours depuis que Delanoë est en campagne, un nouvel article ou une vidéo ou une brève vient nous dire à quel point elle n’est pas à la hauteur. Jusque-là rien de grave, c’est ce que je défendais dans mon article précédent : un journalisme qui a des convictions et les défend. Cependant le dernier de ces articles, dans lequel Julien Martin fait mine de découvrir un scoop m’a amusé :
"Ségolène Royal sait ce que signifie le libéralisme politique tel que prétend l’entendre Delanoë, pire encore, elle le revendique dans son héritage (l’interview pour Le Point et un vieux bouquin) et voilà que maintenant elle dit qu’elle ne peut pas se prétendre libérale parce que le mot est celui de la droite. Ca alors !
Oui et donc ? Quel est le problème ?
Parce que, franchement, contrairement à ce que sous-entend l’article, dans la lignée de Versac et bien d’autres, il n’y a pas vraiment de contradiction : d’une part, elle parle d’un concept intellectuel qui a une histoire, un contexte, une évolution, d’autre part, elle parle (comme Hollande depuis) de la réalité d’une perception politique actuelle et de la confusion qu’elle implique. Mais ce n’est pas grave ! Il y a là motif à scandale, au moins ! Rue89 s’y engouffre, Libération attend son tour, Le Figaro jubile, la blogosphère non ségoléniste se gausse.
Evidemment si quelqu’un dit que cela est un peu ridicule, alors là vous avez une armée de bons citoyens qui viennent hurler que "pour le moment, ’lynchage’ s’il y a, il vient de la part de Royal contre Delanoë. C’est éminemment fatigant de voir à quel point toute critique rationnelle et documentée contre Royal est systématiquement taxée d’’attaque’, de misogynie, de machisme et de je ne sais quoi encore. (...) Ce qui est lamentablement petit et mesquin ce sont les coups bas de Royal qui déforme les propos de Delanoë alors qu’elle a parfaitement compris qu’il faisait usage des mêmes termes qu’elle, dans le même sens très exactement. Là c’est de la mesquinerie et de la petitesse où je ne m’y connais pas." (un commentaire d’un internaute de rue89)
C’est admirable : pour Delanoë il faudrait lire le livre quand il dit "je suis socialiste et libéral" alors que lui-même nous invente un slogan, un gimmick dont il connaît parfaitement la portée et la nature ambiguë, mais évidemment Royal ne peut pas le lui reprocher. En revanche, quand les mêmes critiques vont caricaturer Royal en madone du Poitou, quand ils vont ressortir la bravitude, reparler de telle ou telle phrase... évidemment il y a contextualisation, évidemment il y a argumentaire. Hum. Or non. Jamais ou, en tout cas, pas plus.
Finalement, les partisans de Royal n’ont pas le droit de la défendre parce que s’ils le font c’est qu’ils jouent la posture victimaire. C’est extraordinairement habile. C’est une condamnation au silence.
Dans les commentaires de Libé, d’Agoravox, de Versac évidemment ou de Rue89, il est toujours frappant de voir l’espèce d’outrance perpétuelle de ceux qui ne peuvent pas la supporter. L’outrance des supporters de Royal est ridicule, mais pas davantage que celle des supporters de Sarkozy, de Delanoë ou de n’importe qui.
Ce qui frappe en ce qui concerne Royal, c’est que nous avons là une personne qui a réuni 17 000 000 de suffrage (dont une bonne part contre Sarkozy qui a lui-même recueilli une bonne part de suffrage contre Royal), qui est aujourd’hui encore plutôt populaire pour une politique, qui a gagné des élections difficiles, qui, après avoir écrasé Raffarin sur ses terres, a su battre DSK et Fabius dans des primaires régulières et démocratiques et pourtant dès qu’il s’agit de parler d’elle il y a de la haine, du mépris et énormément de bêtise.
