La Décennie « AU PROFIT DES ENFANTS DU MONDE » va finir en catastrophe
Publié en 2007 sur un site québécois, ce texte n'y est plus lisible aujourd'hui. Il ne l'est nulle part ailleurs sur Internet. Parce que je le crois plus utile que jamais j'invite les modérateurs d'Agoravox à en approuver cette seconde édition sur ce site.
C’est sur Internet. C’est en Irak. C’est en 2004 et c’est un acte commis au nom de l’islam. Un jeune otage américain est égorgé et la scène est filmée en vidéo. Tout le monde, partout, pourra la voir. Le message des bourreaux est le suivant : « Il faut que les ennemis de Dieu sachent qu’il n’y a dans notre coeur aucune trêve ni pitié pour eux ».
Dans « l’Europe chrétienne » et dans tout l’Occident c’est l’écoeurement. C’est pas chez nous, c’est pas dans notre religion qu’on verrait des horreurs pareilles ! Et pourtant ?
C’est dans la Bible. C’est sur le mont Carmel, près de l’actuelle ville israélienne de Haïfa. C’est presque trois millénaires avant notre ère. Le bon prophète Elie, celui dont on attendra le retour jusqu’à l’arrivée de Jésus, égorge 450 faux prophètes. Certes il n’y a pas la télévision, mais ça se passe tout de même « devant le peuple rassemblé ». Celui-ci a pu constater que le prophète Élie est bien le vrai serviteur du vrai Dieu et les autres les serviteurs de Baal. Le vrai Dieu a envoyé les signes qui constituent des preuves irréfutables : « A cette vue, tout le peuple tomba sur sa face et dit : « C’est Yahvé qui est Dieu ! C’est Yahvé qui est Dieu ! « Élie leur dit : « Saisissez les prophètes de Baal ; que pas un d’eux n’échappe ! » ; ils les saisirent. Élie les fit descendre au torrent du Qichen, et là il les égorgea. » (1 Rois 18,39). (1)
C’est aujourd’hui. C’est dans le Catéchisme de l’église catholique publié en 1997 (2), rédigé sous la direction du Cardinal Ratzinger, futur Pape Benoît XVI : « Dieu a inspiré les auteurs humains des livres sacrés. « En vue de composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, Lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement. » (106, c’est moi qui souligne).
Selon l’église catholique d’aujourd’hui, l’auteur du livre des Rois a donc bien exprimé là fidèlement le véritable désir du Dieu judéo-chrétien, comme l’auteur de la Genèse rapportant qu’il a anéanti les cités de Sodome et Gomorrhe (19,23), comme celui de l’Exode rapportant qu’il a fait tuer tous les premiers-nés d’Egypte (12,29) et donné l’ordre à Moïse de massacrer son peuple après l’adoration du veau d’or (32,21), comme celui des Nombres rapportant qu’il a ordonné l’extermination des Madianites (31), comme celui du Deutéronome rapportant qu’il a demandé à son peuple de se préparer pour l’extermination des Cananéens (7-20), comme celui du livre de Josué lui faisant dire que le moment était venu de passer à l’extermination elle-même.
Remarquons que, dans ce dernier cas, la « juste guerre » ainsi décidée « par Dieu » n’est toujours pas terminée en 2007, trois millénaires plus tard. C’est que, comme le rappelle de temps en temps le Hamas, c’est aux Palestiniens que Dieu a « donné » la même terre puisqu’ils l’ont lu dans le Coran.
Et les responsables « modérés » les plus reconnus de l’islam confirment par ailleurs, aujourd’hui, que le Prophète Mohamed reproduit fidèlement la volonté de Dieu quand il lui fait dire, à propos des « hypocrites », des « incrédules » qui « se détournent du chemin de Dieu » : Saisissez-les, tuez-les partout où vous les trouverez » (Sourate IV, verset 89), quand il lui fait dire : « Tuez les polythéistes » (S IX, v 5) (3)
Qui ne voit aujourd’hui que, sans une radicale révision de leur interprétation contemporaine de leurs bases sacrées criminogènes les institutions religieuses resteraient bien, au moins partiellement, même si c’est indirectement, même si c’est par des actes commis par des croyants des autres religions, responsables de toutes les horreurs (guerres interminables, massacres de populations, meurtres individuels, maltraitances quotidiennes) commises au nom de Dieu.
