L’humain et le pénal, deux éléments inséparables
Hier j’ai assisté devant le tribunal correctionnel un individu qui m’a inspiré ce billet.
L’individu pourrait être qualifié de client institutionnel puisqu’en l’espace de deux années, je l’ai déjà assisté trois fois pour trois condamnations, dont l’une l’a envoyée en prison pour six mois. D’autres le qualifieraient de multirécidiviste. Et voilà que je reçois un mail m’avisant d’une comparution immédiate (le Parquet, chez nous, se met à l’informatique !) concernant monsieur X.
Il est poursuivi pour un recel de vol de scooter. Il reconnait les faits et indique avoir vu le scooteur appuyé contre un mur avec les clés dessus et décidé de « l’emprunter » comme il dira aux services de police.
Le hic, c’est qu’il est en état de récidive pour avoir été condamné l’année dernière pour les mêmes faits, sauf qu’à l’époque il s’agissait d’un vélo volé ! Et la précédente condamnation concernait un vol.
Le second hic, c’est qu’il est sorti de détention au mois d’août 2006 et le casier fait mention de cinq autres condamnations, certes anciennes, mais tout de même.
Ca se présente mal, me dis-je.
Petite particularité, le Parquet a fait réaliser une expertise psychiatrique rapide alors qu’elle n’est absolument pas obligatoire. L’expert ne conclut pas à une abolition ou une altération du discernement, autrement dit, ce monsieur est pénalement responsable de ses actes.
Mais l’expert relève en revanche une immaturité importante chez cet individu de ... 41 ans qui se comporte par moment comme un adolescent de 15 ans.
Arrive alors l’audience, le client est toujours très loquace : « Bonjour madame le Président, bonjour mesdames les assesseurs et bonjour madame l’Avocat général »
Le Tribunal sourit, la parquetière aussi, de se voir ainsi promue.
Elle lui répond : « Pas encore Monsieur, je ne suis que substitut du procureur ».
Le client insistant : « Je ne doute pas que cela viendra un jour madame le procureur ».
Connaissant l’énergumène, je le rappelle un peu à l’ordre car il ne faut quand même pas oublier où nous sommes. Hors de question qu’il fasse de l’humour lorsqu’on va évoquer les faits.
Pourtant, toute l’audience va se dérouler sur ce ton et le tribunal semble apprécier le ton parfois enfantin utilisé par le prévenu.
Le Parquet rappelle que, malheureusement, malgré les condamnations précédentes, le message ne semble pas avoir été entendu. Réquisitions : douze mois d’emprisonnement dont six avec sursis, mise à l’épreuve avec obligation de soins pendant deux années.
Lorsque je plaide, j’évoque d’autres affaires au cours desquelles j’ai assisté le client pour mettre en avant son comportement en décalage total avec son âge et même avec sa situation. Il est pâtissier de formation et a des revenus d’environ 1800 € par mois, vit chez ses parents. Il sort, dit-il ,d’un stage formation chez un grand pâtissier parisien.
J’évoque à ce stade les termes du procès-verbal de perquisition rédigé par les services de police qui disent avoir fouillé sa chambre qui ressemble plus à celle d’un adolescent qu’à celle d’un homme de 40 ans.
Je plaide pour une peine qui prenne en compte cette immaturité qui nécessite selon moi une prise en charge psychologique et la mise en place d’une obligation de soin pour traiter la question de la toxicomanie.
Je suis toutefois sceptique.
Résultat des courses : quatre mois de sursis avec l’obligation d’accomplir un TIG de 100 heures (Je ne saisis pas pourquoi le tribunal n’a pas eu recours au sursis mise à l’épreuve).
Le client est heureux et dit à la présidente « Je sors donc ce soir mais si j’ai bien compris j’ai un délai de dix jours pour faire appel ? ». Je deviens tout rouge et alors que je m’apprête à intervenir, il enchaîne « Je plaisante madame le Président ».
Le Tribunal ne bronche pas.
Ouf.
Alors vous me direz, pourquoi avoir évoqué ce dossier somme toute assez ordinaire ?
Et bien tout simplement parce que si, au jour de l’audience, le texte sur les peines planchers avait été en vigueur, le tribunal n’aurait eu d’autre choix que d’incarcérer ce récidiviste dont pourtant et manifestement la place n’est pas en prison.
Ce dossier est l’illustration parfaite du principe de personnalisation des peines (principe à valeur constitutionnelle et incorporé au code pénal). Le tribunal juge des faits mais aussi un homme avec son vécu, ses expériences, ses qualités, ses défauts. L’idée est donc qu’une même infraction commise par deux individus naturellement différents ne doit pas être jugée de la même manière et surtout pas de façon automatique même dans le cas d’une récidive.
1 condamnation + 1 nouvelle infraction = 6 mois pas moins ! Sûrement pas.
Le droit pénal contient cette part d’humain qui fait qu’il est impossible d’en faire une simple question technique et mathématique.
Pour certains délinquants, il est clair que l’emprisonnement et la sévérité sont malheureusement parfois les seules solutions. Parce qu’ils ne prennent pas conscience de leur situation, parce qu’on ne décèle pas chez eux une évolution positive possible.
Mais pour d’autres, c’est tout le contraire. Parce qu’entre la date de commission de l’infraction et la date du jugement il s’est écoulé deux années mises à profit par le prévenu pour se reconstruire, trouver un emploi, fonder une famille, se faire une respectabilité ou que sais-je encore. Parfois, on sent à l’audience une véritable prise de conscience.
Et tout ce que je viens d’évoquer doit être étudié au cas pas cas pour ensuite dégager la sanction la plus adaptée afin d’atteindre l’efficacité de la peine.
Le système des peines planchers remet tout cela en cause car quand le magistrat voudra infliger une peine différente de la peine plancher, il ne le pourra pas. Que pourra-t-il alors faire ? Relaxer le prévenu alors qu’il est coupable ? Prononcer une peine contraire aux textes ?
Bien évidement, le magistrat appliquera la loi en constatant qu’il est privé de son pouvoir souverain d’appréciation.
Pour le détail du projet, je vous renvoie au post détaillé rédigé par EOLAS qui expose très clairement le danger de ce système.
Le système est d’autant plus critiquable que je le considère comme une mesure de défiance à l’égard des magistrats. Et quelque part, ne veut-on pas imposer des peines minimales parce qu’on estime que les magistrats sont trop peu sévères ? C’est pourtant un thème déjà entendu dans la bouche du nouveau président.
Alors attendons maintenant avec vigilance le texte dont on nous promet qu’il sera voté cet été (pendant les vacances ça passera mieux).
38 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON