Inquiétudes sur la Constitution française
Un projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie sera examiné le 13 décembre par les députés. Il divise la droite car il inscrit dans la Constitution un principe communautaire : seuls auraient le droit de vote aux élections régionales et départementales en Nouvelle-Calédonie les personnes installées là-bas avant 1988. Les personnes installées en Nouvelle-Calédonie après cette date n’auraient le droit de vote qu’aux municipales, législatives et présidentielles.
Ce n’est pas par traditionalisme que beaucoup de juristes et d’hommes politiques s’inquiètent des travaux en cours pour modifier le droit de vote aux élections locales de Nouvelle-Calédonie.
Point d’orgue d’un long processus de négociation, l’Accord de Nouméa de 1998 semblait avoir trouvé un équilibre entre les aspirations à une citoyenneté calédonienne et l’attachement à la République française. Il concrétisait le projet de statut autonome dont le principe avait été adopté par référendum calédonien en 1988. Dérogation exceptionnelle aux principes républicains, l’adoption de cet accord de 1998 se fit par un nouveau référendum, ouvert uniquement aux personnes qui étaient déjà inscrites sur les listes électorales en 1988.
Il serait stupide et aveugle de rejeter, comme le font certains, les évolutions actuelles du principe d’égalité. Ce principe s’est révélé trop rigide pour assurer l’intégration de populations différentes. L’évolution du droit des collectivités d’outre-mer se révèle au contraire un véritable laboratoire pour le droit français. Elle annonce une plus grande décentralisation à venir, donnant un pouvoir quasi législatif aux assemblées locales, dans le respect des compétences régaliennes. Cette évolution institutionnelle est inséparable des réflexions sur l’intégration.
Dans ce domaine, un seuil semble être franchi avec le nouveau projet de loi constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie. Ce projet consisterait à pérenniser (au moins jusqu’en 2016) l’exception au droit de vote instaurée pour le référendum de 1998 : seuls les Calédoniens ayant voté au référendum de 1988 et leurs enfants recevraient ce droit pour les élections locales, à l’exception des élections municipales. Le principe communautaire serait ainsi, dans la plus grande indifférence, installé dans notre Constitution.
La tradition juridique française ignore les différences de traitement selon l’origine des personnes. Cette ignorance est superbe, elle le fut notamment pendant l’Occupation : en 1943, un arrêt du Conseil d’Etat "Ferrand" censurait un texte de Vichy qui prévoyait l’inscription de l’origine ethnique sur les papiers d’identité. Ce beau et grand principe est nécessaire mais il n’est plus suffisant.
La population française s’est transformée en quelques années, tandis que les collectivités locales, en métropole et outre-mer, atteignaient leur maturité. Face au chômage de populations mal intégrées ou isolées géographiquement, seules des dispositions ponctuelles ont été trouvées. Or la sanction des discriminations reste difficile. Le ciblage des quartiers difficiles enraye mal la ghettoïsation. De même, on ne voit pas ce que l’instauration d’un droit de vote communautaire pourrait apporter à l’équilibre politique en Nouvelle-Calédonie.
Tout se passe comme si, en s’interdisant une réflexion courageuse sur la capacité de nos institutions et de notre système économique et social à intégrer les plus désavantagés, la France se condamnait à une fuite en avant, dont les voies se rétrécissent avec le temps. Avec le projet de loi constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie, cette fuite en avant se fait directement aux dépens de notre démocratie. Comment ne pas le regretter amèrement ?
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