Jacqueline Sauvage : pour une « grâce totale »

La Cour d’appel de Paris a rejeté le jeudi 24 novembre la demande de libération de Jacqueline Sauvage. Une décision choquante aux yeux des filles de cette femme incarcérée pour le meurtre de son mari après 47 ans de brutalité et de viols. Face à la rigidité de l’appareil judiciaire, les trois filles de la détenue en appellent une nouvelle fois à François Hollande pour qu’il signe un décret de « grâce totale »...
On connaît les conditions dans lesquelles la Cour d’appel de Blois a confirmé le 3 décembre 2015 la condamnation de Jacqueline Sauvage à 10 ans de réclusion criminelle. Une peine d’une incroyable sévérité pour une femme victime durant 47 ans de violences conjugales et de surcroît mère de 3 filles qui, toutes, ont été violées par son conjoint sans qu’elle ait eu connaissance de ces actes odieux au moment où ils ont été commis. Hélas ! pour Jacqueline Sauvage, son manque de charisme, et surtout une grave faute de stratégie de ses deux avocates, Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta – égéries d’une thèse très contestable de « légitime défense pour les femmes violentées » –, ont joué en la défaveur de l’accusée et conduit le jury à prononcer une peine étonnamment lourde pour une affaire de ce type.
On se souvient de l’énorme émotion que ce verdict a suscitée dans le pays et qui a conduit des centaines de milliers de citoyens anonymes et un grand nombre de personnalités des milieux intellectuel et artistique à soutenir la demande de grâce présidentielle présentée par la condamnée. Malheureusement pour Jacqueline Sauvage, c’est un décret de « grâce partielle » que François Hollande – une fois de plus adepte des demi-mesures – a signé le 31 janvier 2016, laissant aux magistrats du Tribunal d’application des peines le soin de rendre sa liberté à la détenue après avoir statué sur son cas.
Naïvement, l’on pensait que le cas de Jacqueline Sauvage serait traité rapidement. Il n’en n’a rien été : ce n’est que le 12 août – 6 mois et demi plus tard ! – que le TAP (Tribunal d’application des peines) de Melun s’est enfin saisi du dossier. Et cela pour rejeter la demande de liberté anticipée de Jacqueline Sauvage à laquelle ouvrait droit la « grâce partielle » du président. Suspectée de « ne pas assez s’interroger sur son acte », la détenue, qui projetait de rejoindre l’une de ses filles dans le Loiret, ne pouvait, aux yeux du trio de magistrats de Melun, « prétendre vivre à proximité des lieux des faits, dans un environnement qui, compte tenu des soutiens dont elle bénéficie, risquerait de la maintenir dans une position victimaire. »
On imagine aisément la consternation des proches de Jacqueline Sauvage, de ses avocates et de tous ceux qui, en France, avaient soutenu cette femme tombée durant son adolescence sous l’emprise d’un homme manipulateur et violent qu’elle n’a jamais eu la force mentale de fuir. Et cela d’autant plus que la décision du TAP allait à l’encontre des réquisitions du procureur de Melun, favorable à cette libération anticipée. Une décision qui m’avait amené le 18 août à écrire ceci : « Jacqueline Sauvage continue par conséquent d’être soumise de facto à une double peine : après le calvaire qu’elle a subi durant près d’un demi-siècle de violences et de viols perpétrés sur elle-même et sur ses enfants, le trio de magistrats de Melun a décidé de laisser croupir en cellule pénitentiaire cette femme maintes fois bafouée et flétrie. »
Qu’à cela ne tienne, il restait encore un espoir, un appel de la décision du TAP de Melun ayant été interjeté auprès du parquet. Hélas ! pour Jacqueline Sauvage, les magistrats de la Cour d’appel de Paris, s’ils ont eu la décence de se prononcer plus rapidement – après tout de même 3 mois et demi de délai ! –, sont, le 24 novembre, restés sur la même ligne que leurs collègues de première instance : « Elle n’a pas assez entrepris son travail de reconnaissance de son passage à l’acte », reprochent les juges à Jacqueline Sauvage. Ce qui fait dire à Me Janine Bonaggiunta, abasourdie par cet acharnement de l’appareil judiciaire à l’encontre de sa cliente, « C’est consternant, alors qu’elle est le type même de la femme qui a vécu l’atrocité, la brutalité et qui, là encore, n’est pas reconnue en tant que femme violentée et, là encore, on n’a aucune indulgence pour elle ».
