L’homme est-il végétarien par nature ?
Dès qu’un omnivore explique à un végétarien qu’il veut manger de la viande, l’autre insinue qu’il n’est qu’un monstre sans empathie pour les animaux. À l’inverse, lorsqu’un végétarien détaille son alimentation, l’interlocuteur omnivore s’empresse de lui répondre sur un ton dramatique que les carences le tueront dans un délai assez court. Mais, sur ces dix dernières années, j’ai pu constater une réelle évolution des mentalités. On peut maintenant lire sur certains sites Internet, notamment crudivores, que l’être humain est végétarien par nature. Ce point est intéressant car, s’il est juste, cela signifie que nous devons tous devenir végétariens pour avoir une santé optimale. Mais si c’est faux, cela veut dire qu’il y a des éléments absolument essentiels à connaître pour vivre une alimentation végétarienne tout en préservant sa santé.
Les hominidés dont nous faisons partie se sont séparés des grands singes il y a environ 9 millions d’années. Le primate le plus proche de l’Homme est le chimpanzé (Pan Paniscus, bonobo, et Pan troglodytes, chimpanzé commun). Forts de ce constat, de nombreux sites Internet affirment haut et fort que nous sommes frugivores. Pour finir de convaincre, ils présentent différents tableaux d’anatomie comparée entre les carnivores, les herbivores, les singes et l’homme. On peut y lire par exemple que la longueur de notre intestin ou que notre dentition sont comparables à celles du singe, donc que nous devrions manger comme lui, c’est-à-dire uniquement des légumes, des fruits et quelques noix. Pourtant, lorsqu’on recherche des sources sérieuses de ces affirmations dans les livres de science, impossible d’en trouver les preuves ! En 1996, un groupe de chercheurs de l’American Society of Mammalogists, la plus grande institution au monde dédiée à l’étude des mammifères, publie un livre consacré à l’étude du chimpanzé commun (Pan troglodytes). On peut y lire à propos de la dentition de ces animaux : « Les canines sont proéminentes, en particulier chez les mâles. » Or les canines ont une fonction très précise : arracher la chair animale. Les herbivores n’en possèdent pas. En fait, contrairement à une idée reçue, le chimpanzé n’est pas végétalien, il est omnivore. Les chercheurs expliquent que quand il vit librement dans la nature, le chimpanzé « consomme en moyenne 65 gr de viande par jour pour un adulte », principalement obtenue par la chasse (petits singes, termites).
Après notre séparation des grands singes il y a environ 9 millions d’années, notre alimentation était donc déjà omnivore, mais n’incluait que de faibles quantités de produits animaux. Au fil du temps, notre alimentation est devenue plus carnée, pour des raisons d’adaptation évidentes : lorsque nous avons commencé à nous éloigner de l’Afrique et de son climat favorable, nous avons consommé des quantités de produits animaux de plus en plus importantes, en particulier pendant l’hiver où la disponibilité des végétaux est faible vers le nord. Cette quantité a atteint des extrêmes à certains endroits du globe comme dans les terres les plus nordiques, ainsi qu’en témoigne l’alimentation des Eskimos Inuits traditionnels composée à plus de 90 % de produits animaux. Grâce à des travaux publiés en 2003 par une équipe de chercheurs sud-africains, on estime que cette augmentation de la consommation de viande a débuté il y a environ 2,5 millions d’années. Les chercheurs décrivent cet ancêtre comme « hautement opportuniste » et « adaptable dans ses habitudes alimentaires ». À la même époque et au même endroit apparaissaient les premiers outils en pierre, utilisés pour désosser et découper les carcasses animales. Des outils similaires ont été retrouvés en Géorgie et au nord de la Chine. Mais bien qu’on sache maintenant avec certitude que la consommation de produits animaux est allée croissant au cours de notre histoire, la technologie actuelle ne nous permet pas de déterminer avec précision quelle proportion de l’alimentation représentaient les produits carnés.
