Irlande : Non au traité de Lisbonne ! Oui à l’Europe ?
C’est avec un score de 53,4 % de non et une participation de plus de 53,13 % que l’Irlande, du moins ceux qui sont allés voter, a rejeté le traité de Lisbonne qui n’entrera donc pas en vigueur à partir de 2009 comme l’a déclaré le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, celui qui était pressenti pour être, avec quelques autres, le futur président de l’Europe nouvelle mouture.

Autant vous le dire tout de suite, pour que ma possible partialité soit découverte avant qu’il ne soit trop tard, j’ai fait partie de ceux qui ont voté en mai 2005 oui au référendum français du traité constitutionnel européen. Ce traité je l’avais lu avec application, mais il m’avait paru très ardu. Trois raisons m’avaient alors poussé à voter oui. J’évacue l’une d’entre elle, car elle fera hurler bon nombre de gens, mais je l’assume. J’ai toujours considéré Giscard comme un esprit éclairé, qui voulait un libéralisme à conscience sociale, un cerveau, et non six, assez bien fait et qui tournait assez vite, mais avec de longues et lentes réflexions, et un amour poussé de l’Europe. C’est lui qui est à l’origine du conseil européen, avec d’autres du suffrage universel pour l’élection des députés européens, la monnaie unique européenne. Il venait d’un courant très européen tel Robert Schuman, le premier président européen, obtenant à l’occasion le nom de père de l’Europe. Il a été avec Alcide de Gasperi, l’italien chrétien démocrate, et Konrad Adneauer, l’allemand chrétien démocrate, un des fondateurs de l’Europe notamment à la suite de sa déclaration du 9 mai 1950 qui fut la première pierre de la CECA l’ancêtre de l’Europe. Pas vraiment car la première Europe, étrangement similaire à celle du traité de Rome, fut celle de Charlemagne, que ses fils ont brisée en 3. Donc l’Europe a une histoire plus vieille que les nationaliste ou ses autres détracteurs ne veulent bien nous le faire croire. Dans un doute raisonnable, j’ai fait confiance à Giscard, ne pensant pas être assez savant ni informé pour détenir toutes les clés d’un choix judicieux. Donc Giscard me faisait pencher vers le oui. Le second argument était que ce traité permettait de rééquilibrer les grossières erreurs du traité de Nice. Enfin la troisième la plus symbolique et philosophique était que participer à la " constitution " d’une espèce d’union définitivement structurée de nations à qui l’on donnait enfin une âme et un corps, non par la guerre, mais par la paix, de réaliser une union dans un monde de destruction et de terrorisme, était une idée, ma foi, plus que belle. Peut-être un sentiment équivalent, même si cela peur en faire ricaner quelques uns, à celui que l’établissement de la constitution lors de la révolution française, mais sans la terreur, sans les têtes coupées, par l’envie d’être ensemble pour un projet divers mais dans la même direction, avaient eu les constitutionnalistes. Avoir un sentiment de construire, de vouloir rassembler, de faire que l’Europe soit cette Eutopie (et non utopie), le pays du bien et non de nulle part, qui se réalisait. Ce qu’il y avait dans ce traité, c’était aussi des symboles comme le drapeau européen, l’Hymne à la joie et le préambule social.
La France a rejeté assez fortement ce traité avec près de 55 %. Il y a eu sans doute plusieurs raisons de le rejeter. Il y en a eu parmi un grand nombre de personnes qui avaient des raisons, de bonne foi, d’inquiétude, d’incompréhension. Bayrou déclare assez souvent qu’il avait dit à ses proches que dès janvier il pensait que le non l’emporterait alors que le oui était encore haut dans les sondages. Giscard avait essayé auprès de Chirac de demander un texte clair à proposer, non pour tromper les Français, mais tout simplement car il y avait deux parties, la seconde n’étant que le rappel touffu et incompréhensible des autres traités. Ce n’était qu’un rappel que celui-ci ne modifiait pas. Il n’avait donc aucune influence pour le vote puisqu’ils étaient déjà votés. En revanche, ils avaient le tort de servir de cible à des adversaires peu scrupuleux. Le non l’a emporté justement à cause de, ou grâce à suivant le camp où l’on se place, deux courants qui ont fait cause commune : les souvrainistes et les anti-libéraux. Ils n’étaient d’accord sur rien sauf d’être contre le traité. Ce qui a été extraordinairement détestable dans ce combat - pour les tenants du non c’était la pression médiatico-politique pour le oui, la pensée unique du oui, sans doute - c’était deux arguments d’une malhonnêteté épouvantable. L’un était le fameux plan B qui n’a jamais existé et dont le résultat est ce vote non de l’Irlande qui prouve définitivement qu’il n’y avait pas de plan B et j’y reviendrai. C’était malhonnête car les leaders qui l’utilisaient savaient que c’était faux. Ils avaient là un de deux arguments qui ont fait pencher la balance. En gros ils disaient voter non, de toute façon cela n’aura pas de conséquence. La preuve est faite que c’est faux. Le second argument qui me faisait bouillir d’indignation était d’attribuer à ce fameux traité tous les maux des autres traités notamment celui de Nice et pour d’autres de Maastricht. Ils faisaient croire qu’en votant non on ferait disparaître ceux-ci. Evidemment que c’était faux, puisque ce sera le traité de Nice qui va s’appliquer puisque celui de Lisbonne a été rejeté. Pour ces deux arguments qui ont aidé le non, ils ont honteusement trompé une partie des électeurs. Ceci n’est évidemment pas valable pour ceux qui étaient contre l’Europe pour des raisons politiques (anti-libéraux) ou de posture (les souverainistes). Mais ils - quand je dis " ils " je pense à ces seuls leaders politiques qui n’ont joué qu’à surfer sur la vague du non pour se refaire une virginité et une nouvelle notoriété à bon compte, je pense notamment à Laurent Fabius qui, il ne faut pas l’oublier a été un fervent jeune giscardien dans sa jeunesse et ne trouvant plus d’espace politique, lui qui fut socialo-libéral, s’est classé à la gauche de la gauche du PS - ont mélangé leurs arguments de fond avec ces faux arguments de forme. Et cela a été fort détestable.
