J’ai vécu l’impasse du système scientifique
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L’impasse est le concept déterminant pour notre époque selon moi. Alors je vais tenter, avec mes modestes moyens, d’éclairer ce concept en analysant une expérience vécue. L’impasse n’est pas un cul de sac. C’est une sorte d’achèvement imposant une bifurcation. La mort d’un chemin et la renaissance dans une autre voie. Mais comme dirait Nietzsche, l’enfantement d’un chemin se fait dans la douleur. Ou du moins ne se fait pas dans la sérénité et le bonheur. Il faut savoir apprécier le chemin même s’il est difficile. On met du temps à le comprendre. On croit trouver de l’aide et de la compréhension. Quelques rencontres sont rares et précieuses. En général, chacun suit sa route en laissant sur le chemin celui dont on ne peut pas se servir, que ce soit pour des intérêts privés ou pour des desseins électoraux. Ne pas chercher une morale ou une éthique dans la société. Les justes se font rares. Il ne faut pas les rater.
C’est assez tôt que j’ai appréhendé la question de l’impasse de la science. Mais de manière détournée, imprécise et en « filigrane professionnel », faute d’avoir parcouru suffisamment de documents et surtout de m’être avancé dans les questions sur la réalité de la nature et l’univers. J’étais alors enseignant-chercheur à l’université. Préparant et donnant des cours de biologie, physiologie, embryologie. Le reste de temps disponible étant consacré à faire de la recherche en laboratoire avec des instruments et un patron. J’ai connu en fait deux laboratoires et deux patrons lors de mon bref passage à l’université. J’ai connu aussi la lassitude, le doute, voire même le dégoût pour ces activités de recherche qui pour moi n’avaient strictement aucun intérêt. Surtout celles menées dans le laboratoire de RMN in vivo. Je ne comprenais pas comment tant d’argent pouvait être investi pour des recherches visant à produire des analyses et quelques commentaires sur des chiffres sans chercher à poser des questions fondamentales sur le fonctionnement du vivant, en élaborant des hypothèses et en les soumettant à l’expérience. Cette recherche était organisée autour de la machine et comme cet appareil, un spectromètre RMN, est coûteux, il fallait des contrats. Par exemple, tester la composition du foie gras. Un jour, un autre appareil est arrivé dans le labo. Un spectromètre de masse. Il devait atterrir dans un labo de la fac de médecine mais le patron s’était suicidé ou décédé, je ne me souviens plus. Du coup, il fallait faire fonctionner cet appareil, lui trouver des programmes de recherche et des contrats. Je préfère passer sur ces choses épouvantables pour un esprit profondément imprégné d’une quête scientifique. Pour être honnête, cette expérience ne m’a pas permis de décréter l’impasse de la science, étant bien trop jeune pour en décider, mais de ma propre impasse de chercheur dont la conscience lui dit : ce qu’on te fait faire dans ce labo, c’est de la merde ! En résumé, je ne pouvais plus encadrer cette recherche qui me paraissait marcher sur la tête et ressentait le besoin de sortir du cadre. Mais pas facile vu la conjoncture, la sécurité professionnelle était un paramètre déterminant. Mais finalement, quelques étranges coïncidence du destin m’ont décadré et expulsé sans que je le veuille vraiment de ce système qui maintenant j’en suis sûr, aurait signé mon dépérissement et la mort. Je souscris à la note subtile de Jung. Ce qui ne parvient pas clairement à la conscience nous est octroyé par le destin.