Consternant également le fait que cette décision de la Cour d’appel de Paris ait – suprême et intolérable provocation – été rendue publique la veille de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes ! Difficile d’adresser un message plus négatif à l’opinion publique et plus décourageant pour toutes celles et tous ceux qui se battent pour la dignité morale et l’intégrité physique des femmes, encore trop exposées dans notre société à des agissements violents et avilissants !
En réalité, c’est la démonstration d’un véritable acharnement corporatiste qui nous est faite dans cette affaire, ô combien emblématique des rapports difficiles de la magistrature et du politique ! Car c’est bien de cela qu’il s’agit sur le fond : depuis que François Hollande a pris le pas sur l’appareil judiciaire en signant la « grâce partielle » de Jacqueline Sauvage en janvier 2016, les magistrats ont systématiquement pris le contrepied des arguments de la défense pour rendre caducs les effets du décret de la présidence. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler qu’au-delà d’une prétendue « insuffisance du travail de Jacqueline Sauvage sur elle-même en termes de culpabilité », son installation chez sa fille du Loiret à proximité du lieu du drame, avait été pointée en filigrane comme l’obstacle majeur à sa libération. Or, cet obstacle avait disparu depuis la décision du TAP de Melun, Jacqueline Sauvage ayant signifié qu’elle avait tenu compte des attendus des magistrats et s’installerait par conséquent chez l’une de ses autres filles, au... Pays basque !
« Quand on veut noyer son chat, on l’accuse de la rage », dit le proverbe. Et quand on veut maintenir contre toute humanité une détenue en prison pour régler des comptes avec l’exécutif, on use des arguties juridiques les plus pitoyables. En l’occurrence, les magistrats ne répondent pas à leur mission première de protection de la société, celle-ci n’étant évidemment menacée en rien par la libération d’une femme usée et meurtrie, mais à un trivial désir de vengeance. Une vengeance qui, dans ce cas précis, ne vise pas personnellement Jacqueline Sauvage, réduite à son corps défendant à l’état d’objet, mais bel et bien le chef de l’État, coupable d’avoir empiété sur des prérogatives de pouvoir de nature corporatiste. Coupable de surcroît d’avoir aggravé son cas en livrant des confidences pour le moins maladroites à l’égard des magistrats aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme.
Au point où en sont les choses, il ne reste plus à François Hollande qu’à aller au bout de sa démarche du mois de janvier en signant cette fois-ci un décret de « grâce totale » afin de permettre à Jacqueline Sauvage de retrouver au plus vite ses filles et ses petits-enfants. Et cela sans être munie – ultime humiliation envisagée – d’un bracelet électronique, tel un trafiquant multirécidiviste ou un psychopathe potentiellement dangereux. Une demande dans ce sens a été déposée à l’Élysée par les filles de la détenue, accompagnée par une pétition – Libération immédiate de Jacqueline Sauvage – qui compte désormais plus de 326 000 signataires. Pour soutenir cette démarche, une manifestation aura également lieu à Paris le samedi 10 décembre à 15 heures sur le Parvis des Droits de l’Homme.
Puissent les multiples appels qui montent de la société française être entendus du président de la République. Nul doute qu’en signant un décret de « grâce totale », le chef de l’État se grandirait en faisant preuve d’une humanité à laquelle l’appareil judiciaire a tourné le dos pour des motifs manifestement frappés du sceau de la plus choquante mesquinerie.
Précédents articles consacrés au cas de Jacqueline Sauvage :
Affaire Sauvage : la scandaleuse décision du TAP de Melun (18 août 2016)
Jacqueline Sauvage : la honteuse inertie du président (25 janvier 2016)
Femmes battues : un choquant verdict (6 décembre 2015)
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