L’affaire DSK et « la ficelle » de Maupassant
L’hypothèse d’une machination deviendrait-elle de plus en plus vraisemblable ? Sans pouvoir trancher, on l’a évoqué depuis l’arrestation en fanfare de DSK, le 14 mai dernier, à New-York, pour agression sexuelle (1).
Les questions troublantes d’un journaliste américain
Les questions soulevées par l’enquête d’un journaliste américain, parue dans le magazine New York Review of Books, (2) accroissent en tout cas l’interrogation : message personnel de DSK reçu par un siège parisien de l’UMP, son téléphone perdu piraté et toujours introuvable depuis, allées et venues de Mme Diallo, la femme de chambre, de sa suite à celle d’à côté, manifestations de joie exubérante de deux membres du personnel de l’hôtel Sofitel surpris par la caméra de surveillance …
Edward Jay Epstein, le journaliste américain, est bien chanceux. À quelle variété d’informations a-t-il accédé ? On croirait bien qu’il s’agit d’ informations extorquées. Mais comment a-t-il pu accéder à toutes ces informations confidentielles : le suivi téléphonique du téléphone de DSK et de certains responsables de l’hôtel Sofitel, les enregistrements des clés électroniques du personnel, les images vidéo des caméras de surveillance ? C’est une première question. Les directions de l’hôtel ou de les agences de télléphone ont-elles mis volontiers à sa disposition toutes ces informations ? On en doute. Proviennent-elles de DSK et de ses avocats ? On comprendrait mieux l’observation finale de DSK au cours de sa dernière interview sur TF1, le 18 septembre 2011 : « Un piège ? Peut-être ! Un complot ? On verra ! » Disposait-il déjà de ces informations pour s’avancer ainsi ?
Il reste que l’hypothèse du complot s’en trouve renforcée. Y avait-il quelqu’un dans la suite voisine de celle de DSK où la femme de chambre est venue avant et après ces 6 à 7 minutes qu’aurait duré l’agression supposée ? La direction de l’hôtel s’est refusée, selon E.J Epstein, à répondre clairement à la question.
Être prisonnier des apparences sans pouvoir en sortir
1- « La ficelle » de Maupassant
Dans l’attente, on est tenté de faire un rapprochement entre l’affaire DSK et la nouvelle « La ficelle » de Maupassant qui raconte la tragédie d’un paysan normand prisonnier des apparences d’une culpabilité malgré son innocence et qui finit par en mourir (3).
En se rendant au marché de la région, Hauchecorne ramasse un bout de ficelle dans la gadoue, car il est un peu pingre de nature. Mais au moment où il se baisse, il aperçoit son ennemi intime, Malandain, qui l’observe de loin sur le pas de sa porte. Honteux d’être surpris ainsi, il fait celui qui a trouvé quelque chose de précieux : il met soigneusement le bout de ficelle dans sa poche et feint de continuer à chercher autre chose au sol. Ce leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée convaint son ennemi Malandain qu’il a vraiment ramassé un objet qui méritait de l’être, alors qu’il ne s’agissait que d’un bout de ficelle.
Or, on apprend bientôt qu’un portefeuille a été perdu par un paysan du marché. Malandain s’empresse d’aller dénoncer au maire son ennemi Hauchecorne qu’il a vu ramasser quelque chose : c’est sûrement le portefeuille ! Convoqué, celui-ci ne peut que hausser les épaules et montrer le bout de ficelle qu’il a, de fait, trouvé. Or, le maire ne peut le croire pour deux raisons :
- l’une est qu’ il confirme ce qu’a vu le témoin : il a effectivement ramassé quelque chose par terre.
- l’autre raison est qu’ il obéit au principe qui régit « la relation d’information » en prétendant que ce n’était qu’un bout de ficelle : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Il minimise donc son acte comme il se doit. Mais la ficelle n’est pas crédible : qui l’aurait ramassée dans la boue ?
Hauchecorne a beau nier avec la dernière énergie, détenir le portefeuille, personne ne le croit : y compris quand celui-ci est retrouvé, on l’accuse de l’avoir fait rapporter. Le pauvre homme finit par mourir, n’en pouvant plus d’être accusé à tort.
2- L’affaire DSK
Si on admet l’hypothèse de la machination, DSK serait, comme Hauchecorne, prisonnier des apparences d’une culpabilité alors qu’il serait innocent de ce dont on l’accuse. Certes des traces d’ADN d’origine spermatique auraient été retrouvées dans la suite et sur les vêtements de la femme de chambre accusatrice. Comment les expliquer sans un contact étroit entre elle et DSK ?
Pourtant, il se peut très bien qu’aucune relation sexuelle n’ait eu lieu entre eux. On a dit que DSK, avait reçu une femme dans la nuit. Un préservatif usagé dans une corbeille peut avoir été utilisé pour semer ici et là les traces d’ADN retrouvées. La femme de chambre n’a-t-elle pas fait des allées et venues entre les deux suites voisines ?
Mais pour se défendre de toute agression envers la femme de chambre, il aurait fallu à DSK admettre une relation sexuelle quand bien même elle n’aurait pas eu lieu, en la qualifiant de mutuellement consentie. Et pour expliquer que Mme Diallo le poursuive en justice, l’allégation d’une extorsion financière était la seule plausible.
Ainsi DSK pourrait se retrouver comme Hauchecorne, prisonnier des apparences de la culpabilité, sans pouvoir en sortir. Mais, à la différence d’Hauchecorne qui fait douter de sa fiabilité en reconnaissant avoir ramassé un objet à terre, DSK est contraint d’expliquer les traces d’ADN par l’aveu d’une relation sexuelle inexistante consentie mutuellement qui seule permet de les comprendre. « Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable », prévenait déjà Boileau en 1674 dans son « Art poétique » à propos du théâtre. Paul Villach
(1) Pierre-Yves Chereul, « L’affaire DSK : deux hypothèses pour une énigme », Éditions Golias, juin 2011.
(2) Edward Jay Epstein, « What really happened to Strauss-Khan ? », New York Review of Books, 26 novembre 2011
http://www.nybooks.com/articles/archives/2011/dec/22/what-really-happened-dominique-strauss-kahn/
(3) G. de Maupassant, « La ficelle », texte publié dans Le Gaulois du 25 novembre 1883, puis publié dans le recueil « Contes normands »
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