Sortir du cadre disciplinaire. Approches transversales. Plusieurs avantages. D’abord donner du sens en rapprochant les disciplines et en élaborant des généralités conférant une unité à des objets séparés mais dont les constituants sont les même. Ensuite, trouver dans un champ des notions pouvant être appliquées ou transposées dans un autre champ. C’est comme cela que les sciences ont parfois progressé. La physique fournissant quelques éléments précieux pour la biologie. En fait, cela faisait des années que j’étais passionné par la systémique et toutes les approches transversales voire alternatives. A peine trentenaire et déjà un esprit ouvert depuis que je pratiquais la recherche. Une curiosité manifestée lors de mes années de thèse. L’impossibilité de me cantonner à la routine des expériences et publications. Je voulais comprendre. Alors autant dire que pendant mon séjour d’enseignant chercheur à l’université, j’avais le sentiment d’être compressé, étouffé, employé à des tâches inutiles. J’avais bien tenté de proposer quelques ouvertures face à mon patron que je devinais peu à peu comme un gars carriériste autant qu’imperméable à des visions nouvelles. J’avais trouvé la possibilité d’étudier les réseaux métaboliques en terme de constante de temps. Mon patron ne s’intéressait qu’aux flux. Il pensait dans le cadre du 19ème siècle alors que j’étais en chemin vers le 21ème siècle. Impasse et donc, tragique éjection de l’université pour laquelle je n’étais vraiment plus formaté et d’ailleurs, je pense pouvoir généraliser en qualifiant la recherche universitaire de système formatant et décérébrant incapable de constituer un levier pour les idées nouvelles. Un scientifique qui possède un germe de génie finit par dépérir à force d’être employé dans des tactiques stériles de recherche, à l’image d’un bulbe d’iris planté dans le désert ou mieux encore, d’un Picasso à qui on impose de repeindre des façades d’immeuble avec une couleur uniforme.
Une longue traversée du désert m’a permis de comprendre parfaitement les limites des pratiques scientifiques institutionnelles soumises à une masse de contraintes et d’impératifs tels qu’aucune réflexion librement pensée et menée ne peut s’y dérouler. Ce constat n’enlève rien à la légitimité de la recherche instituée. Elle est nécessaire mais elle est insuffisante pour ouvrir des champs. A force d’édicter des règles, des contraintes, de construire des plans de carrière, des grands projets adossés à une bureaucratie galopante, la science finit par croire qu’elle ne peut se pratiquer qu’au sein des règles consensuelles. Et que ce qui sort de son cadre n’a pas de valeur, ou du moins, que ceux qui sortent de son cadre ne doivent pas être pris au sérieux ni soutenus. A force d’être enfermé délibérément dans une caverne, on finit par croire que l’univers ressemble à cette caverne. Heureusement, quelques uns parviennent à sortir du cadre. On les trouve plus souvent chez les physiciens que les biologistes. Parfois quelques médecins ou bien d’aventureux philosophes des sciences. Car cette discipline permet de réfléchir avec moins de contrats et contraintes. Un certain type de recherche ne peut s’épanouir qu’en étant affranchie des pesanteurs du système. Je peux vous certifier avec mon expérience que ce même système ne veut pas de cette recherche. Aucune méchanceté ni adversité. Le système méconnaît les réflexions et les lignes librement tracées en dehors des règles strictes que la science respecte et produit parce que ces règles lui sont utiles pour une efficacité dans l’univers qu’elle a façonné. Des règles qui lui permettent d’accomplir des tâches répétitives et roboratives en mutilant l’esprit d’ouverture et la conscience qui cherche l’universel. Le système ne peut être productif qu’en se dotant d’œillères et en détruisant ou ignorant ce qui ne sert pas son objectif.
Les dirigeants du système, qu’ils soient professeurs, président d’université, directeur de recherche, et surtout élus politiques, n’ont pas montré qu’ils avaient un souci éthique et authentiquement éclairé de la nécessité de procéder à des recherches transversales. Je peux en témoigner, moi qui les ai rencontrés. Les cadres de la science sont un peu moins ignorants que les élus mais ces deux catégories d’individu partagent le désir de pouvoir, de carrière ; étant étrangers aux vérités philosophiques et à une certaine éthique universaliste. J’ai fini par jeter l’éponge. Bac + 21 ne sert à rien pour des gens là. Je tiens simplement à remercier les quelques universitaires qui m’ont permis de valider mes recherches assez aventureuses en me reconnaissant digne du doctorat de philosophie. Si nous étions en période de collaboration, je dirais alors que ces personnalités se sont comportées comme des justes. C’est une manière excessive de voir les choses mais elle a le mérite d’être franche et vécue authentiquement. Je tiens la démocratie actuelle pour être l’antichambre d’un totalitarisme d’un genre nouveau. Un genre avec la participation active des médias de masse et l’adhésion sur le mode émotionnel et pseudo religieux des masses. Je crois en avoir déjà parlé mais pas suffisamment. Le schéma se précise. Ma propre expérience permet de comprendre un peu cette conjoncture sociale et politique.
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