Honneur à toi, Gaulois d’Alésia !
Le 30 octobre 1981, un certain nombre d’érudits et de personnalités se sont rassemblés sur le site d’Alise-Sainte-Reine, avec quelques officiers de la 64ème Division Militaire de Dijon (1). C’était l’époque où le site se trouvait, une fois de plus, contesté. En s’inspirant de la technique du portrait-robot, l’archéologue Berthier proposait une autre Alésia en Franche-Comté, à La Chaux-de-Crotenay. Des généraux soutenaient cette hypothèse ainsi que de nombreuses publications. Et même la Revue Historique des Armées ouvrait très imprudemment ses colonnes aux frères Wartelle (2).
Ancien officier d'infanterie d'origine saint-cyrienne, revenu en terre de Bourgogne après les campagnes d'Afrique du Nord, j'ai apporté, ce jour-là, mon soutien au professeur Le Gall, conservateur du musée d'Alésia et responsable des fouilles, concernant la localisation du lieu. Mais lorsqu'après avoir exposé sa vision de la bataille, j'ai voulu lui expliquer son erreur d'interprétation, le courant n'est pas passé, et il ne passe toujours pas.
Alors que ce sont des officiers qui ont porté sur les fonts baptismaux la jeune archéologie française, ce sont aujourd'hui des civils qui développent des stratégies militaires et expliquent les batailles antiques. En apportant, sans réflexion sérieuse, sa caution à l'équipe du professeur Le Gall dans un numéro de 1987 consacré à Alésia (3), la Revue Historique des Armées a commis la même erreur qu'elle avait déjà commise en ouvrant ses colonnes aux partisans de la thèse franc-comtoise. Et lorsque je lui ai adressé mes premiers ouvrages, je n'ai eu droit qu'à sept lignes de commentaires extrêmement réservés (4). Ce jour-là, l'armée française, plutôt que de réétudier la question, a choisi de se retrancher derrière les thèses litigieuses d'un professeur d'archéologie, titulaire de la chaire des Antiquités nationales (5).
Pauvres Gaulois, victimes d'une ancienne archéologie qui ne voulait les représenter que dans l'image de sauvages barbus, querelleurs et inconstants ! Pauvres Gaulois, victimes d'une nouvelle archéologie pourtant plus scientifique, qui leur refuse encore l'usage de la chaux, la construction de véritables villes et l'organisation intelligente de la cité ! Pauvre Vercingétorix, fils de roi, qu'un historien nous montre vivant son enfance au milieu des vaches et des cochons (6) tandis qu'un autre s'évertue à nous expliquer que pendant toute la guerre des Gaules, son action ne peut s'expliquer que parce qu'il trahissait les siens au profit de César ! (7)
Pauvres enfants des écoles qui voudraient rêver un peu et dont on tue le rêve. Bambins auxquels on explique laborieusement comment le Second Empire, sous l'influence d'affreux nationalistes, aurait forgé la légende de Vercingétorix, à une époque où la France ne rêvait que de revanche sur l'Allemagne (8). Et quand ils ouvrent une des rares bandes dessinées consacrées à la bataille d'Alésia, que lisent-ils ? que la défaite de l'armée de secours n'est ni plus ni moins que la conséquence de l'esprit de discorde qui animait ses chefs "imbéciles", ce qui est absolument faux (9).
Et que dire de la grande presse qui en est arrivée - la chose est incroyable - à persuader un public bien pensant que la mythologie du récit fondateur est condamnée à péricliter, et pas seulement au fond des banlieues bigarrées (10). Oublié, le sacrifice héroïque, à Amida, des deux légions gauloises d'origine barbare de l'empereur lète Magnence ! Frappant les portes de leurs épées, ils rugissaient comme des fauves, impatients de voler au secours des malheureuses colonnes de réfugiés que massacrait l'envahisseur perse. Plus Gaulois que les Gaulois eux-mêmes, ils avaient choisi leur camp sans ambiguïté (11). Leur choix était clair et leur décision rapide. Oublié, le discours de Critognatos qui, le premier, proclama le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (12) ! Oublié que les Gaulois combattaient, non pas pour le butin, mais pour la justice.
Voilà ce qu'il faut commencer par dire à la mémoire de nos ancêtres gaulois, par delà un fossé de plus de deux mille ans d'histoire. Certes, il n'est pas question d'occulter leurs excès et leurs péchés de jeunesse, leurs sacrifices absurdes et leurs croyances mal comprises, mais de quel droit voudrait-on nous réduire aujourd'hui au silence et nous empêcher d'honorer la sincérité, la foi et le sacrifice de nos aïeux ? En 1948, le Président de la République, Vincent Auriol, avait prévu de venir sur le site d'Alise pour commémorer le bimillénaire de la bataille. L'agitation des partisans d'Alaise le fit renoncer. Dans cette année 1996, les Français ont célébré le 1 500 ème anniversaire de la conversion de Clovis. C'est un important événement, puisqu'en se convertissant au culte catholique de la burgonde Clotilde, en 496, le mercenaire franc s'est en fait rallié à un parti éduen contre les Wisigoths ariens et autres barbares conquérants. Mais il faut bien comprendre que c'est un événement qui s'inscrit dans la durée de toute une Histoire. Il se trompent gravement, les historiens qui prétendent que la France n'est vraiment née que ce jour-là et que les Francs sont nos ancêtres. Notre mémoire "gauloise" n'a pas oublié que la trahison du Franc Silvanus fut, en 351, à l'origine de notre grand défaite de Mursa, au confluent de la Drave et du Danube ! (13)
Oui, à toi soldat inconnu d'Alésia, nous en faisons le serment. Guidés par une lumière tremblante d'étoile, nous irons nous recueillir sur le site de tes exploits et de ta souffrance. Pour ton éloge funéraire, nous sèmerons au vent, aux quatre coins du champ de bataille, les pages déchirées des "Commentaires" de César. Et la pluie qui descend du ciel les mêlera dans la boue à tes ossements blanchis.
Texte écrit en 1996. Depuis cette date, le combat de nos ancêtres a continué à être dénigré, jusqu'à être présenté aujourd'hui comme l'exemple qu'il ne faut pas suivre. En ce soir de Noël où je suis seul, je ne peux que m'indigner en constatant le mépris à l'égard de nos morts. Et tant pis si mon présent texte horripile les vrais et faux érudits de la bien pensance, j'en ai rien à foutre.
Renvois
1. Le Monde, éditions du 11/11/81.
2. Revue historique des Armées, 75/3, 79/1, 83/1.
3. idem, 87/2.
4. idem, 94/3.
5. Christian Goudineau est l'auteur d'un ouvrage intitulé "Bibracte et les Eduens, à la découverte d'un peuple gaulois".
6. Vercingétorix de Jean Markale, pages 84 et 86.
7. Documents pour la classe, TDC 670 : Vercingétorix de J. Harmand.
8. Idem, extrait d'Archéologia, N° 163, article d'Alain Duval.
9. La guerre des Gaules de J. Markale et Xavier Musquera, librairie larousse, page 42.
10. Le Monde du 20/5/94, le Monde des livres, de J.P. Rioux.
11. Ammien Marcellin, tome II, livre XIX.
12. DBG VII, 77.
13. Ammien Marcellin, Histoire, livre XV, 33.1.
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