Extra ! Extra ! La guerre est finie !
Une bonne nouvelle qui nous arrive de Baghdad et de Kabul :
la guerre est finie. Ce qui n’empêchera pas les Irakiens et le Afghans de
mourir demain, mais c’est un espoir pour les autres. Les civils morts par
milliers ne seront pas morts en vain.
La bonne nouvelle que véhiculent les massacres en Irak et en
Afghanistan - la seule, hélas - c’est que la guerre est un concept fichu.
L’idée de faire la guerre est un anachronisme. Parce que la guerre n’apporte
plus rien... et qu’elle crée vraiment trop d’ennuis au gagnant...
Jadis, on faisait la guerre pour asservir une main-d’oeuvre,
contrôler des ressources, détruire un rival commercial. Trois raisons qui
n’ont plus de sens. Aujourd’hui la main-d’oeuvre est surabondante et un
envahisseur a sur les bras une multitude pauvre et incompétente qu’il faut
nourrir. L’accès aux ressources rares s’obtient par la simple corruption des
potentats locaux, soutenus au besoin par quelques bataillons d’élites.
L’élimination des rivaux commerciaux se fait sur les marchés boursiers ; Mittal
n’a pas occupé Arcelor à la tête d’une horde de cavaliers en turbans.
La guerre va disparaître. Elle ne disparaîtra pas parce
qu’elle est abominable - elle l’a toujours été - mais parce qu’elle ne
constitue plus une opération rentable pour ceux qui ont le pouvoir de la faire.
On se doutait qu’elle était inutile, on en est à prouver une fois pour toutes, en
Irak et en Afghanistan, qu’elle est impossible.
Quand la première puissance du monde ne peut imposer sa
volonté à quelques millions de paysans et de bergers sur quelques milliers de
kilomètres carrés de sable et de reg, peut-on penser que quelque pouvoir
militaire que ce soit pourra jamais affirmer sa domination tranquille sur un
territoire disputé ? Le monde a changé. La guerre n’a plus d’avenir. Comment la
donne a-t-elle anisi changé ?
Traditionnellement, on faisait la guerre à une nation
ennemie, perçue comme une masse homogène et, essentiellement, malléable. Parce
qu’elle était homogène, on pouvait la considérer comme globalement hostile, ce
qui pouvait servir de prétexte aux exactions en pays conquis, aux prises
d’otages puis, avec le temps, au bombardement des populations civiles et autres
horreurs, culminant avec Guernica, Dresden et Hiroshima.
Parce que la nation était malléable, on pouvait penser qu’il
suffisait de défaire son armée en rase campagne, d’obtenir la reddition de ses
leaders et de les remplacer pour avoir gagné la guerre. S’il subsistait des
velléités irrédentistes, il n’y avait qu’à faire régner la terreur quelque temps,
pour obtenir de la population de nouveaux comportements. Une population était
là pour obéir à ses maîtres et on avait changé le maître.
C’est avec les guerres de religions, d’abord, que les choses
sont devenues moins simples, avec ces hérétiques qui ressemblaient tout à fait
aux bons croyants et vivaient dans la maison voisine. Ensuite, est venue
l’émergence de la conscience de classe et la loyauté au Parti qui, chez
certains, pouvait prendre le pas sur la loyauté à la patrie, sans qu’ils jugent
nécessaire d’émigrer. Avec la constitution de grands ensembles multiethniques,
toute la notion d’appartenance s’est finalement transformée en casse-tête,
compliquant la tâche des envahisseurs. Bien hasardeux de penser que l’on a
nécessairement en face de soi un opposant... et donc bien plus habile de
chercher des soutiens parmi les adversaires, que de les massacrer tous sans
discernement.
Quand les nations sont devenues hétérogènes, certains ont
compris que la zizanie pouvait être une arme et ont marqué des points. Le Japon
de 1937 l’a utilisé en Mandchourie contre la Chine. D’autres ne l’on pas vu. Si
Hitler l’avait compris et avait traité les Ukrainiens comme des amis, libérés
du joug soviétique, il aurait traversé l’Ukraine comme à la parade. Il serait
entré à Stalingrad, puis à Bakou, avant que ne tombe un premier flocon de
neige, changeant du tout au tout l’issue de la campagne de Russie et peut-être
le sort du monde.
Le Viet-Cong l’a compris et, contrairement aux idées reçues,
n’a torturé que bien peu de prisonniers américains, il en a plutôt endoctriné
beaucoup, ce qui était une défense efficace contre une force d’invasion
multiraciale. Ensuite, le concept s’est raffiné. Israel, dès sa première
invasion du Liban, a bien profité de la scission de la population libanaise en
une multitude de factions, l’encourageant jusqu’à ce qu’il ne reste plus du
Liban une entité capable d’opposer une résistance sérieuse. Une nouvelle façon
de faire la guerre.
Une vieille façon, en fait, puisqu’on ne faisait que revenir
à l’adage romain qu’il faut diviser pour régner. Depuis lors, on a utilisé à
fond la zizanie programmée. Toutes les guerres récentes en Afrique et au
Moyen-Orient ont obéi à la même règle. L’Afghanistan en est devenu le cas
d’école et la rivalité entre Chiites et Sunnites en Irak, portée à son
paroxysme par l’invasion américaine, en est la toute dernière illustration.
