Joe Van Holsbeeck est mort pour un lecteur MP3
Si à cinq mois d’importantes élections en Belgique, la tentation est forte de faire du meurtre crapuleux de ce jeune une nouvelle vitrine politique du thème décidément inusable d’immigration-insécurité, et si on ne peut que s’apitoyer sur la facilité avec laquelle ces discours fonctionnent encore auprès de certains, il faut par contre reconnaître et louer la grande force de la famille qui face à la pression politique et médiatique a su imposer qu’il n’y ait aucune représentation politique dans les cortèges de ce week end, et qui a marché dimanche soutenue par 80 000 personnes en refusant les amalgames et en demandant plus d’éducation.
Aujourd’hui nous apprenons que l’un des deux agresseurs "maghrébins" est en fait un jeune d’origine polonaise et que l’autre serait peut être en fuite en Pologne (www.lalibre.be mardi 25 avril).
Loin des déclarations hâtives et des phantasmes politiques, l’adolescent de 17 ans a été poignardé pour son lecteur MP3 et non pas pour une appartenance communautaire. Triviale réalité, bassesse de la cupidité humaine, certes, mais également révélateur d’un malaise social plus profond dont la formulation, qui remet en cause profondément notre société de consommation, cherche à tout prix à être évitée par les politiciens.
Il faut ici reconnaître le rôle positif de certains médias qui loin de crier au loup sécuritaire avec les représentants politiques de tous poils, cherchent à poser un vrai débat de société sur les origines de ces violences. Lundi 24 mai sur la radio Première de la RTBF aux infos du matin, puis dans l’émission Face à l’info, les invités, des sociologues, des éducateurs, après avoir analysé comment, en France, les réponses policières de Sarkozy et le plan réduisant la période scolaire aux jeunes en échec de de Villepin sont des facteurs qui augmentent la frustration, ont martelé que “la société de consommation fait le lit de la criminalité” et qu’il est urgent d’avoir un projet de société qui affirme qu’il y a plus important dans la vie qu’un lecteur MP3.
En France, à la suite du meurtre Ilan Halimi, le journal Le Monde avait publié (article du 24 février 2006, voir ci-joint) un rapport des RG et analysé avec François Jaspart, le directeur de la Police judiciaire de Paris, les motivations des bandes organisées qui sévissent dans les banlieues françaises. Le diagnostic était simple : “Dans leur organisation, on trouve un chef, des cadres et des ouvriers. Ils veulent profiter de la société de consommation, qui n’est pas à leur portée, mais qu’ils voient fonctionner."
On aurait presque honte de recopier des phrases d’une telle évidence, si malheureusement on ne les lisait que trop peu. Il est inquiétant de voir que les politiciens préfèrent dévier le débat sur celui, pourtant explosif, du communautarisme, plutôt que de poser la question, qui doit leur paraître autrement plus dérangeante, celle de notre modèle de société.
Les photos des agresseurs (diffusées notamment sur www.police.be avant l’interdiction de montrer des photos de mineurs) ne permettaient absolument pas de définir l’origine des agresseurs, contrairement à ce qui a été dit, même dans les commentaires d’AgoraVox. Par contre, il était facile de remarquer que l’un des jeunes était une véritable publicité ambulante pour Nike. Le ridicule de ses allées et venues sponsorisées devant la caméra de surveillance de la gare centrale aurait été risible s’il ne s’était agi d’une scène de crime. Homme-sandwich et croquemitaine. Ado sans autre modèle que publicitaire, affamé de paraître et d’avoir.
Le problème d’une société qui valorise ses individus par leur consommation est au coeur du débat. Prenons un exemple : pendant des semaines, sur toutes les radios belges, une publicité pour les dix jours Renault tournait en boucle : un employé venant rendre visite à son patron à l’hôpital le débranche et le tue par inadvertance, tout cela pour illustrer le slogan : “C’est embêtant, mais moins que de rater les 10 jours Renault”.
Est-ce être parano que de voir une dérive grave dans ces dépréciations quotidiennes de la vie humaine face à une bonne affaire ou à un produit ?
Comble de l’ironie : à la fin de l’émission Face à l’info qui montrait du doigt les discours publicitaires et le tout-consommation dans l’origine des violences, l’animateur conclut, et lance la chanson finale, It was my friend, dédicacée à Joe. On n’en a pas entendu trois accords parce qu’il était 19h et qu’il fallait que le royaume sache que Tropicana, c’est 100% pur plaisir...
Quelle crédibilité ?
A force de créer de nouveaux besoins, la frustration de ne pas avoir le dernier gadget à la mode devient un facteur d’exclusion, cette insatisfaction d’une envie devient aussi forte que l’insatisfaction d’un besoin primaire.
Pourtant, heureusement, que ce soit en France ou en Belgique, les initiatives fleurissent dans le milieu associatif pour réfléchir, et construire un autre modèle que le publicitaire actuel. Des groupes qui gagneraient à se fédérer, et dont les idées mériteraient d’être débattues plus largement.
Car outre les actions anecdotiques comme les flagadas (dégonflés en France), les Tvbigonneurs, les barbouilleurs, les fidèles de l’Eglise de la Très-Sainte consommation, les journées sans achat, les actions “Faites l’amour, pas les magasins” qui expriment plus un ras-le bol de cette pression publicitaire, des groupes avec des propositions alternatives se forment et se structurent, qui réfléchissent et mettent en pratique d’autres types de relations et d’échanges, les freecyclers, les freegans, les groupes de simplicité volontaire, les RES, les SEL, les objecteurs de croissances, etc., et au niveau national des actions et des campagnes fédèrent de nombreuses associations : l’ASBL Respire et le RAP Belgique terminent une semaine de débats soutenus par des universitaires et des collectifs sur la place de la publicité dans le service public, pour faire suite à leur pétition pour le maintien des 5 minutes sans publicité autour des programmes pour enfants ; depuis quelques années, des poids lourds du milieu associatif belge se sont réunis pour une action :“ça passe par moi, consommer moins, consommer mieux” ( Oxfam, Réseau Eco-consommation, Nature et progrès, Crédal...) et en juin une Foire aux savoir-faire aura lieu, un événement entièrement gratuit organisé par des bénévoles en soutien à cette campagne et dont le but est de revaloriser le faire par soi-même en opposition à une consommation de masse.
Des initiatives qui partent de la société civile, qui posent des questions dérangeantes et qui mériteraient leur place dans le débat public.
Octobre 2006 pour la Belgique, 2007 pour la France, est-ce que nous allons encore nous faire confisquer l’espace de débat public par un faux thème de campagne : après la sécurité, l’immigration ? Tout cela pour éviter un vrai problème, celui de notre modèle non viable de société, une société qui consomme trop, des individus qui consomment pour exister, pour s’intégrer.
A quand des politiciens qui cesseront de brandir des épouvantails pour arborer des projets de société, pour discuter de ceux en place ?
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