L’homophobie vue par Daniel Borrillo
Critique du « Que sais-je ? » consacré à l’homophobie par les Presses Universitaires de France.
L’HOMOPHOBIE, par Daniel Borrillo
Paris : PUF, novembre 2001. Coll. Que sais-je ?, n° 3563
2e édition mise à jour (1ère édition 2000)
L’auteur s’enlise dans la distinction des homophobies clinique, anthropologique, libérale, bureaucratique-stalinienne (4), irrationnelle, cognitive, etc., donnant par cette accumulation l’impression (évidemment fausse) que pas une voix ne se serait élevée, dans la philosophie, l’histoire ou la littérature occidentale, pour approcher objectivement la question. Sigmund Freud et Jacques Lacan sont bien trop rapidement disqualifiés ; les références aux oeuvres de Freud, note 2 de la page 62 de la 1ère édition, sont très incomplètes. Indigente rhétorique de victime ... Il aurait été plus intéressant de distinguer l’homophobie positive, qui s’exprime, et le préjugé négatif, qui passe sous silence, par indifférence ou volonté de censure, l’existence de l’homosexualité ; préjugé négatif fort apparent, par exemple, dans le magazine de la santé de France 5, et précisément dans sa rubrique sexo.
L’autonomie de l’hétérosexualité vis-à-vis de la procréation, déjà affirmée par les libertins, les philosophes (notamment le marquis de Sade et Frédéric Nietzsche, après les Grecs), puis par la psychanalyse, n’est presque pas évoquée ; c’est pourtant un argument plus qu’intéressant : l’avortement et la contraception s’écartent bien davantage de la nature que la masturbation ou l’homosexualité. Le concept de liberté est écartée d’un revers de plume sous prétexte qu’au contraire des droits .., il n’aurait pas de contrepartie (page 72 de la 2e édition, à laquelle se réfèrent les références ultérieures) ; il est inattendu qu’un enseignant en droit exhibe ainsi son oubli de la notion de responsabilité, et de l’art. 1382 du Code civil ! Mais on a vu depuis que Daniel Borrillo méconnaissait aussi l’article 75 du même Code, puique’il a prétendu que ce Code civil était muet sur l’aspect hétérosexuel du mariage ...
Daniel Borrillo a retranché de sa 1ère édition les notes suivantes :
"Bien que plus difficile à concevoir dans l’état actuel des choses, l’inverse est aussi vrai : l’adhésion à une identité homosexuelle peut devenir aussi limitative et aliénante que l’identité hétérosexuelle. La revendication d’une identité homosexuelle me semble accepter la logique du stéréotype des dominants tel que nous l’avons décrit dans le texte. La critique du mouvement Queer semble en ce sens très intéressante, car elle nous met en garde contre l’enfermement et la logique d’exclusion des politiques identitaires." (page 99 de la 1ère édition).
"À la différence du mariage, le PACS n’accorde pas de droits tels que l’adoption plénière, l’accès aux techniques de procréation médicalement assistée, la pension veuvage, la pension de réversion, le droit à la nationalité française pour le partenaire étranger ainsi que l’obtention immédiate d’une carte de résident. Le droit au nom et à la représentation judiciaire ou extrajudiciaire entre partenaires, la reconnaissance internationale de la qualité de conjoints, le regroupement familial et la libre circulation des couples sont des facultés absentes dans le PACS. Les droits de succession ab intestat en cas de décès, l’autorité parentale partagée, la protection contre l’éloignement du territoire pour le partenaire étranger, la possibilité de donations entre partenaires sans délai de carence, la possibilité de bénéficier de dons d’organes sur une personne vivante ou encore l’allocation prêt logement, pour n’en citer que quelques exemples, demeurent des prérogatives exclusivement réservées aux couples mariés." (page 117 de la 1ère édition).