Royal plus que beaucoup de politiques traîne quelques mythes habilement entretenus :
- Elle a été faite par la presse. C’est proprement incroyable comme c’est léger, une pure légende urbaine. Tous les politiques ont fait des unes des journaux, tous ont fait des unes avec "Il pense à l’Elysée", "Pourquoi pas l’Elysée", etc. Tous ont eu leur photo de vacances avec les mômes dans un coin. On ne comprend pas très bien ce que Royal aurait dû faire pour ne pas être le produit de la presse.
- Elle a été faite par des sondages. Un seul sondage de toutes les primaires, UN SEUL, peu fiable, a donné Royal gagnante (de peu) au second tour de la présidentielle. Nicolas Sarkozy a TOUJOURS fait la course en tête, avant les primaires comme après les primaires. TOUJOURS. Ca n’empêche pas les internautes de répéter ad nauseam qu’elle n’est que le fruit des sondages et que les gens n’ont voté pour elle que sur la foi des sondages.
Pourtant le sujet est intéressant : quel était le problème de Fabius et de DSK : ils étaient (ça, les sondages le disent) incapables de réunir la gauche ! Oh DSK aurait eu le vote de la droite... mais pas celui de la gauche ! Oh Fabius aurait eu un peu de vote de gauche, mais pas de la gauche pro TCE, pas de la gauche centriste et sûrement pas de la gauche radicale qui se souvient de ce qu’il fut.
- Elle est de droite ! Formidable raccourci qui, à cause de ses propos (souvent caricaturés) sur la carte scolaire ou l’encadrement militaire des jeunes délinquants, font de Royal une amie de Madelin (au moins). Si on peut comprendre ce positionnement d’un Fontenelle (qui ne voit de gauche authentique qu’à gauche de Besancenot) on a du mal à le saisir de membres du PS prêts à voter pour Fabius ou DSK ou Delanoë. La photo de Paris-Match la montrant en train de prier sert ce propos-là. Il joue sur l’image "Marie-Ségolène". Il faut voir d’ailleurs avec quelle violence certains internautes moquent sa volonté de poursuivre Match. Les mêmes internautes qui par ailleurs crachent sur ce magazine veulent qu’on le laisse les conforter dans leurs visions caricaturales.
Aujourd’hui à quoi assiste-t-on ?
On assiste à la réalisation RÉELLE cette fois-ci de l’association de la presse et des sondages pour promouvoir un candidat (ce fut le cas pour Sarkozy pendant la campagne présidentielle), c’est maintenant le cas pour Delanoë. Versac l’adore, Rue89 l’aime beaucoup (ne serait-ce que pour avoir fait le Vélib malgré Decaux et notre expérience lyonnaise), Libération ne jure que par lui (reprise du titre trompeur du Figaro), même Le Figaro lui trouve un côté plaisant (et joue sur... les sondages qui manipulent comme celui-ci avec son titre trompeur. Delanoë candidat du Figaro ?), Le Monde l’aime bien, on imagine que Paris-Match ne viendra pas le traquer dans les églises ni Le JDD d’ailleurs... Mais pourquoi donc ?
Delanoë partage avec Sarkozy, outre le fait d’être le chouchou des journalistes parisiens, un chouette ami, un ami commode et pratique, Lagardère. Forcément Lagardère, ça aide. Lagardère et Joffrin, ça offre un joli terrain médiatique quand même. Une petite exclu au Nouvel Obs et tout est bien.
SÉGOLÈNE ROYAL & MOI
Je ne comprends pas Ségolène Royal. Je suis un peu la personne, le discours, je regarde les émissions, je consulte les sites...
- "Congrès utile et serein". Mon Dieu, mais quel est le conseiller qui a trouvé un nom aussi compliqué, ridicule et vieillot ?
- Où était-elle quand Dati passait sa loi insupportable ? Probablement l’œil rivé sur les sondages, manquant du courage nécessaire aux grands politiques pour affronter le peuple quand il est con et faire de la pédagogie. Mitterrand l’aurait fait, il l’a fait pour la peine de mort. À sa décharge, on notera que, hormis Badinter, la gauche a été sur ce sujet d’une lamentable lâcheté.
- C’est quoi ce look ? Par pitié que quelqu’un lui dise que si elle veut que les gens commencent à y croire elle doit en avoir l’air (d’une présidente).
