L’avenir s’est noyé dans les réformes, notre président aussi

La vulgate officielle adossée aux années Thatcher, le tout érigé en mythe réformiste, tente de nous faire croire que comme l’Angleterre de la fin des années 1970, la France se doit de rejoindre le concert des nations dans la mondialisation et conjurer son déclin. Ainsi parlent les analystes. Sont-ce les mêmes qui comparent 2008 à 1929 ? Pas forcément. Chacun son domaine d’incompétence. Faut-il faire des réformes ? Les Français en sont persuadés. Cela va de soi. On leur a tellement martelé l’idée que la France était un pays archaïque et pas moderne, doté d’institutions obsolètes, d’administrations pléthoriques, de fonctionnaires en surnombre et employés là où ce n’est pas nécessaire. Alors, la droite et la gauche le disent, il faut réformer. Mais chacun voit les transformations futures à sa manière. En accompagnant leur programme de formules et autres slogans. La rupture ensemble et tout sera possible disait Nicolas. Il faut l’ordre juste lui répliquait Ségolène. Pendant ce temps, l’économie tourne et la France se maintient dans la zone d’atonie économique qu’est l’Europe occidentale. Et cherche des solutions en s’inspirant des modèles danois, britanniques ou suédois. C’est ce qui se fait de mieux selon les responsables du PS et de l’UMP, et donc outils pour servir de diagnostic des maux contemporains et de grille programmatique pour l’avenir. Avec comme ressort principal la crainte du déclin et les conseils du grand frère britannique qui a su propulser sa nation par deux fois dans la moderne prospérité. Avec les Tories de 1979 à 1990. Puis avec Tony Blair et les Travaillistes qui en 1997 ont repris les rênes en poursuivant la modernisation de leurs prédécesseurs usés par vingt ans de pouvoir.
La France s’est prise d’une frénésie de réformes en important quelques bonnes phrases de nos amis britanniques. Notamment la formule du « trop d’impôt tue l’impôt », qui sied parfaitement à l’esprit des gouvernants anglo-saxons. Cette idée est ancienne, déjà proposée par Say, figure vénérée des purs libéraux (les libertariens). A la fin des années 1970, Arthur Laffer a tenté de théoriser ce qu’il appelle « l’allergie fiscale ». Le principe est simple. A partir d’un seuil de prélèvement, les citoyens ont le sentiment de travailler plus pour l’Etat que pour leur compte personnel et par voie de conséquence, réduisent leur activité d’où, et c’est aisé à comprendre, une baisse des recettes. C’est ce qu’on appelle un effet paradoxal. En voulant augmenter l’assiette des impôts, l’Etat finira par avoir des recettes réduites. Cette démonstration est hélas fallacieuse car elle ne tient pas compte de multiples contextes. D’abord la rationalité infaillible des agents économiques. Ensuite, l’ouverture des frontières ainsi que la structure du marché du travail encadré. Prélèvements ou pas, le salarié qui a signé pour 35 heures en fera 35. La « démonstration » de Laffer a plus servi une rhétorique offensive contre les impôts et la puissance de l’Etat que comme un outil de gestion politique efficace. D’ailleurs, qui connaît ce seuil ? A une époque récente, certains pays scandinaves ont prospéré avec un taux de prélèvements approchant les 70 %. En plus, aucun consensus ne règne parmi les économistes et un certain Joseph Stiglitz est près de penser que cette courbe de Laffer est une vaste fumisterie, sans fondements empiriques. Partout dans le monde, on trouvera quelques situations allant dans ce sens. Sous Reagan et sous Thatcher, la baisse des tranches d’impôt maximales fut associée à une petite remontée des recettes fiscales. Encore faut-il savoir quelle est la politique fiscale complète. En France, admettons que je baisse les tranches d’imposition supérieures. Ensuite, un point d’augmentation de la TVA et hop, le tour est joué, les recettes ont augmenté. Le président Sarkozy semble s’accommoder du « principe de Laffer » et s’en inspirer.
En règle générale, toute cette agitation réformiste n’a pas de réel fondement et s’impose aux gouvernants et aux Français sur la base d’une mythologie du déclin et l’inquiétude de la mondialisation qui, selon Tony Blair, est un avantage pour ceux qui savent prendre le train tout en pénalisant ceux qui la subissent. On peut douter que ce principe soit d’une vérité pontificale lorsqu’il concerne les nations. Par contre, à titre individuel, la maxime sonne plus juste. D’ailleurs, Tony Blair est le premier à donner l’exemple. Il est devenu consultant dans une grande banque.
