L’école à la base de tout ?
L’école à la base de tout ?
« Songeons-y bien, l’école en or change le cuivre
Tandis que l’ignorance en plomb transforme l’or ! »
Victor Hugo
(Quatre vents de l’esprit)
On incrimine volontiers l’école quand tout va mal. On lui reconnaît rarement des mérites quand tout va bien. Victor Hugo, lui, avait la religion de l’école, à une époque où la scolarisation des petits Français était bien inégale.
Jules Ferry et ses semblables ont beaucoup fait pour que tous les petits Français aient accès à l’école, ce qui n’arrangeait pas tout le monde, depuis les ménages ouvriers pour qui les quelques sous rapportés par leurs enfants au travail dans les usines ou les mines permettaient de ne pas mourir de faim, jusqu’aux petits paysans qui manquaient de bras pour les récoltes ou le gardiennage des troupeaux.
Certains ont avancé l’idée que l’amélioration de l’instruction publique, la généralisation de la scolarisation et sa relative prolongation servaient surtout un patronat moderne à la recherche de personnel qualifié.
La scolarisation gratuite et obligatoire de la fin du 19° siècle n’a pas changé le cuivre en or mais il a permis à certaines pépites de briller. L’école a constitué pour une élite ouvrière ou paysanne une extraordinaire chance de promotion. L’ « ascenseur social » a relativement bien fonctionné pendant quelques lustres.
Il ne faudrait cependant pas mythifier l’ « école de Jules Ferry ». Les enfants n’y étaient pas toujours heureux. Ne lit-on pas ceci, dans les mémoires d’un ouvrier né à la campagne en 1904 [1] : « Je n’ai vraiment souffert que de l’école, que ce soit la maternelle ou la grande. . Je reçus comme tous quelques gifles, des coups de règle sur les doigts, mais sans exagération,(…) sans qu’il y ait de quoi garder haine à la vieille demoiselle qui apprenait l’ABC aux petits garçons, ni à l’instituteur qui s’occupait seul d’une classe de soixante garçons de sept à treize ans.
« J’ai souffert à l’école d’être enfermé et je n’ai rien appris, ni l’orthographe, ni la grammaire, ni le calcul [2](…) On m’a inutilement battu pour que je sois un bon élève(…) Et bien que je sois allé à l’école régulièrement, je ne savais rien de plus, tout juste, à dix ans, que faire une addition, lire couramment, et écrire avec quelque embarras pour tracer certaines majuscules.
« J’ai plus appris avec les livres de la bibliothèque de l’école… »
Et tous ne sortaient pas nantis du fameux Certificat d’études qu’on obtenait entre 11 et 13 ans jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. Comme le note M. Lelièvre : « On peut estimer à seulement 25 % la proportion d’une classe d’âge qui obtient le certificat de fin d’études dans les années 1880, au tiers dans les premières années de l’entre-deux-guerres et à presque la moitié juste avant la seconde guerre mondiale. La proportion de lauréats du certificat de fin d’études primaires ne dépassera jamais 55 % d’une classe d’âge ».
Certes, les exigences de cet examen lui donnait une valeur qu’est loin d’avoir le Brevet des collèges d’aujourd’hui. Et il avait l’avantage de bien préparer à la vie d’alors. On ne savait rien de l’anglais mais on connaissait mieux le français que bien des bacheliers d’aujourd’hui. On ne résolvait pas d’équations mais on savait compter sans calculette électronique…
Il n’empêche que l’école d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d‘hier. Parce que nul ne sait bien à quoi elle sert. Elle est d’ailleurs à l’image de notre société : diverse et inégalitaire. Qu’y a-t-il de commun entre une petite école rurale à trois ou quatre classes et une caserne multiethnique de banlieue ?
Avec les meilleures intentions du monde, on a voulu réformer l’institution en l’améliorant, le plus souvent pour la rendre plus égalitaire, plus démocratique… En fait, on a dépensé beaucoup d’argent et d’énergie pour de bien piètres résultats.
Certains en rendent responsables les « pédagogistes » soucieux de rationaliser l’enseignement. D’autres, les « réactionnaires » attachés à la transmission des savoirs par la méthode de l’entonnoir…
En fait, il n’est pas possible de transmettre les savoirs sans un minimum de pédagogie. Cependant, un certain scientisme a laissé croire que de « bonnes » méthodes scientifiquement conçues suffiraient à faciliter la transmission. Des méthodes expérimentées trop souvent sur des échantillons privilégiés et rarement évaluées. Presque chaque ministre y est allé de sa réforme dont on n’a jamais sérieusement évalué les effets. Si bien qu’on en est arrivé à demander aux maîtres de moins en moins d’enseignement et de plus en plus de paperasserie. Sans compter l’accent mis sur les activités « ludiques » susceptibles de faire mieux avaler la pilule des acquisitions de base. Au mieux, l’école s’est muée en centre de loisir… au pire en cage aux fauves ! Car la démagogie ludique ne suffit pas à donner à un certain public l’envie d’apprendre. L’école n’étant plus un sanctuaire, on y a importé toutes les tares de la société. Et les élèves passent désormais le plus clair de leur vie les yeux rivés sur les écrans de leurs téléphones plutôt que tournés vers les dispensateurs du savoir…
Pour ne rien arranger, on a voulu faire des instituteurs des « professeurs » dont la haute qualification universitaire ne suffit pas à susciter le respect des élèves et des familles et auxquels on n’apprend guère les ficelles du métier. Les maîtres d’école d’autrefois, nantis de leur seul Brevet supérieur savaient mieux tenir une classe que leurs successeurs surdiplômés et obtenaient souvent de meilleurs résultats.
Aussi, actuellement, non seulement l’école ne change pas tout en or, mais il y a de plus en plus de plomb dans notre monde où l’ignorance est devenue vertu quand elle se pare du cuivre des réseaux sociaux !
Est-il encore temps de redresser la situation ? Peut-être, à condition de changer d’abord ou en même temps de société.
Plus facile à dire qu’à faire !
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