Il y a une autre raison qui est pratique celle-là, et que certains peuvent me reprocher de défendre et je l’accepte. Pour moi, il me paraissait évident que la France, pays fondateur de l’Europe, pays moteur de l’Europe aurait dû être le premier sinon un des premiers pays à voter pour cette constitution, et ce dès la fin de l’été 2004, dès que cela était possible en somme. Mais voilà, le sang qui coule dans les veines de politiques issus du RPR et de l’UMP est le même : ils ne pensent qu’en tactique électorale ou faux symboles. A l’époque si vous vous souvenez bien il y a eu un long débat public entre Chirac et Sarkozy pour savoir quelle serait la meilleure date pour ce référendum. Mars, avril ou mai ? Chirac voulait transformer ce référendum en une sorte de plébiscite. Voilà une des raisons du rejet de ce traité. Au lieu de créer l’enthousiasme, avec des arguments purement européens, de dire aux Français nous construisons l’Histoire dans la paix, et nous serons les premiers, nous transformons nos rêves en réalité (je parle pour ceux qui comme moi étaient sensibles à construire une union concrétisée dans des textes gravés par la paix, pour réunir des peuples qui s’étaient fait la guerre, pour un même idéal). Non ces politicards ont préféré attendre pour que cette date du référendum soit à la convenance de leurs intérêts électoraux. Se sont donc mêlés à un vrai débat européen, un débat intérieur de politique intérieure et des utilisations des peurs justifiées ou non (oui pour ce qui concerne le fossé entre les élites et la population, non en ce qui concerne les textes que le traité justement améliorait) de façons éhontée. Chirac et Sarkozy sont les fossoyeurs de ce traité, au grand bonheur des ennemis de cette Europe-là.
Ce long détour nous amène au non irlandais. C’est la stupeur car nos élites ne pensaient pas qu’un des pays européens referaient le coup de la France, puis d’autres ensuite. Mais voilà, ils l’ont fait. L’Irlande a eu le courage de s’affronter à ce risque du non et de donner la parole à sa population (courage indirect car constitutionnellement obligatoire). On peut regretter que le taux de participation finalement ne soit pas plus élevé. En effet un résultat probant ou légitime aurait été que 50 % des inscrits aient voté non ou oui. Car si c’est une majorité électorale ce n’est qu’une majorité relative de 27 % des inscrits, mais c’est la règle. Et l’abstention est peut-être une manière de dire non sans le dire, sans en prendre la responsabilité. Certains vont en vouloir à ceux qui venant de si bas ont bénéficié des milliards de cette Europe dont ils viennent de casser le jouet. C’est à dire que maintenant qu’ils sont devenus grâce aux subsides européens une sorte de petit dragon des îles du nord et qu’ils risquent de devoir aider les autres, ils se retirent. Méthode Ogino. Pas d’enfants dans le dos. Comme on peut se révolter que 1 % de la population européenne puisse arrêter un processus engagé, ce qui n’est pas tout à fait vrai car d’autres pays n’ont pas encore voté, mais c’est le prix à payer pour une union véritable. On peut trouver cela un peu raide, pas très élégant. Je prends et je fuis comme un voleur. Je suis tout petit, le David contre Goliath, le grain d sable et j’en suis fier. C’est une interprétation. C’est aussi un fait. Mais ils ont donné la parole à leur population, et cela est une bonne chose. Par ce fait là ils ont aider l’Europe. Cependant il y a une autre chose. Certains avaient dit que le premier traité était absolument illisible, illisible donc obscur, et l’obscurité fait peur. A juste titre. Nos fameux politiques, bien aidés par cette damnée presse qui nous fait un mal du tonnerre de Dieu, ont voulu à nouveau enfumer les peuples. Les peureux ont fait passer la pilule par les assemblées. Par ce geste ils ont méprisé leur population. Bayrou avait clairement pris position pour un référendum, même s’il a voté le traité de Lisbonne en congrès. Il disait que ce que le peuple a[vait] défait, seul le peuple p(eut)[ouvait] le refaire. Partant