1. Il n’y a pas de violence gratuite

Cette incompréhension se cache derrière une série d’a priori, certains philosophiques, moraux, d’autres sociétaux, et se décharge sur l’expression commode d’acte ou de geste gratuit. L’expression est ambiguë. Gratuits par ce que non punis (la gratification étant là négative) Gratuits parce que démunis de sens (communément admis). Gratuits par ce que l’enjeu, la raison ou l’excuse sont disproportionnés par rapport à l’acte ? Gratuits par ce que hors règles, barèmes, comptabilité socialement admis ? Gratuits selon l’idéalisme transcendantal kantien ou le nihilisme prométhéen nietzschéen ?
Rousseau comparait cette paralysie du corps social et de ses élites face « à l’inexplicable » à une mère de famille qui, angoissée, « se fait des monstres de tout, qui exagère les difficultés de tout genre » ne pouvant « créer de la distance » par rapport aux faits. Cette distance, impossible dans une société qui subit l’instant, est ce que l’on demande à nos philosophes et qui ne l’ont plus…
Tout non grec est barbare disait-on à Athènes (Pas mh ellhn, barbaros). Cela n’avait rien de péjoratif, et c’était atténué par une autre définition : Est Grec celui qui parle grec. Commençons donc par la langue, le langage. Le grec était attractif, il constituait une sorte de passage du monde barbare au monde civilisé. Aujourd’hui, d’un côté et de l’autre de barrières multiples, il est créateur d’incompréhension, de confusion, de ségrégation. On parle souvent de la novlangue de nos quartiers, des accents et des dialectes générateurs d’exclusion. « Vous avez de la chance » m’a-t-on répété à plusieurs reprises « de passer à la télé avec votre accent ». J’ai donc un accent (forcément pas le bon puisqu’il est défini par un autre accent) et « de la chance » de parler au sésame - télé… Un autre Ferry avait imposé une « langue générale » pour imposer l’assimilation des pays à la nation. Aujourd’hui, on renvoie à la barbarie toute différence, en occultant (du moins dans les actes) le rôle fédérateur du langage. On crée des sourds-muets qui n’ont plus que le geste pour s’exprimer. En binôme, on offre une langue de bois, standardisée, lointaine, inaccessible et dénuée de sens qui accentue la ségrégation. On crée ainsi des poches, de plus en plus minuscules, d’identités qui à leur tour ignorent le olos, la totalité de leur environnement. Ces identités (des bandes on nous dit à la télévision) se constituent en châteaux forts ambulants ou de cages d’escalier. Ils n’ont plus rien à défendre que ce qu’ils sont : une entité autiste qui, comme un enfant, se met à faire du bruit et des bêtises rien que pour se faire entendre par des adultes distants. Cet enfant, il aimerait qu’on l’entende, quitte à le punir. Mais on ne le punit même pas. Il est transparent, inexistant. Et il ira de plus en plus loin pour être entendu quitte à prendre les allures d’un monstre. L’adage « il faut savoir jusqu’où on peut aller trop loin » devient ainsi caduc : on n’entend pas un monstre. Il est par définition inaudible puisqu’on a plus d’arènes et que les fous du village, les annonciateurs, les archanges on n’y croit plus vraiment. Mais par contre, il y a « des monstres sacrés » (toujours l’hyperbole) : des voix venues du haut, d’un succès époustouflant qui ne prêchent pas dans le désert mais au sein de nos médias et de nos structures gouvernantes. Eux, peuvent tout faire, tout dire, se moquer et transgresser avec l’aval de la société (du spectacle). L’équité, l’exemplarité sont bafoués, le sentiment d’inégalité et la victimologie s’emballent. L’individu s’enferme encore plus sur lui-même. (A suivre)
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