Jésus, suite du débat avec Antenor
Dans mon précédent article, Antenor soulève deux questions : la disparition mystérieuse du corps de Zacharie assassiné dans le temple de Jérusalem (Protévangile de Jacques) et le temple juif d'Onias en Égypte qui pourrait expliquer que Jésus enfant s'y soit réfugié comme l'évoque l'évangile de Matthieu (Mt 2, 13).
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les deux faits sont liés, et dans le temps, l'espace et dans le symbolisme. Le Zacharie de Jacques "sont" les prêtres qu'Hérode a fait assassiner en l'an moins 4, lors de la répression de la fin de son règne (cf Flavius Joséphe). Circonstance agravante, Jacques précise : dans le temple. Toujours selon Jacques, son corps a disparu (en tant que groupe) mais non son esprit qui est, pour ainsi dire, ressuscité dans Jean (futur Jean-Baptiste).
À la deuxième question, j'ai répondu que si Matthieu évoque la fuite de la sainte famille en Egypte, c'est parce qu'il a voulu satisfaire à une réclamation de la communauté juive qui s'y trouvait, laquelle n'aurait pas apprécié que les évangiles précédents n'aient pas parlé d'elle. Je laissais entendre par là que cette "escapade" n'était qu'un rajoût littéraire de circonstance à un texte, somme toute romanesque, ce en quoi je me trompais gravement. En réalité, il y a les faits et le fait est que suite à la répression hérodienne, des Juifs esséniens ont dû s'exiler, non seulement dans le désert de Judée, mais aussi à Alexandrie pour y rejoindre la communauté juive d'Onias. Il est donc tout à fait honnête et juste que Matthieu ait réparé l'oubli des évangiles précédents, les exilés ayant, eux aussi, apporté à Alexandrie l'esprit de Jésus qui était en eux.
De même, si les quatre évangiles reprennent dans le miracle du tombeau vide de la résurrection l'idée du corps disparu de Zacharie, ce n'est pas seulement parce que c'est une bonne idée de miracle, mais parce que cette idée s'inscrit dans le même symbolisme de la résurrection zacharienne par l'esprit. Le corps n'est rien, c'est l'esprit qui compte (Jn 6, 63).
En constatant le net recul des votes positifs en faveur de mon précédent article, force est de constater que la thèse que je propose passe mal.
Et pourtant, on sait que les Juifs de cette époque prenaient plaisir à déchiffrer de tels textes, d’autant plus qu’en voyant les non Juifs les prendre au premier degré - ce que font mes contradicteurs - cela leur donnait probablement l’impression d’être plus intelligents qu'eux. Et certes, ils l’étaient car ils comprenaient que l’important, dans ces évangiles, était l’enseignement qui s’y trouvait alors que les non Juifs n'y voyaient, dans leur aveuglement intellectuel, que les miracles et l'espoir de leur propre résurrection.
En fait, je n'invente rien, ou si peu. Il suffisait de pousser un peu plus avant les travaux et les réflexions d'André Dupont-Sommer et de Claude Tresmontant pour comprendre, et c'est bien ce que craignaient les exégètes de l'école allemande.
Quand mon contradicteur Gollum me dit qu'il n’est pas possible que, dans l'évangile de Jean, Pilate pose à un conseil la question « Es-tu roi ? », il a apparemment raison, car, pour nous, un roi ne peut être qu'un individu et pas un conseil comme je l'ai écrit. Mais tout s'éclaire quand on découvre dans l'écrit essénien de Damas cette affirmation : "Le roi, c'est l'Assemblée" (l'Assemblée est le grand conseil de Dieu omniprésent dans les textes esséniens). En fait, l'évangéliste Jean n'a fait que reprendre ce qui avait déjà été dit par l'esprit qui inspirait ses prédécesseurs, non seulement dit mais écrit. Comme Jean le fait dire par Pilate, non sans humour : ce qui est écrit est écrit.
Il faut comprendre que l'évangéliste transpose son récit en le situant au niveau des esprits. Bis repetita, le corps n'est rien, c'est l'esprit qui compte. Autrement dit, le dialogue entre Pilate et Jésus est certes, un "parler" (un mot que Tresmontant affectionne) mais un parler entre deux esprits, le mouvement des corps et des lèvres ainsi que le son qui s'ensuit n'étant qu'une apparence.
En remplaçant le mot "Jésus" par "conseil galiléen" dans l'interprétation que j'ai donnée dans mon précédent article, j'ai fait l'erreur de ramener le récit au niveau du plancher des vaches. L'expression "esprit de Jésus qui est dans le conseil essénien/galiléen réformé par Jean-Baptiste" aurait peut-être été mieux appropriée pour rester au niveau du monde platonicien des idées.
Par ailleurs, une lecture attentive des écrits esséniens montre à l'évidence que seule avait pouvoir de décision l'Assemblée. L'individu nommément désigné n'existe pas, seulement en tant que membre. Il y a certes des inquisiteurs mais leur rôle se limite à des questions d'organisation. Le seul individu évoqué et encore influent par-delà sa mort est le fondateur de cette nouvelle alliance. Il est le messie sacerdotal qui doit revenir à la fin des temps, en compagnie du messie d'Israël, quand Dieu, Adonaï, en décidera le moment. Ceci, pour dire qu'une venue d'un Jésus homme, avant ce moment ultime, est rigoureusement impensable dans la pensée essénienne. Jésus est bien le messie d'Israël dont les Esséniens des évangiles attendent la venue en gloire mais il n'est venu dans les dits évangiles qu'en esprit, en s'incarnant dans la communauté.
Dans ces conditions, il faut comprendre que les frères de Jésus sont des communautés esséniennes parmi d'autres communautés, tels que Flavius Josèphe les décrit réparties sur le territoire, mangeant ensemble autour du repas pris en commun, priant ensemble suivant des règles strictes. Dans ces conditions, il faut comprendre que Marie est une population pieuse de Galilée et Joseph, la semence revenue en Israël des prêtres Joseph d'Égypte.
Certains disent : tout cela est bien trop compliqué pour être vrai. Prévoyant la question, Jésus leur a déjà répondu : quand je vous parle des choses de la terre, vous ne me croyez pas. Alors, quand je vous parlerai des choses du ciel, comment pourrez-vous me croire ? (Jn 3, 12)
Je suis très étonné que les commentateurs du Nouveau Testament n'aient pas vu à quel point l'essénisme des évangiles est une profonde réforme de l'essénisme ancien tout en le prolongeant.
Alors que les Esséniens des manuscrits pratiquent l'ascèse, le Jésus de Luc mange et boit (Lc 7, 34).
Alors que l'écrit de Damas condamne la femme adultère à la lapidation, le Jésus de Jean lui pardonne (Jn 8, 11).
Alors que cet écrit prescrit que le jour du sabbat, on ne se promène pas dans la campagne en dehors de la ville au-delà de mille coudées, le Jésus de Marc marche dans la campagne.
Alors que cet écrit prescrit que ce jour là, ce qui se perd dans les champs, on ne le mange pas, qu'on prépare les repas la veille, les disciples de Marc cueillent tout en marchant quelques menus épis de blé (Mc 2, 23, Écrit de Damas, X, 20 à 23).
Il s'agit là d'une contestation, point par point, qui saute aux yeux du lecteur, et ce ne sont que des exemples parmi d'autres.
Je suis étonné que les commentateurs du Nouveau Testament n'aient pas vu l'enjeu qui s'est joué dans ce véritable tournant de l'Histoire, entre un conservatisme, voire un retour en arrière, de la deuxième épître de Pierre (en réalité, c'est la plus ancienne) et l'évangile de Jean dans lequel Claude Tresmontant voit, à juste raison, la parole créatrice. C'est toute la compréhension du monde, de l'homme, de sa finalité et de son devenir qui sont en cause.