donc d’un traité constitutionnel abscons nos élites ont cru pouvoir tromper les populations. Ce que les courses n’avaient pu donner comme tiercé dans l’ordre, on allait leur refourguer dans le désordre, idéal en moins. Symboles en moins. On a détricoté le texte, on l’a saupoudré à droite et à gauche, on a multiplié les lignes, les paragraphes, les pages et cerise sur le gâteau, nos abrutis de journalistes ont servi de haut-parleurs à ces damnés politiques et ont proclamé ubi et orbi que le traité de Lisbonne était mini et simplifié. Il n’est ni mini, ni simplifié. Alors les Irlandais ont dit à abruti, abruti et demi, c’est non. La seule chance de réconcilier les européens avec l’Europe eut été de tout remettre à plat. D’attendre une ou deux années. Consulter les administrés, faire un document simple, clair et lisible avec en place prioritaire un idéal, des symboles et la volonté d’un modèle différent. En un mot un projet enthousiasmant avec la participation de tous et de repartir au combat devant les électeurs.
Alors ce non est-il une bonne chose ? Bien savant celui qui pourra le dire. Il désole les élites qui y étaient favorables et rengorgent les nonistes. Mais l’Europe dans tout cela ? Il y a un autre projet qui a échoué : la CED. Cette communauté européenne de défense n’a pas abouti, à cause des égoïsmes nationaux. Et cet échec nous a fait prendre 30 ou 40 ans de retard dans le caractère d’une meilleure union. Cet échec a empêché à l’Europe de devenir un acteur politique majeur. Si nous sommes une sorte de géant économique nous sommes un nain politique. Dans de nombreux endroits (Palestine par exemple) l’Europe est le premier contributeur, mais le dernier à la table de qui négocie. Cette CED aura eu un certain nombre d’avantages, notamment la réduction importante des efforts militaires de chaque pays, une meilleure entente entre nous et sans doute, mais l’Histoire ne se refait pas, par un poids politique accru aurait peut-être empêché la guerre en Iraq. Cette dernière hypothèse peut être considérée comme fumeuse, ce que je ne suis pas loin de penser car comment savoir ce qui ce serait passer plus de 50 ans après. Je me mets ici dans la situation où les USA, mentant sur les ADM, se seraient confrontés à une Union Européenne, avec une seule armée, ou un seul commandement qui n’aurait pas pu l’accompagner dans sa guerre. Les USA n’y seraient peut-être pas allés.
Il ne faut pas croire qu’une construction est inévitable. Il peut y avoir des déconstructions. L’URSS en est un exemple, même si c’est bien différent. Il faut beaucoup plus d’énergie et de force de conviction pour construire que pour détruire. Et les égoïsme sont assez forts pour que les forces centripètes l’emportent sur les forces centrifuges. Les nonistes français, certains d’entre eux, se croyaient très forts. Les élites les ont contrés avec ce maxi traité complexifié. Mais ces derniers aussi ont été battus par le petit pays irlandais. Les voies qui s’ouvrent me paraissent sombres. Voulant sauver ce traité on risque d’humilier l’Irlande en la mettant de côté. Et que sera la réaction de la terre des redoutables Angles ? Ne va-t-elle pas en profiter pour s’engouffrer dans la brèche ? C’est ce qu’a fait la Tchéquie en demandant l’arrêt de la ratification du traité de Lisbonne. Il se pourrait que le seul espoir fût de tout arrêter et de tout recommencer à zéro. Cinq ans de perdus ? Dix ans de perdus ? Peut-être. Mais sinon ce ne sera plus que cas particuliers sur cas particuliers pour finir par une espèce de magma incompréhensible de règles qui s’appliqueront aux uns et pas aux autres, une complexification d’une Europe déjà malade de sa complexité, des sentiments développés d’injustice permanente, une illisibilité grandissante jusqu’à une probable explosion.
Alors Irlande : non à Lisbonne mais oui à l’Europe ? A vous de juger.
Voici ci-dessous ce qu’en pense François Bayrou. Eclairant.
Francois bayrou réaction vote Irlandais
envoyé par mouvementdemocrate
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