L’Afrique, un Eldorado vierge
L’AFRIQUE, UN ELDORADO VIERGE
Ce jour-là : le 15 novembre 1884, la conférence de Berlin fonde les bases de la colonisation à grande échelle de l’Afrique
Journée plus que révélatrice s’agissant du continent africain. Celle-ci marque l’ouverture de la conférence de Berlin, où les plus grandes puissances européennes se sont accordées sur une politique de colonisation massive de l’Afrique.
La scène se déroule à des milliers de kilomètres du continent africain, dans la froideur berlinoise du mois de novembre. Ce 15 novembre 1884, le chancelier allemand Otto von Bismarck (duc de Lauenburg et prince de Bismarck, né à Schönhausen le 1er avril 1815 et mort le 30 juillet 1898 à Friedrichsruh, est un homme d'État prussien puis allemand. Il est à la fois ministre-président du royaume de Prusse de 1862 à 1890, chancelier de la confédération de l'Allemagne du Nord de 1867 à 1871, avant d'accéder au poste de premier chancelier du nouvel Empire allemand en 1871, poste qu'il occupe jusqu'en 1890, tout en conservant sa place de ministre-président de Prusse. Il joue un rôle déterminant dans l'unification allemande), prononce le discours d’ouverture d’une conférence dont personne ne soupçonne encore les conséquences. Elle réunit les représentants des grandes puissances de l’époque : la jeune Allemagne, l’Angleterre toute puissante, sa rivale la France, l’Empire Ottoman, les États-Unis… Le but de la conférence, qui se tient en toute discrétion ? Organiser l’équilibre des puissances occidentales, pour éviter qu’elles s’affrontent. Et pour ce faire, les dirigeants, diplomates et autres émissaires, doivent s’accorder sur leurs ambitions africaines.
Joël Calmettes, auteur du documentaire Berlin 1885 : ruée sur l’Afrique, (https://www.youtube.com/watch?v=ZI5bBWZ7XxE) s’est plongé à travers son reportage dans les arcanes de cette conférence décisive pour le sort du continent africain. Il explique les raisons qui ont poussé les rivaux européens à se concerter plus qu’à s’affronter.
« À l’époque, la cicatrice de la guerre de 1870 est encore vive. Les trois grandes puissances que sont l’Allemagne, la France et l’Angleterre, craignent chacune de voir les deux autres s’allier contre elles. Elles cherchent toutes à limiter les risques de conflit. »
Dans cette optique, chacun tente d’accroître sa puissance. Et à l’époque, le meilleur moyen d’y parvenir reste d’étendre son territoire. C’est pourquoi le vieux continent a les yeux braqués sur l’Afrique, supposée vierge et vide. Durant de longues années, l’intérieur du continent africain, souvent difficile d’accès, n’a pas attiré les puissances européennes qui se contentaient d’y installer des escales ou des comptoirs de commerce. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’appétit des puissances européennes est attisé par la découverte de richesses insoupçonnées, à l’image des mines de diamants du Transvaal découvertes en 1867. Durant les années 1880, les prétentions des colonisations européennes en Afrique s’intensifient jusqu’à créer des tensions entre les différentes puissances. En 1830, la France occupe l’Algérie, le Sénégal, ainsi que le centre de l’Afrique du nord et en 1881, s’accapare la Tunisie, froissant au passage la susceptibilité de l’Italie, pose ses premiers jalons dans les territoires constituant l’actuelle république du Congo et asservit la Guinée en 1884. En 1882, le Royaume Uni s’empare de l’Egypte, une province de l’Empire Ottoman avant de se tourner vers la Soudan et l’actuelle région du Somaliland que les colonisateurs dénommeront en 1884 Somalie Britannique. En 1885, l’Italie prend possession de l’Erythrée, alors que l’Allemagne proclame en 1884 avoir pris possession du Togo, du Cameroun, du Sud-Ouest africain (l’actuelle Namibie) et de l’Afrique Orientale allemande en 1885. La conférence de Berlin fut convoquée de novembre 1884 à février 1885. À ce colloque fut décidé l’aménagement ordonné de l’Afrique et l’installation de façon durable de la colonisation de l’Afrique.
La concurrence engendrée par l’exploration du bassin du Congo (1884-1887) par Henry Morton Stanley (Né le 28 janvier 1841 à Dinbych (pays de Galles) et mort le 10 mai 1904 à Londres, est un journaliste et explorateur britannique. Il est connu pour son exploration de l'Afrique et sa recherche de David Livingstone), qui efface l'une des dernières terra incognita de la carte du continent, aboutir à l'organisation de la conférence de Berlin), appelée par le roi des Belges Léopold II afin d’envoyer des expéditions au Congo aux motifs de « civiliser » le continent africain. Elle conduit à la création de l’Association internationale africaine dès 1878. Le souverain Léopold II saisit l’occasion de la traversée du continent par HM Stanley pour l’inviter à se joindre aux travaux de la nouvelle association.
En 1878, la Belgique érige l’Association internationale du Congo qui assigne des objectifs explicitement économiques ; elle reste toutefois en relation étroite avec l’Association internationale africaine qui lui offre un paravent philanthropique. Stanley est chargé de retourner au Congo, avec la mission secrète d’établir un état indépendant du Congo, dont il serait le chef au nom de l’Association internationale africaine.
