La compétitivité, un non-sens économique
Tant que la science économique demeure l’idéologie de quelques mégalomanes politiques et financiers qui considèrent la compétition en la matière comme un sport, les statistiques qu’ils produisent ne sont rien d’autre que l’expression d’une certaine vision du monde.
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Le nouveau gouvernement français est décidé à rendre la France compétitive en ouvrant un des derniers chantiers de dérégulation des pays industrialisés. Suivant l’exemple britannique des gouvernements Blair, Brown et Cameron, il misera sur « l’économie du savoir », favorisant, le secteur de la finance et les nouvelles technologies.
Lorgnant comme un vautour sur les « supposés » débris de la « City », suite au Brexit, pour s’accaparer le plus grand morceau, au détriment de sa concurrente, l’Allemagne, son tout nouveau ministre de l’Economie et de la Finance court déjà les cocktails de la haute finance new yorkaise pour vanter les mérites de Paris comme « hub » financier. Ceci pour l’unité et la fraternité européenne.
En Grande Bretagne, cette course à la compétitivité, visant à favoriser la nouvelle économie, a mené à la plus importante désindustrialisation de l’histoire du pays et un gouffre astronomique dans les finances publiques, suite à la crise financière de 2008, qui n’est d’ailleurs toujours pas digérée. En trente ans, la part du secteur manufacturier dans l’économie britannique a baissé de deux tiers.
Les économistes néoclassiques défendent la nécessité de la compétitivité dans l’économie par ce qu’ils appellent la « productivité marginale ». Autrement dit, grâce à la compétitivité, chaque facteur, contribuant à la fabrication d’un produit, serait rémunéré à sa juste valeur. Cette théorie, par ailleurs toujours prédominante, part du principe qu’une rémunération plus élevé reflèterait intrinsèquement une plus grande contribution à la valeur ajoutée et mériterait, de ce fait un meilleur traitement, au niveau de l’imposition notamment.
La théorie néoclassique affirme également qu’aucune régulation ne devrait, ni d’ailleurs saurait porter atteinte à cette loi universelle et inébranlable de l’économie.
Pour une infime minorité, les self-made milliardaires, fréquemment mis en avant, la thèse s’avère pertinente, pour l’immense majorité en revanche, elle ne tient pas, car de nombreux facteurs extérieurs faussent la concurrence.
Actuellement l’immense majorité des revenues ne sont pas le fruit d’une quelconque contribution précieuse à l’économie, mais, de ce que l’économiste américain Joseph Stiglitz appelle « la rente », un facteur déterminant dans la distorsion de la concurrence.
Historiquement attribuée au droit de la propriété, « la rente » est aujourd’hui associée à des situations de monopole ou de détention de titres de propriété intellectuelle, d’ailleurs le plus souvent obtenu par simple prise de contrôle. Ces situations de rente sont extrêmement néfastes à l’économie, car ils lui enlèvent du pouvoir d’achat par des prix surfaits, notamment dans l’industrie pharmaceutique, de ce fait subventionnée par la sécurité sociale.
Le secteur qui profite le plus d’une situation de rente toutefois, est le secteur de la finance. Protégées par l’implicite garantie souveraine, les banques s’autorisent à prendre des risques qu’aucune autre entreprise n’oserait prendre, dans le seul but d’obtenir une constante amélioration des rendements.
Depuis trente ans, la progression des salaires demeure constamment, et de manière significative, en dessous de la progression de la productivité, ce qui contredit la théorie de la productivité marginale et sa « juste rémunération » de la valeur ajoutée.
En théorie, l’augmentation de la richesse, donc du capital, productif en l’occurrence, devrait amener « naturellement » une baisse du rendement de ce même capital et une augmentation des salaires. Le problème est que dans l’économie dans laquelle nous vivons l’augmentation du capital n’est pas le résultat d’une meilleure productivité de l’économie, et du même coup une amélioration de la condition de vie des gens, mais une auto-alimentation du capital par le capital, ou de la rente par la rente, encouragée par une politique monétaire des banques centrales à coût zéro. De temps à autre ces bulles, financières ou immobilières, éclatent et causent des dégâts considérables à l’économie réelle.
Un cadre institutionnel, dont les néoclassiques ne veulent pas, pourrait pourtant facilement corriger ce déséquilibre, en taxant davantage le revenu sur le capital, la plus value et le capital per se, et, du même coup, baisser l’impôt sur le travail. Certes, un pays seul ne le ferait pas, un argument alibi d’ailleurs qui conforte tout le monde dans le statu quo, dans le cadre de l’Union Européenne en revanche, si chère au nouveau gouvernement français, cela devrait pouvoir se faire.
La stagnation des salaires ampute le pouvoir d’achat et creuse les inégalités, inégalités que même une institution comme l’OCDE considère préjudiciable à la croissance, estimant que sans le niveau actuel des inégalités, la croissance économique dans des pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni aurait été supérieure de six à neuf pourcent les dernières deux décennies.
Dans sa récente « lettre traditionnelle au président de la République » le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, se fait le chantre de la dérégulation et de la compétitivité, invitant le président à saisir l’occasion d’une « poussée de croissance en Europe » ( ?) pour « défendre le model social européen comme rempart contre les inégalités. » On croit rêver. En outre, il fustige le déficit commercial de la France qu’il semble mettre sur le compte d’un « manque de qualification professionnelle des français » ( ?) et invite le président à adapter au plus vite le droit du travail au modèle allemand. (Le Monde 06.07.2017)
L’Allemagne est déjà vertement critiquée par ses partenaires économiques pour ses excédents commerciaux, alors que la France veut s’y mettre aussi. Qui les achètera tous ces excédants, les consommateurs sans pouvoir d’achat, victimes de la dérégulation du code de travail ?
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