L’avis d’une morte sur la vie d’une morte
qui ne sera apprécié que par celles et ceux qui savent "déchiffrer les contes"
Eh bien voilà, il fallait bien que ça m’arrive à un moment ou à un autre. Et même si je m’y attendais, j’ai été surprise.
C’est ainsi fait les humains, qui savent qu’ils vont mourir un jour mais qui s’obstinent, quand ils veulent bien y penser, à croire jusqu’à leur dernier souffle que ça n’arrive qu’aux autres.
Au point même que la plupart ne veulent pas prendre de disposition concernant leurs funérailles. Comme si cela allait changer quoi que ce soit, à part se faire maudire des vivants qui récoltent la corvée sans même avoir la certitude qu’un héritage les en récompensera.
Pour moi, le choix a été vite fait. J’ai opté pour la crémation.
Je sais, c’est pas cool pour les vers que je privais d’un gueuleton.
Ce n’est pas que je nourrisse une antipathie envers les vers ((je veux espérer que sera apprécié le choix des mots utilisés pour la construction de cette phrase) mais, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours craint de me réveiller dans un cercueil enseveli sous son étouffant poids de terre.
Moi, la mort ne m’a jamais fait peur. Je trouvais même assez bizarre qu’on puisse redouter la mort et s’endormir chaque soir sans avoir aucune certitude qu’on se réveillerait le lendemain.
Je n’avais peur que de deux choses : vieillir mal et mourir salement. Mourir salement pouvant d’ailleurs découler d’un mal vieillir.
Vieillir mal, c’était au mieux devenir égrotante, voire handicapée, ou victime de cette emmerdeuse d’Alzheimer.
Mourir salement, c’était mourir interminablement, genre mort avec un cancer qui vous phagocyte.
Je n’ai pas à me plaindre ; je suis morte victime d’un accès de plaisir.
« Coma éthylique » Ont diagnostiqué les pompiers appelés par les voisines, surprises de ne pas voir mes volets ouverts passé dix heures du matin.
C’est l’avantage de la ruralité ; les voisins vous connaissent mieux que vous ne vous connaissez vous-même ; rien ne leur échappe de vos habitudes ou de vos fréquentations.
À propos d’intervention des pompiers, j’en profite pour rectifier le mythe du beau pompier viril censé se livrer à un ardent bouche à bouche pour vous sauver. Tout au moins, ce n’est pas le traitement qui m’a été réservé.
Le pompier qui a tenté de me ranimer devait peser ses cent kilos d’après ce qu’il m’a semblé quand il s’est assis sur mon estomac pour me broyer les côtes avec application. Il paraît que l’on souffre avec des côtes cassées. J’ai eu de la chance, j’étais trop morte pour sentir quoi que ce soit.
Un autre avantage à être mort, c’est que, si on ne ressent rien physiquement, de même, on n’a plus de sentiments. Un privilège qui m’a évité la grosse déception de ne pas m’être vue invitée à entrer dans LE tunnel lumineux, décrit par tous les ressuscités, avec cette lumière prometteuse de félicités qui vous attend au bout.
Par contre, ce qui est authentique, c’est qu’on voit... Ou perçoit ? Non, j’affirme, on voit et on entend tout ce que racontent les vivants. Je vous rassure tout de suite, on a beau être devenu un esprit, l’esprit des vivants nous échappe totalement. Impossible de lire dans leurs pensées... Ce qui est peut-être tout aussi bien.
Ainsi j’ai vu mes copines fêter, selon mes vœux exprimés de mon vivant, mes funérailles célébrées sans apport de fleurs (qui eussent été, pour l’occasion, assassinées) mais avec bien des rigolades et avec force ripailles.
(J’aime bien le mot « ripailles » que d’aucuns jugent fort désuet mais qui exprime si bien son sens rabelaisien. )
Il s’en est même trouvées qui n’ont pas eu à trop se forcer pour boire un coup à mon avenir dans l’au-delà.
À celles et ceux qui se poseraient la question : Être mort, c’est comment ?
Et bien la mort, c’est la revanche sur les corps. Qu’on soit cendres ou poussières après décomposition, on a toujours sa raison ou, pour certains, sa déraison.
À part ça, comme je l’ai dit plus haut, je ne vois que des avantages à être mort.
Imaginez un peu, mort, on dispose d’une vision sans frontière qui permet de tout observer sans se sentir le moins du monde impliqué.
Ceci pour vous dire que ce n’est pas la peine de compter sur les morts pour vous aider à résoudre vos problèmes de vivants. Comme je l’ai dit plus haut, les morts n’ont plus de sentiment. Autant vous dire qu’ils s’en fichent de vos problèmes.
Être mort, c’est se laisser voguer dans un univers soyeux parfumé de subtiles senteurs aux sons harmonieux de musiques voluptueuses.
Être mort, c’est aussi avoir la faculté de se faufiler sans difficulté dans toutes les cellules qui composent la nature et les objets.
Mais les morts ne peuvent pas se glisser dans les cellules des humains ou des animaux. Et ne me demandez pas pourquoi parce que je n’ai rencontré aucun mort qui en connaisse la raison. Tout ce que je sais c’est que, ça aussi, les morts n’en font pas une maladie qui ont bien d’autres sources d’occupations*.
(Occupations* Eh ! Jeu de mot ! Il faut vraiment tout vous souffler.)
Aucun vivant ne peut imaginer le plaisir sensuel qu’on éprouve à se glisser dans chaque épi d’un champ de blé agité par le souffle d’une douce brise. Aucun vivant ne peut concevoir le bien-être d’un massage quand on est livré aux assauts des vagues d’une grande marée alors qu’on s’est infiltré dans toutes les veines d’un rocher. Aucun vivant ne peut concevoir la griserie qu’on ressent quand on s’est faufilé dans le fuselage d’un avion à réaction filant plus vite que le son.
De même, aucun vivant, à part vous qui me lisez, ne pourrait croire qu’une morte s’est insinuée dans toutes les touches d’un clavier d’ordinateur pour envoyer ce message de l’au-delà.
Ah ! Elles ont bonne mine les diseuses de bonne aventure avec leur tarots et leur boule de cristal en verre véritable !
Par contre vous pouvez continuer à croire que, lorsque nous nous sentons de bonne composition, nous vous répondons par oui ou par non via les pieds de guéridons. Juste vous méfier ; ne plus avoir de sentiment ne signifie pas que nous sommes incapables de facéties.
Bon, sur ce, il faut que je vous quitte parce que j’ai beaucoup à explorer pendant mon temps infini dans un espace infini. Mais avant, il faut que je vous dise :
- Dans cet univers, il n’y a ni dieu ni diable et, de ce fait, ni paradis ni enfer. Donc pas la peine de vous prendre la tête avec les BA ou les remords, les cierges ou les prosternations.
- Dans cet univers, il n’y a qu’une terre : celle où vous vivez. Alors n’imaginez pas que vous pourrez trouver une autre planète où vous réfugier une fois que vous aurez fait un gigantesque dépotoir à ordures de celle que vous habitez.
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