“Comme le dit la Génèse, au commencement il n'y avait rien. Il n'y avait que la parole qui rayonnait autour de Dieu et qui était en Dieu. Dieu était la parole. Dieu était dans la parole créatrice. Tout ce qui est paru est sorti de là ; et rien n'a paru sans passer par là. Dieu est dans la vie. La vie est lumière. La lumière éclaire les hommes.”
La lumière s'est-elle éteinte ? Non, pas tout à fait. Certains l'ont reçue. Elle brille dans leur intelligence. Ceux-là sont les héritiers et successeurs ; ils sont et seront enfants de Dieu. Ils portent l'espoir du monde (prologue de Jean).
Teilhard de Chardin ne dit pas autre chose.
Le tympan de Sainte-Foy de Combes s'inscrit dans le prolongement de la pensée essénienne.
A la fin du III ème siècle ou avant, en tout cas, avant l'intervention armée des tétrarques romains en Gaule de l'an 294, une colonie arverne de Gergovie élève à Sainte Foy de Combes un superbe monument , apparemment, à la gloire du Christ du ciel. Je dis "apparemment" parce qu'in s'y trouve pas le nom de Jésus. Le tympan est un véritable chef-d'oeuvre. Il s'agit de la scène du Jugement dernier à venir. Les bons sont élevés et sanctifiés, les pêcheurs précipités dans le Tartare des Juifs. Comme l'indique l'inscription du nimbe en lettres entremêlées REX JUDIX, le personnage central qui trône dans le ciel
est à la fois juge et roi. Mais il y a un problème quant à l'inscription portée sur le bois de la croix. En commençant par la ligne du haut, on lit ENS REX IUDEORUM. Dans l'inscription ENS, est-il possible d'y voir le mot tronqué de Nazaréen (NAZOR)EN(U)S et d'imaginer au-dessus un IESUS qui aurait disparu, ce qui aurait donné "Jésus, le Nazaréen, roi des Juifs" ? C'est rigoureusement impossible. L'explication la plus simple est de voir dans ENS un participe peu usité du verbe être (esse), ce que confirme le glossaire médiéval de Gange. Plutôt que "Je suis le roi des Juifs", le sculpteur a écrit : "L'étant, roi des Juifs". Ce roi des Juifs est dans le ciel. Il est écrit dans son limbe en lettres alternées REX IUDIX, roi juge, et au-dessus de sa tête (H)OC SIGNUM CRUCIS ERIT IN CELO CUM, ce signe de la croix apparaîtra dans le ciel quand... À gauche, l'inscription SANCTORUM CETUS STAT XPISTO JUDICE LETUS, l'assemblée des Saints se tient debout, joyeuse, à côté du Christ juge, indique clairement que nous sommes dans l'héritage de la pensée essénienne. Dans l'église de Notre-Dame du Port, le XP désigne le fils de Jessé, le roi David. Quant à l'assemblée des Saints, ce n'est ni plus ni moins que l'assemblée de Dieu des manuscrits esséniens. L'évocation de la croix, des clous et de la lance fait-elle référence à l'évangile de Jean ? Je ne le pense pas. Il s'agit très logiquement d'un hommage rendu à tous les martyrs juifs crucifiés, notamment aux 800 Esséniens crucifiés en Galilée par le roi asmonéen Alexandre Jamnée. La sculpture s'inscrit dans la suite du tympan de Moissac http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-arrivee-des-saints-de-dieu-en-128258. Certains ont cru combler les manques de certaines inscriptions par des phrases extraites des évangiles. Pour ma part, je ne vois rien de tel même si l'évangile de Matthieu évoque un jugement dernier semblable. Les spécialistes ne font remonter le tympan qu'au XI ème siècle ; c'est impossible. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/de-qumran-a-constantin-quand-la-124138
Nous sommes en plein dans le mystère essénien.
Emile Mourey, le 22 avril 2015, extraits en partie de mes ouvrages, www.bibracte.com, photos et références http://www.art-roman-conques.fr/inscriptions.html# et http://www.compostelle.ch/photoconquesmoissac2.html
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