- Cette manie de répéter inlassablement les mêmes slogans qui sont bons une fois et lassant tout de suite après.
- Je ne supporte pas quand elle commence une phrase à 20 h 05 pour la terminer à 20 h 25 sans qu’on n’ait la moindre idée de ce qu’elle a bien pu dire.
- Où est-elle sur le sujet des sans-papiers ?
Je ne la comprends pas, souvent je ne la supporte pas. Mais je sais qu’elle n’est ni stupide ni de droite. Elle est incroyablement pragmatique, elle a un feeling incroyable et inexplicable avec les "vraies gens" (vous savez il n’y a pas que Paris et les bobos) et elle ne se moque pas d’eux. Elle a une démarche très intéressante d’éventail idéologique (même si la presse veut absolument en faire une social-démocrate alors même qu’elle a récusé le terme ce qui, étrangement, n’a pas fait débat, tant, pour la presse parisienne et "pensée unique", on ne doit pas remettre en cause le consensus social-démocrate socialo-centriste) allant de la gauche radicale constructive au centre. Se rapprocher du centre sur des principes, ne pas se couper de la gauche de la gauche sur les idées et les combats. Il y a là un positionnement qui se discute, mais ne manque pas d’intérêt et qui mériterait, lui, un débat.
Mais surtout, et c’est ce qui me la rend précieuse, dans le débat politique actuel elle a deux atouts :
- depuis le début de la présidence Sarkozy, à la différence d’à peu près tous les "grands socialistes" elle est au front. Elle manifeste, elle s’oppose. Mais pour les internautes de la gauche anti-Royal c’est qu’"elle fait sa pub"... Eh bien que les autres fassent de même ! qu’ils affirment des vraies idées de gauche, qu’ils battent le pavé eux aussi pour des sujets un peu moins consensuels que Betancourt et on en reparlera. C’est tout ce qu’on attend d’eux.
- Elle est indépendante et elle n’est issu d’aucun courant, d’aucun cercle, d’aucun club (sauf, et c’est tout de même un sacré handicap, l’ENA). Cette qualité-là en fait, qu’on l’aime ou non, probablement la seule qui ait la volonté de réformer réellement le Parti socialiste d’abord et la France, peut-être, après. (on peut noter qu’elle ne cumule pas de mandat ce qui est un véritable handicap politique). Je parle de réformes de type institutionnel pour garantir démocratie, liberté et pluralisme.
Je ne sais pas que penser de Mme Royal. Elle me paraît intéressante et je ne sais pas si je veux qu’elle soit la candidate de la gauche en 2012. Après tout Delanoë a aussi bien des qualités, il maîtrise admirablement ses dossiers et ne fait pas de phrases interminables. D’autres aussi pourraient apparaître. La vie politique va vite, de plus en plus vite. Et, Bayrou, après tout, a une démarche qui, sur la forme institutionnelle, me paraît intéressante.
Je me dis maintenant que la manière dont la presse et, aujourd’hui, de façon très suiveuse, une certaine blogosphère s’en prennent à Royal me paraît terriblement révélatrice. La presse n’aime pas les gens qui font bouger les lignes surtout cette presse qui se met au service des plus puissants ce qui est le cas depuis quelques temps (la dernière présidentielle l’a montré). La presse défend un modèle et un système que Royal menace (un peu) comme Bayrou l’a menacé (un peu) pendant la campagne présidentielle. Ce modèle et ce système ne sont (aujourd’hui) menacé ni par Sarkozy ni par Delanoë ni par DSK ni par Besancenot. Pourtant, ce modèle est celui de la dégringolade démocratique que nous subissons aujourd’hui. Est-ce qu’on ne peut pas se demander maintenant s’il ne serait pas bon de revoir nos priorités avant de faire l’exégèse du discours libéral de Royal ou de sa bêtise ou de je ne sais quoi et si on ne pourrait pas commencer à la critiquer "normalement" (il y a de la matière) et à poser à elle comme aux autres les vraies questions. Les questions des libertés, les questions institutionnelles, médiatiques, etc. Toutes les questions que ces débats stériles occultent.
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