Une information exclusive du site Golias dissimulée par France Inter
Le journaliste a présenté comme une révélation l’aveu fait, samedi 17 avril 2010, par le cardinal Dario Castrillon devant une assemblée de prêtres et prélats espagnols à l’Université catholique de Murcia. Celui-ci a revendiqué une lettre qu’il avait adressée à l’évêque de Bayeux-Lisieux Pierre Pican, en 2001, après sa condamnation à trois mois de prison avec sursis pour non-dénonciation d’un prêtre de son diocèse qui avait été lui-même condamné à 18 ans de prison pour atteintes sexuelles infligées à mineurs de moins de quinze ans.
Or, l’information était une exclusivité de la revue Golias, disponible sur son site dès le 30 mars 2010 : la copie intégrale de la lettre du cardinal datée du 8 septembre 2001 y était publiée et l’est encore. Le 2 avril suivant, on reprenait soi-même l’information sur AgoraVox en reproduisant la lettre pour en tirer une analyse de l’exercice de l’autorité dans l’Église catholique, somme toute comparable à la pratique du pouvoir par toute hiérarchie livrée à elle-même sans contre-pouvoir (2). Quel média traditionnel s’est fait l’écho de ce document décisif sur la politique de protection des prêtres pédoclastes organisée par la hiérarchie de l’Église Catholique ? On n’en a pas eu vent !
Les effets inattendus de la diffusion d’un secret
Or, si Golias ne l’avait pas publié, quel média traditionnel aurait osé le faire, puisqu’aucun d’eux n’a même eu le courage de relayer l’information ? Et dans ce cas, le cardinal Castrillon aurait-il été amené à en parler si le document était resté secret ? Or, on voit aujourd’hui les effets aussi inattendus que bénéfiques de sa divulgation : elle a placé le cardinal devant un choix binaire embarrassant comme "une fourchette" aux jeu d’échecs qui force l’adversaire à sacrifier une pièce majeure pour défendre prioritairement son roi : ou nier la lettre ou l’assumer. Le prélat a dû sentir toute la rigueur de l’adage romain : « Verba volant, scripta manent ».
- Pouvait-il nier cette lettre et crier au faux ? C’était prendre le risque que Golias le confonde avec d’autres possibles documents en sa possession : la revue est réputée pour le sérieux de ses informations. Il a donc préféré assumer sa lettre et même revendiquer sa conduite.
- Et c’est l’effet inattendu de la divulgation de cette lettre secrète. Le cardinal a choisi de ne pas porter seul la responsabilité de cette politique. On l’avait évidemment compris à la seule lecture d’une telle missive : il ne pouvait pas l’avoir écrite sans avoir reçu l’assentiment ou l’ordre de son chef suprême : « J’ai consulté le pape, a-t-il reconnu selon le correspondant de France Inter, puis j’ai écrit à l’évêque pour lui dire que c’était un exemple, le modèle d’un père qui ne trahit pas ses enfants. » Il ne fait donc plus de doute : la protection des prêtres pédoclastes a été la politique réfléchie de la hiérarchie catholique : entre un individu criminel et un enfant violenté, la hiérarchie avait ordre de protéger le criminel au détriment de sa petite victime en violant au besoin les lois civiles qui font obligation de dénoncer toutes atteintes sexuelles infligées à un mineur de quinze ans.
Seulement le paternalisme n’est pas encore une catégorie juridique, mais seulement un leurre par amalgame qui maquille le rapport à l’autorité sous les apparences d’une relation paternelle et filiale pour rendre la soumission aveugle plus supportable. Jean-Paul II que certains voulaient voir canonisé « subito presto », ne va-t-il pas devoir souffrir certains dommages collatéraux : un saint donné en exemple à la chrétienté peut-il avoir mené une politique de protection de prêtres pédoclastes au détriment de leurs jeunes victimes ?
L’information censurée de France Inter
La radio France Inter s’est donc contentée de relater la réaction en chaîne qu’a provoquée la divulgation par Golias d’une lettre secrète du cardinal, mais sans informer ses auditeurs du détonateur qui a produit cette réaction. Point n’est besoin pourtant à l’heure d’Internet d’avoir un correspondant à Madrid pour un tel travail. Quelques clics seulement sur la toile suffisaient et la radio pouvait comme tout le monde prendre connaissance de la lettre du cardinal publiée par Golias et en faire état sur les ondes.
La station est d’ailleurs à ce point peu curieuse qu’elle n’a même pas cru bon de rappeler une information complémentaire utile recueillie pourtant par un média traditionnel mais concurrent, RTL, le 2 avril dernier. Interviewé, l’évêque Pierre Pican qui avait été félicité par le cardinal Castrillon, alors préfet de la Congrégation pour les prêtres (sorte de ministre de la fonction religieuse au Vatican) a entonné un hymne à la façon d’Édith Piaf : « Non rien de rien, non, je ne regrette rien ! ». Et si c’était à refaire, il agirait de même : « Non, déclare-t-il d’une voix ferme, je ne peux pas nourrir de remords par rapport à ma position. Je ne regrette pas de n’avoir pas dénoncé. Je ne l’ai pas fait et, je dois dire, je n’y ai pas du tout songé comme étant une possibilité, une issue. La question ne m’a pas traversé l’esprit, je dois dire. (…) Aujourd’hui, je ne dénoncerais pas, (…) pas aujourd’hui plus qu’hier. Ma position est extrêmement claire. Et je préfèrerais être condamné par la justice de mon pays (plutôt) que de trahir ma conscience. Et je n’appelle personne à me suivre. (À propos des victimes) Je mesure la profondeur d’un tel drame, d’un tel comportement qui est tout à fait inqualifiable et donc évidemment leur présence à ma prière, elle est continue, permanente, ça c’est clair ! » Prière aux effets incertains pour les victimes mais protection assurée pour leurs bourreaux !
Paul Villach
(1) Paul Villach, « Retour sur mon intervention chez Fogiel sur Europe1 », AgoraVox, 23 novembre 2009.
(2) Paul Villach, « La crise pédoclaste, un regard sur l’exercice de l’autorité dans l’Église catholique », AgoraVox, 2 avril 2010
(3) Extraits du « Journal de 13h » de France Inter, dimanche 18 avril 2010
« Le journaliste . - L’Église Catholique n’en a toujours pas fini avec la pédophilie. C’est un cardinal du Vatican, le cardinal Castrillon de Colombie qui s’est fait applaudir hier à Murcie par une assemblée de prêtres espagnols lorsqu’il a expliqué comment il avait félicité un évêque français qui n’avait pas dénoncé à la police française un curé pédophile. L’affaire française est connue. Le prêtre pédophile, René Bissey, a été condamné à 18 ans de prison pour viol répété d’un garçon et agression sur dix autres. On savait aussi que l’évêque Pierre Pican de Bayeux et Lisieux n’avait pas dénoncé le curé en question. Eh bien, ce qu’on a appris hier, Emmanuel de Taillac, c’est que l’évêque français avait été félicité pour cela par le cardinal Castrillon qui était, à l’époque, au Vatican Préfet de la Congrégation pour le Clergé
E. de Taillac . - C’est lors d’un hommage au pape Jean-Paul II, organisé à l’Université catholique de Murcie que Mgr Castrillon a ravivé la polémique. Oui, en 2001, il a bien rédigé une lettre adressée à Pierre Pican, évêque de Bayeux, pour le féliciter de couvrir un prêtre accusé de pédophilie. Mais, en plus, cette lettre bénéficiait selon l’évêque colombien de l’approbation du pape Jean-Paul II. « J’ai consulté le pape, puis j’ai écrit à l’évêque pour lui dire que c’était un exemple, le modèle d’un père qui ne trahit pas ses enfants », a précisé le cardinal. Ces déclarations ont été très applaudies par l’assistance de l’Université espagnole. Parmi les spectateurs enthousiastes, l’archevêque de Sarragosse ou encore le cardinal Antonio Canizares, préfet à Rome de la Congrégation pour le culte divin. Dario Castrillon a défendu l’évêque français parce qu’il avait protégé la confidence du prêtre incriminé. Le Vatican précise en tout cas que cette confidence n’était pas une confession que l’Église catholique protège par le secret.
Madrid, Mathieu de Taillac pour France Inter. »