Cet opuscule est révélateur des progrès du courant dit "radicalisme démocratique", alias "politiquement correct" ; page 32, la différence classique, bien connue en droit international, entre nationaux et étrangers est dite "sorte d’euphémisme du racisme". La période des argumenteurs cultivés (André Gide, Marcel Jouhandeau, Roger Peyrefitte, Daniel Guérin, Jean-Louis Bory, Dominique Fernandez, et d’autres) semble terminée, ils doivent faire place aux vigilants , qui sauront, eux, mettre au pas les mal-pensants, non par le débat rationnel, mais par la "pédagogie" et l’invocation d’une "lepénisation des esprits". Jadis, on avertissait : « la gauche s’arrête où l’anti-communisme commence ». Aujourd’hui, cette même famille d’esprit veut intimider plus brutalement : « l’extrême droite commence là où la pensée unique s’arrête ».
Voilà un Que sais-je ? qui fera date, et certes un virage à 180 degrés par rapport à la désolante approche psychopathologique - appuyée sur des références anglo-saxonnes - du numéro 1976 (Dr J. Corraze, L’Homosexualité, 1982, édition mise à jour en 2000). La pathologisation est en effet complètement retournée ; ce ne sont plus les homos qui sont malades, ce sont les autres, quand ils sont intolérants, sarcastiques, voire simplement caustiques ou railleurs (exemples récents avec Nicolli et Douillet). Daniel Borrillo disait souhaiter "une loi protégeant les homosexuels" (page 119), c’est-à-dire réprimant non seulement les agressions et discriminations, mais aussi les propos homophobes ou qualifiés tels ; cette loi a été obtenue en 2004. Les problématiques de la liberté d’expression et de la liberté de la recherche scientifique ne sont évidemment pas abordées. La bibliographie (pp. 123-126) est, comme celle de J. Corraze, en grande partie constituée de références anglo-saxonnes.
NOTES
1. A partir de l’américain homophobia, terme encore absent de l’édition 1989 de l’Oxford English Dictionary. Voir Cl. Courouve, Les Homosexuels et les autres, Paris : Athanor, 1977, p. 40 : "Le lien entre homophobie et misogynie apparaît clairement dans certaines bandes de jeunes où le terme "pédé" ne désigne pas seulement l’homosexuel, mais aussi celui qui aime une femme et s’attache à elle. L’amour est alors perçu comme dévirilisant." J’ai appris récemment que le mot a été forgé en français canadien en 1975.
2. Daniel BORRILLO, L’Homophobie, Paris : PUF, 2000 (2e édition mise à jour novembre 2001), collection Que sais-je ?, n° 3563.
3. Pour une vue plus complète relativement à l’Europe, on pourra consulter, de Flora Leroy-Forgeot, Histoire juridique de l’homosexualité en Europe, Paris : PUF, 1997, collection Médecine et sociétés (sic). Pour la France, mon Vocabulaire de l’homosexualité masculine, Paris : Payot, 1985, collection Langages et sociétés ; la notion (faible) d’homophobie y était évoquée à l’article "Préjugé".
4. La répression en Russie avant 1917 n’était pas aussi forte que la note 1 de la page 73 le laisse supposer ; l’article 516 du Code pénal de 1903 ne prévoyait qu’une peine d’emprisonnement de trois mois au moins pour "pédérastie" avec un partenaire de plus de 16 ans. Donc une répression bien moindre qu’après 1934. On trouvera dans ce Que sais-je ?, pages 75-76, un extrait de ma traduction, à partir de l’original en russe, de l’article "Homosexualisme" de la Grande Encyclopédie Soviétique, 2e édition, 1952.
5. Le "droit au mariage" n’existe, selon l’article 12 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (Conseil de l’Europe, 1950), que pour "l’homme et la femme". En revanche, la Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne (2000) laissait entrebaillée la porte du mariage homosexuel : « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice » (article 9).
6. Ce que je m’empresse de signaler à Marcel Gauchet pour son étude sur "l’inexistentialisme" : "De l’inexistentialisme", Le Débat, n°1, mai 1980, pp. 23-24.
7. Exorcismes spirituels III, Paris : Les Belles Lettres, 2002. La suppression de toute mention relative au sexe sur les papiers d’identité et documents administratifs est la 9e et dernière revendication de la Plateforme pour l’égalité des droits avancée par Act-Up et quelques autres associations fin mars 2004.
23 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON