Eva Joly à Strasbourg : « la justice est en danger »
L’amer constat d’une justice qui n’en finit plus d’aller mal. Malade de nos choix et qui ont pour conséquence les grandes injustices et dérives de notre monde. Une justice qui faute d’évolution, reste à rebâtir, pour qu’elle puisse tenir la place qui devrait être la sienne. Eva Joly déclarait mardi : "Il y a plus de criminels dans les milieux financiers du 92 que dans les jeunes du 93. Pourtant, ce n’est pas eux qui remplissent les prisons."
J’ai d’abord retenu ce regard bleu, intense et serein, quand je lui tendais son nouveau livre qu’elle a gentiment dédicacé. Il y a eu ensuite cette voix douce et à la fois volontaire qui impose le respect. Ces mots simples colorés d’anglicismes, qui racontent l’immensité de la corruption financière et témoignent du combat d’humbles résistants pour mettre à jour ses dysfonctionnements. Mardi vers 19 heures, la salle blanche de la librairie Kleber à Strasbourg était remplie d’un auditoire attentif. Nous étions bien 150, de tous âges et de tous milieux à écouter l’histoire du fonctionnement de ses grandes sociétés qui pillent le monde et le rendent particulièrement injuste. Eva Joly rassemblait ce soir-là bien au-delà d’Europe Écologie, le parti pour lequel elle se présente en Île-de-France.
Et la question n’a pas manqué d’être posée : « N’avez vous pas peur madame, que cette intégrité que vous représentez ne se perde dans la logique d’un parti quel qu’il soit ? ». Il est nécessaire d’agir, a-t-elle répondu. L’Europe est l’échelle à laquelle on peut influer sur le système des paradis fiscaux, de l’évasion fiscale et du blanchiment d’argent. Europe écologie est le seul parti qui présente des propositions concrètes pour agir. Nous avons besoins du plus d’élus possible, car tout est lié, a-t-elle lancé en conclusion.
Une heure plus tard, c’est un autre public qui attendait Eva Joly au CIARUS de Strasbourg où elle a rejoint Sandrine Belier, la tête de liste d’Europe écologie pour le grand est. Si quelques personnes avaient migré depuis la librairie, la salle de ce débat était très différente et bien plus jeune. Il faut dire que l’annonce du débat n’avait pas été relayée par la presse locale qui avait simplement boudé l’information.
J’ai retenu de cette soirée son inquiétude vis-à-vis de l’évolution de la justice en France de moins en moins indépendante.
Il y a plus de criminels dans les milieux financiers du 92 que dans les jeunes du 93, a-t-elle déclaré. Pourtant, ce n’est pas eux qui remplissent les prisons. La justice française va mal de son manque de moyens. Et la suppression des juges d’instruction est un grave danger vis-à-vis de la liberté de chacun. La solution ne peut venir de France où il y a trop de proximité avec les milieux politiques et financiers. Il faut créer une justice européenne qui ait les moyens d’enquêter loin des d’influences. Il faut s’attaquer aux paradis fiscaux autrement qu’avec des paroles qui ne sont pas suivis d’actes.
Quand je lis les déclarations du juge Michel Huyette sur son blog www.parolesdejuges.fr, autre juge particulièrement respectable à mes yeux, je ne peux que douter sur l’existant :
« Il en va de même de la plupart des magistrats qui ont été auditionnés par le CSM, qui ont voulu montrer en toutes circonstances l’image d’une justice en état de marche, contrairement à ce qu’il en est véritablement, et qui pour ce faire ont délibérément occulté une grande partie de la réalité dans un élan largement corporatiste.
C’est sans doute cela qui est le plus inadmissible.
Mais pour aller au-delà des apparences et admettre cette réalité, il aurait fallu trouver ce qui manque le plus dans la magistrature d’aujourd’hui : du courage.
Non, décidément, il n’existe aucune raison d’être optimiste. »
Sur ce même blog Bernard Brunet ajoute :
« Peut être que la théorie du bouc émissaire a trop bien porté ses fruits en empéchant à l’institution de se remettre en question et de répondre à ces questions. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, à la lecture de la décision du CSM, je regrette qu’un naufrage collectif justifiant une véritable analyse collective n’ait pû trouver qu’une analyse et une issue individuelle ; bien plus, je regrette que la véritable cause du naufrage n’ait pas été effleurée et ne débouche que sur la décision du CSM limitée par le cadre de sa saisine et n’abordant pas le contexte juridictionnel de cette affaire dans son ensemble. Cette méthode de construction intellectuelle de la décision disciplinaire, méthode naturellement déterminée par l’étendue de la saisine, fait courir le risque de ne pas mettre en évidence ce qui était véritablement en débat : une modification profonde de nos pratiques, de nos conditions et de nos habitudes de travail. »
Quand je lis ces juges respectés et respectables, je n’ai pas de doute sur l’état de la justice française qui est clairement à rebâtir. Peu importe de savoir si la dégradation vient de volontés politiques ou d’un corporatisme excessif qui empêche toute évolution positive, toute remise en question.
Je crois personnellement, comme le dit Eva Joly, que seule l’échelle européenne peut nous donner les moyens d’une justice de qualité vraiment autonome, avec un parquet qui ne soit pas aux ordres. Un parquet qui puisse orienter les moyens d’enquête sans autocensure ni influence politique ou financière. Le chantier est énorme, mais au combien nécessaire, si nous voulons qu’une certaine éthique et que d’autres valeurs remplacent l’égoïsme ambiant dans notre monde où malheureusement tout est lié. Les pollueurs et les voyous de l’argent sont les souvent mêmes personnes.
L’absence de justice est depuis toujours le meilleur terreau de tous les extrémismes, mais malheureusement aussi, celui des plus grands profits pour un petit nombre.
Il n’est pas étonnant alors, que certains aient intérêt à voir perdurer une justice à multiples vitesses, si permissive pour les fortunés, si inabordable pour les revenus modestes et si inutilement répressive pour ceux qui sont déjà socialement condamnés d’avance.
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