Dans le même temps, la France affirme son intérêt pour la région : l’officier Pierre Savorgnan de Brazza (né le 26 janvier 1852 à Rome et mort le 14 septembre 1905 à Dakar est un explorateur italien, naturalisé français, officier de marine qui a ouvert la voie à la colonisation française en Afrique centrale), remonte le bassin du Congo pour fonder Brazzaville en 1881. Le Portugal, qui s’appuie sur des traités antérieurs signés avec l’Empire Kongo, revendique une souveraineté sur ces mêmes territoires. Il passe le 26 février 1884 un accord avec le Royaume Uni pour bloquer l’accès de l’océan atlantique à l’Association internationale du Congo. Le Portugal conçoit alors l’idée d’une conférence internationale pour le partage de cette région. L’idée fut immédiatement reprise par l’Allemagne avec le chancelier Bismarck qui convoqua à Berlin le 14 novembre 1884.
Pierre Savorgnan de Brazza
Joël Calmettes décrypte ce regard que les dirigeants européens portaient alors sur le continent. « L’envie de s’étendre est bien là. Les Européens connaissent très mal l’Afrique, les cartes suivent seulement le cours des fleuves. C’est un territoire immense et inconnu qui commence à attirer ces États qui sont encore des start-up de la colonisation. Les puissances coloniales ont une administration peu structurée et très peu de fonctionnaires. »
Parmi les quelques territoires connus des Européens, l’embouchure du fleuve Congo dans le Cabinda (https://www.monde-diplomatique.fr/1986/10/MAS/39554), dont Portugais et Anglais se disputent la propriété. Ce litige est utilisé comme prétexte pour la tenue d’une conférence aux enjeux plus larges.
La réunion a officiellement pour but de lutter contre l’esclavage et la traite organisée en Afrique, mais l’agenda officieux est tout autre, comme l’explique Joël Calmettes : « La conférence de Berlin ne s’apparente pas à un partage de l’Afrique pur et simple comme on le dit souvent. C’est caricatural. Elle a plus servi à définir des règles de bonne entente, des lois à respecter pour s’accaparer un territoire. Une sorte de charte de la colonisation » (http://mjp.univ-perp.fr/traites/1885berlin.htm).
Et tout le monde veut sa part du gâteau, pour des raisons différentes. Jule Ferry, alors ministre des Affaires étrangères français à l’époque, estime que la colonisation constitue un projet essentiel pour maintenir l’unité nationale. C’est pourquoi il envoie le baron de Courcel (Alphonse Chodron de Courcel, né à Paris le 30 juillet 1835 et mort le 17 juin 1919, est un diplomate et homme politique français. Il est le fils de Jules Chodron (1804-1870), secrétaire de légation, et d'Henriette Boulay de la Meurthe (1809-1884), fille d'Antoine Jacques Claude Joseph Boulay de la Meurthe. Il épouse le 28 novembre 1866 Marie-Elisabeth Texier. Il devient baron de Courcel (de Port Courcel, sur la Seine à Vigneux, dans l'Essonne), grand diplomate de son temps, représenter les intérêts français à Berlin. Otto Von Bismarck, lui, est peu convaincu par l’expansion coloniale, mais s’implique malgré tout, de peur de voir les rivaux de l’Allemagne prendre le dessus.
Jules Ferry créateur de l'école laïque gratuite et obligatoire
Léopold II, roi sans empire et mégalo
Aux côtés des géants européens, d’autres protagonistes tentent de tirer leur épingle du jeu. Parmi eux, le roi belge Léopold II (http://www.lisapoyakama.org/les-mains-coupees-du-congo-belge/), frustré de régner sur un royaume sans empire qu’il qualifie de « confetti ». Très impressionné par le récit de l’exploration de Stanley, parti à la recherche de Livingstone dans un célèbre voyage, il voit là l’occasion de se tailler un empire à sa mesure.
En 1878, il crée l’association internationale du Congo, officiellement organisée « à but philanthropique », à qui les membres de la conférence de Berlin reconnaissent une légitimité internationale lors des débats. Dès lors, le territoire annexé au Congo devient la possession personnelle de Léopold II. « Un cas exceptionnel dans l’histoire, puisqu’un seul individu détient alors 2,5 millions de kilomètres carrés et la force de travail de tous les habitants sur place, ce qui fait de lui « le principal vainqueur objectif de la conférence », juge Joël Calmettes.
Cet accord intervient après quatre mois de débats, le 26 février 1885, date à laquelle se termine la conférence. Elle fixe des règles sur l’occupation du continent africain : pour décréter la colonisation d’un territoire, il faut prouver son occupation, ce qui se traduit souvent par une simple prise de possession symbolique. Joël Calmettes donne un exemple parlant : « En Namibie, c’est un commerçant allemand qui a conquis le territoire en l’achetant pour 100 livres et 200 fusils. »
Mais plus généralement, la conférence de Berlin a surtout entériné une conception de l’Afrique comme ressource que l’on peut exploiter. Cela demeure et, se perpétue quand bien même que les luttes panafricaines et indépendantistes tentent d’inverser la tendance.
Le pillage de ressources naturelles a détruit pendant deux siècles tout un continent, entrainant de facto un pillage culturel. La responsabilité des occidentaux a toujours été engagée ; et aujourd’hui davantage plus. Les accords commerciaux sont à revoir. Le mot « libre échange » ne correspond pas à ce pillage aux dépends du peuple africain. L’Afrique n’a plus besoin des accords non-accordés à ses intérêts, plus besoin des aides. Le continent a aujourd’hui besoin des accords de partenariats, où ses intérêts sont sauvegardés. Or, presque deux siècles après l’Acte général de la conférence de Berlin de 1885, les pays occidentaux, surtout les européens et les américains poussent vers la liberté de commerce, à n’importe quel prix. Si auparavant, c’était le commerce en dépit des africains, de leurs cultures, de leur dignité, aujourd’hui c’est le libre commerce ou « la guerre ». Car n’oublions pas sans les ressources naturelles africaines, plusieurs puissances occidentales seront en bernes et bien ternes.
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