En définitive, l’appellation « omnivore » correspond bien à l’être humain : aucun animal ne peut se vanter d’une telle capacité d’adaptation à son environnement et notre alimentation a toujours été constituée d’un mélange d’aliments d’origine animale et végétale. Si l’on conçoit que l’homme n’a jamais été végétarien, comment se fait-il qu’on entende régulièrement qu’une alimentation végétarienne est meilleure pour la santé ? Est-ce la réalité ? Les éléments importants à retenir sont que :
- Les végétariens sont des personnes particulièrement conscientes de leur santé. En moyenne, elles font plus attention à leur mode de vie, fument moins et font plus de sport que les omnivores. Il s’agit d’un biais très important, quasiment impossible à éliminer lors des analyses statistiques, car il est intrinsèque au choix des participants de l’étude.
- De même, comme les végétariens mangent moins de produits animaux, ils mangent plus de végétaux dont on connaît bien les bienfaits pour la santé. Il s’agit là aussi d’un biais très difficile à éliminer.
- La viande consommée aujourd’hui par les omnivores est fréquemment transformée (charcuteries, plats préparés) et contient donc beaucoup de sel et de produits néfastes (additifs toxiques).
La viande consommée par les omnivores est majoritairement issue d’élevages intensifs dans lesquels les animaux sont bourrés d’antibiotiques et nourris aux céréales riches en acides gras oméga-6 inflammatoires, comme l’acide arachidonique, qui augmente nettement le risque de cancer et de maladies cardiaques. Cela contrairement à l’alimentation normale des bovins qui est de brouter de l’herbe, ou à celle des volailles qui est de picorer des vers de terre, des escargots, des plantes surtout sous forme de feuilles, racines, graines, mais très peu ou jamais de céréales. Ainsi, le poulet « élevé au grain » est-il un contresens.
Mais avant le début de l’agriculture, à l’époque de la pierre taillée (Paléolithique), c’est-à-dire entre 3 millions d’années et 12 000 ans avant J-C, jamais l’homme ne mangeait de charcuteries, jamais il ne mangeait de sel et jamais il ne mangeait d’animaux d’élevage malades. Or on sait maintenant avec certitude que l’excès de sel associé à une faible consommation de végétaux est la cause majeure de l’hypertension artérielle, qui augmente en retour de manière très importante le risque de crise cardiaque et d’accident vasculaire cérébral. Dès lors, on peut s’attendre, avant même d’avoir lu la moindre étude, à ce que le régime végétarien, sans viandes modernes et avec plus de fruits et légumes soit meilleur pour la santé. C’est ce que constatent les études sur les végétariens et les végétaliens.
Mais ces avantages du régime végétarien ne tiennent pas à l’absence en soi de viande, mais à l’absence des produits nocifs en général associés à la viande, ainsi qu’à la mauvaise qualité de la viande actuellement consommée.
Pour préserver sa santé il est donc indispensable de privilégier la consommation de poissons sauvages pêchés et de fuir les viandes issues d’élevages intensifs pour préférer des viandes issues de l’agriculture biologique où la qualité de l’alimentation permet d’obtenir des produits de qualité correcte. Soyons clairs : tout le monde n’a pas les moyens de manger de la viande bio. Si c’est votre cas, faites comme moi : diminuez votre consommation pour privilégier la qualité de manière plus occasionnelle.
Quant au bien être animal, je ne pense pas que tous les omnivores soient des brutes sans cœur. Qui peut cautionner le système d’élevage moderne des porcs, des vaches et des poules dans des conditions inacceptables, et l’abattage dans des conditions immorales ? Qui peut donc cautionner ce système qui ne respecte pas la vie et qui met ensuite à notre disposition des viandes toxiques ? Quel que soit notre régime alimentaire, cela devrait nous révolter. Comme dit plus haut, cela oblige à privilégier, parfois fortement, la qualité sur la quantité. Mais c’est à ce prix que nous pourrons, collectivement, faire cesser le système barbare des élevages industriels.
Voir aussi : écologie et consommation
« Les biens superflus rendent la vie superflue »… Pier Paolo PASOLINI
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