Tout ça est connu, mais pourquoi en déduire que la guerre devient impossible ?
Parce qu’ il y a un effet pervers à la zizanie, spontanée ou
implantée. Quand l’hétérogénéité augmente et que la zizanie est partout, les
conflits n’opposent plus deux camps, mais une multitude de factions ; la
loyauté et la discipline sont peu à peu redirigées vers la base, à mesure que
l’on passe de l’identification à la nation à l’appartenance au clan. Le rapport
de force entre les protagonistes fluctue donc sans cesse, au rythme de la
cohésion entre leurs composantes auxquelles ils ne commandent plus, mais qu’il
leur faut désormais convaincre.
En l’absence de groupes identitaires forts, on peut même
sauter l’étape clanique et arriver directement à l’égocentrisme primaire ; on
n’est plus jamais, alors, qu’à une formation réactionnelle près de voir chaque
individu se transformer en pur prédateur. Chacun n’agit plus que pour soi et sa
motivation suit strictement ses intérêts. Le sort des batailles en vient alors
à dépendre de la capacité de persuader ou de soudoyer et ce n’est plus du
charisme de César que le général a besoin, ni même de la duplicité de
Machiavel. Seulement d’une propagande à la Goebbels et d’une promesse crédible
de butin.
Quand l’hétérogénéité atteint un seuil critique, la
population cesse aussi d’être malléable. Chacun a son objectif et l’on a autant
de factions qu’il y a de belligérants. Chaque mousquetaire est contre tous et
tous contre chacun. Comment faire la guerre, quand le monde ne se divise plus
en unités territoriales peuplées de gens ayant des intérêts communs permanents,
mais en regroupements précaires d’individus créant et défaisant leurs alliances
au gré de leurs objectifs immédiats ?
Quand c’est chacun pour soi, il n’y a plus de guerre
possible, car l’ennemi n’est pas là. Le défi n’est plus de triompher d’un
adversaire évanescent, dont on ne connaiît même pas les intentions réelles,
mais de rétablir l’ordre entre des gens dont chacun a son agenda, qui n’ont en
commun que leur haine de l’envahisseur et qui n’ont évidemment nul respect pour
l’ordre que celui-ci voudrait imposer. Comment remporter une victoire dont on ne
peut même pas définir les conditions ?
La guerre est une partie perdue pour l’agresseur et chaque
manche est l’occasion d’une défaite. Avec les techniques modernes, chaque
belligérant dispose d’un pouvoir terrifiant qu’il peut exercer SEUL. Chaque
individu du pays agressé peut se dire combattant ou non-combattant... et en
changer à sa guise. Il a le choix du temps et du lieu. Il n’est plus possible
de tirer vengeance d’une attaque ou d’un attentat en s’en prenant aux alliés de
celui qui en a été l’auteur, car celui-ci n’a plus d’alliés, ni même une
population civile à laquelle il s’identifie. Ce n’est plus SA population. Il
est, à lui seul, son parti tout entier.
Pour l’agresseur, le seul ennemi visible est le désordre. Un
ennemi invincible, car plus l’on se bat, plus il augmente. Sans un adversaire
bien identifié à combattre, chaque soldat devient un agent libre, et vite aussi
dangereux pour celui qui l’emploie que pour celui contre qui on a voulu
l’employer. Le conflit ne peut cesser, puisqu’il n’y a personne qui ait
l’autorité d’y mettre fin. L’envahisseur n’a le choix qu’entre une retraite
ignominieuse ou un génocide qui le mettra au ban de l’humanité
Le génocide conduira à un élargissement du conflit dans
lequel l’envahisseur pourrait bien se retrouver l’envahi. Si c’est le retrait qu’il
choisit, les querelles intestines dans le pays envahi continuent longtemps
après son départ. Pour créer une nouvelle solidarité, on doit y refaire le
chemin qu’on avait mis des siècles à parcourir. Il n’est pas sûr que cette
solidarité renaisse avant des décennies, des générations, si la cohésion
initiale était faible.
L’envahisseur, pour sa part, n’a aucune raison de chanter
victoire. Il n’a rien gagné qu’il n’aurait pu obtenir autrement, sans violence
et il s’est créé un épouvantable problème. Il doit, en effet, rapatrier ses
soldats auxquels il a inculqué le mépris de la discipline, du bon droit, du
respect des autres et de la vie. Beaucoup ont été physiquement blessés, encore
bien davantage l’ont été mentalement ; ils sont aigris et, en l’absence d’une
victoire, ils se sentent trahis. Un nombre significatif d’entre eux se
perçoivent comme des pillards et des assassins. Leur plan de carrière dans la
criminalité et la violence est tout tracé. La guerre aura coûté bien cher à
l’État qui se sera voulu conquérant. Trop cher.
On ne fera plus la guerre. On fera encore des razzias, des
expéditions punitives brèves, mais on ne fera plus la guerre. L’Afghanistan et
l’Irak ne sont déjà plus des guerres. Seulement des espaces-temps mal définis
de violence gratuite d’où l’on sortira après y avoir tué, détruit et bêtement
créé le désordre.
Pierre JC Allard
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