Quelques données chiffrées sur la croissance du PIB montrent qu’entre 1970 et 2003, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, la Grande-Bretagne, les Pays Bas, se tiennent dans un mouchoir de poche. Rappelons quand même que cet indice est très controversé car il n’est pas lié directement au bien-être des gens. Un autre indice est disponible, guère plus fiable mais plus proche des vécus concrets. C’est le revenu national brut corrigé. Il indique le niveau de vie moyen des résidents dans un pays. Sur ce point aussi, l’évolution entre 1970 et 2003 place la France en position médiane, pratiquement à égalité avec ses voisins directs. La Grande-Bretagne s’en tire mieux. Comme la Suisse du reste. Les auteurs du rapport expliquent ce fait, en Suisse, par le jeu de la finance qui en faisant entrer des revenus de placement, accroît logiquement le revenu disponible. Et on pourrait en dire de même pour la Grande-Bretagne et ses artificiers de la City en œuvre. Bref, la prospérité britannique n’est pas uniquement liée au travail des gens. Et dire que c’est ce trompe-l’œil qui sert d’orientation à notre président.
Tout ce réformisme semble bien constituer de la poudre aux yeux lancée aux Français sur fond de mythologie fiscale, de déclin et de fausses espérances dans un monde où pour l’instant, il faut tenir bon. Le capitaine Sarkozy a tenté la manœuvre du délestage fiscal. Du coup, des voies d’eau se sont ouvertes, avec une mauvaise conjoncture. L’Europe se fâche. Le seuil de déficit de 3 % va être atteint. La dette se creuse. Panique à bord. On ne sait plus où donner de la réforme. Ca s’agite dans tous les sens. Y compris la « bêtise » d’un Bernard Laporte nommant une commission pour examiner les raisons de l’absence des clubs français en phases finales de la Ligue des Champions. Le reste, du bricolage, des arrangements entre pingreries. Tu me piques ça et moi je te pique ci. Allégoriquement ça donne ça. Dans les zones pavillonnaires, le citadin dont les portes-fenêtres sont délabrées va aller la nuit piquer celles du voisin, tout juste repeintes. Le lendemain, il se fait piquer ses géraniums et toutes ses plantes et les retrouve chez son voisin qui n’avait auparavant qu’un peu de gazon. Par contre, dans les quartiers cossus, les riches ont mis en place des boucliers pour protéger leurs belles demeures. L’esprit de la réforme, c’est un peu cela.
La LME, n’est-ce pas une fumisterie ? Quand on entend par exemple les réactions aux mesures de la ministre Lagarde et ces journaleux annonçant la création de 50 000 emplois, sans analyse critique, sans réfléchir en utilisant le neurone leur expliquant que la grande distribution est d’autant plus performante qu’elle supprime des emplois et que si les prix sont moins chers dans le hard discount c’est parce que le personnel y est moins nombreux. En plus, on sait bien que l’installation des hypers et des supers réduit les commerces de proximité. Autrement dit, ceux parmi les journalistes qui annoncent des créations d’emplois feraient mieux de rendre leur carte de presse et de changer de métier (ça tombe bien, 50 000 emplois dans la distribution !). Comme Elkabbach du reste. Que penser du ministre Darcos et sa réforme pour du vent. L’Education nationale, une vieille institution, n’a pas progressé depuis quarante ans, malgré les bons soins des politiques, des syndicats, des intellectuels universitaires lardés de diplômes mais incapables de penser cette noble tâche qu’est l’éducation du petit d’homme. Du coup, tout ce monde a vécu en commensaux depuis quarante ans, laissant l’enseignement en piètre état, pire qu’avant. Une idée de réforme : supprimer les IUFM, les rectorats, les inspecteurs d’académie ?
La politique des réformes ne donne pas le sentiment d’être conduite au nom d’un avenir meilleur, d’une France d’après, d’un pays radieux et dynamique. On a plutôt l’impression d’un réformisme frénétique conduit au pas de charge pour montrer que le gouvernement agit. Alors qu’en filigrane, on pourrait imaginer cette fuite comme une course de fond pratiquée pour oublier les réalités, ne pas voir en face le mur du progrès et l’échec final d’une société qui n’a pas trouvé ses valeurs, ses joies, ses œuvres. Une société d’individus fuyant dans la consommation et dont les désirs ne pourront jamais être satisfaits alors que la technique impose de plus en plus de contraintes et, maintenant, aliène plus l’individu qu’elle ne le libère. La vrai Réforme (clin d’œil facétieux...), c’est dans l’esprit et les consciences qu’elle doit se produire, pour conjurer ce bagne de la croissance, du profit et de la servitude du progrès dans laquelle l’humanité s’est égarée, notre président le premier.
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