Haro sur les AOC
Vins, camembert, une offensive de grande envergure semble se déployer contre les AOC (Appellation d’origine contrôlée). Pourquoi, et menée par qui ? Comme d’habitude par les tenants de la mondialisation, du profit facile, de la concurrence basée sur l’uniformité, en tête desquels on retrouve les grandes entreprises de l’agroalimentaire. Avec parfois la complicité, souvent la prise en otages de producteurs aux vues à court terme... l’Institut national des Appellations d’origine (Inao), soumis à de rudes pressions, a bien du mal à résister.
Imaginons... Un brave consommateur poussé par l’envie d’un casse-croûte entre au supermarché. Il achète son camembert habituel, un Lepetit qui est là dans le rayon, reconnaissable à sa boîte rouge, à son alignement de médailles et à sa photo de vache ruminant paisiblement dans son pré normand depuis 1872.
Notre homme prend aussi une bouteille de Touraine-Mesland , cépage Gamay qu’il suppose suffisamment gouleyant pour accompagner le camembert sans en tuer le goût... Traversant la rue, il passe à la boulangerie... Ses acquisitions sous le bras, il ne lui manque qu’un béret pour correspondre à la caricature du Français type vue d’outre-Atlantique.
Rentré chez lui, il déplie, pour rester dans le folklore, une serviette à carreaux sur le coin de la table, se coupe un quignon de pain et s’empare d’un tire- bouchon... Horreur !!! sous le capuchon de métal apparait un horrible bouchon en plastique, une affreuse chose compacte et laide... Comment le vin pourrait-il « respirer » à travers ce truc ? Ce viticulteur dont le nom figure sur l’étiquette, pense-t-il faire quelques centimes d’économie en remplaçant le liège traditionnel par cette chose ?
Malgré sa faim, l’homme, qui est un rancunier, prend le temps de sortir un petit carnet de sa poche et d’y noter les références de la bouteille, en voilà un qu’on n’aura pas deux fois...
Ensuite il déballe le fromage, s’en coupe une large part, en regarde la tranche. Il aime bien voir la différence entre la partie faite, plus molle et le centre encore compact . Mais là, point de cela... D’ailleurs ni l’odeur, ni le goût ne sont au rendez-vous. Notre gourmet peste, la conservation des fromages au rayon des produits frais est une hérésie... Mais il sait bien par ailleurs que le camembert est une denrée éminemment périssable et que sa conservation dans les commerces n’est pas chose facile... Cependant, pris d’un doute, il regarde mieux l’étiquette... Misère !!! Son sang ne fait qu’un tour ! La mention « Appellation d’origine » a disparu. A la place, un fumeux « Moulé à la louche » - tu parles ! Et un incertain « Elaboré en pays d’Auge » - avec quel lait ?
Et c’est bien là le problème en effet... Depuis quelque temps les deux principales laiteries de Normandie, qui fabriquent 90 % du fameux fromage à pâte molle, ont abandonné le lait cru pour le lait chauffé, qui permet une conservation plus longue du lait, et donc l’utilisation de laits provenant de l’extérieur du terroir normand (mais d’où ?). Après avoir fait (vainement pour le moment) pression sur l’INAO pour qu’elle permette cette transgression, les deux fabricants ont préféré se retirer de l’appellation AOC que de renoncer à leur projet. Mais pas suicidaires, ils ont fait en sorte que l’emballage du produit ressemble au plus près au précédent, en espérant que l’attention du consommateur sera prise en défaut... Il va de soi que lorsqu’on maîtrisera la surgélation du lait, les mêmes nous sortiront des camemberts à base de laits congelés venus d’ailleurs.
Heureusement, il reste encore quelques fabricants plus artisanaux pour nous faire des camemberts tels que nous les aimons. Cherchez. Mon but n’est pas de faire de la publicité.
Quant aux vins, l’histoire des bouchons en plastique qui apparaissent de plus en plus fréquemment aux goulots de nos bouteilles n’est qu’un avatar, une erreur de plus dans la commercialisation.. Il y en a déjà tellement eu !
Là aussi se développe une certaine rhétorique préconisant la mise en second plan sinon l’abandon des terroirs au profit des cépages. Oubliant que le vin est affaire, non seulement de goût, mais aussi de vue, de souvenirs, d’émotion... Qu’on associe au verre de vin que l’on déguste le souvenir visuel de l’endroit qui le produit et qui lui donne aussi ses caractéristiques.
Mettre en exergue les cépages, cabernet, gamay, chardonnay, sauvignon ou autres, c’est sans doute se simplifier la vie et diminuer les coûts en délivrant des produits sans nécessité d’une élaboration complexe, mais c’est aussi se mettre à la merci d’une concurrence internationale frontale.
Beaucoup de nos viticulteurs payent cher aujourd’hui les choix du passé, le rendement plutôt que la qualité, la recherche d’un goût atypique plutôt que l’élaboration de produits marqués par le terroir.
Voici que les pourfendeurs d’AOC veulent entraîner, pour leurs profits immédiats, toujours plus loin dans les dérives.
Mais pourquoi le consommateur que je suis irait-il payer un vin français deux fois plus cher qu’un vin du Chili ayant le même goût ?
La seule chose qui permette de vendre plus cher est la spécificité à condition de savoir la proposer.
Il n’est que les grands crus qui s’en sortent et cela devrait être une leçon.
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