En d’autres termes « le facteur Dieu » resterait bien ce que le Prix Nobel de littérature José Saramago appelait, quelques jours après le 11 septembre 2001, « la plus criminelle des inventions ». (4)
Qu’ils soient croyants musulmans, ou chrétiens ou juifs, ou qu’ils soient agnostiques ou athées, les pacifistes du monde entier ressentent confusément, même s’ils ne l’expriment guère ou pas du tout parce qu’ils ne savent pas comment cela doit se faire, une nécessité évidente : toutes les institutions religieuses doivent aujourd’hui rejeter très officiellement, très fermement et sans ambiguïté leur vieille conception criminogène de Dieu, cette persistance à le penser et à le dire – depuis 3000 ans ! – auteur du Mal comme du Bien, du Pire comme du Meilleur contenu dans les textes sacrés. C’est là un devoir pour les responsables des religions monothéistes.
Non, répondent-ils en choeur et avec insistance, mais pas franchement, toujours en contournant le problème dans des explications compliquées (où revient toujours l’idée que ce sont les lecteurs indignes des textes sacrés qui ne savent pas lire, qui interprètent mal), non car les textes sacrés sont la Parole de Dieu et ce serait sacrilège de modifier la Parole de Dieu. En réalité ils pensent « ce serait nous remettre en question », ce serait reconnaître que « nous nous sommes trompés en divinisant, sacralisant, dogmatisant, pérennisant des pensées ou actions très humaines de simples chercheurs de Dieu ». Pour n’avoir pas à reconnaître leur erreur – et leur entêtement de mille, deux mille ou trois mille ans dans l’erreur – ils font porter à tous les croyants de toutes les religions un épouvantable fardeau spirituel.
L’attentat du 11 septembre 2001 est survenu alors que l’ONU venait de décider que la période 2001/2010 serait une « Décennie internationale de la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde ». C’était là le résultat de demandes de désacralisation de la violence religieuse émanant de théologiens comme Emile Granger, d’un long combat de militants laïcs non-violents comme, en France, Jean-Marie Muller et son MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente) ou l’Arche de Lanza del Vasto, de revues comme Alternatives Non-Violentes, enfin d’un appel solennel des Prix Nobel en 1997.
Dans cet appel aux Chefs d’Etat des pays membres des Nations Unies ils disaient ceci : « Beaucoup d’enfants, trop d’enfants, vivent une « culture de la violence ». « Nous pouvons offrir de l’espoir, non seulement aux enfants du monde, mais à l’humanité toute entière, en commençant à créer, puis en construisant, une nouvelle culture de la non-violence » .
Confiée à l’UNESCO pour son organisation concrète, partout dans le monde la belle Décennie rassembla de nombreuses organisations pacifistes, locales, nationales ou internationales. Des associations laïques comme la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté ou la Ligue de l’Enseignement ont adhéré, en France, à la Coordination de la Décennie et à sa Charte éthique. De nombreuses associations à motivation religieuse y ont adhéré aussi.
La Charte dit ceci : « Les sagesses traditionnelles et les religions du monde ont joué et jouent encore un rôle déterminant dans l’édification des cultures humaines. Dans de trop nombreuses parties du monde elles sont facteurs de violence ou prétexte à des conflits meurtriers, cependant elles peuvent aussi, par leurs enseignements et leur autorité morale, fournir un appui à la culture de la non-violence et de la paix. »
On allait avoir là, enfin, au-dessus des religions, ne considérant que les impératifs laïcs de paix, de droits humains, de conditions à mettre en place pour faciliter partout le vivre ensemble un moyen d’exiger, internationalement, le rejet de ce qui conduit les religions à devenir aussi « des facteurs de violence un « prétexte à des conflits meurtriers ».
Eh bien non. Les associations ont certes fait du beau travail pratique dans l’éducation à la non-violence d’une manière générale, dans l’apprentissage de la gestion non-violente des conflits, avec présence bien concrète sur des lieux directement concernés, avec de nombreuses actions pédagogiques dans les écoles, de nombreuses pétitions, campagnes et conférences de toutes sortes et à tous les niveaux sur les principes et les méthodes à promouvoir etc.. Mais contre les bases religieuses de la violence : rien, absolument rien.
On se dirige alors vers un énorme gâchis. Dans deux ans ce sera le terme de la Décennie et tout laisse penser qu’aucune demande de rejet de la théologie criminogène n’y aura été examinée, pas même formulée. Faudra-t-il attendre une Décennie 3001-3010 ?
Faut-il voir là le résultat de la forte présence catholique dans la Décennie ? L’Eglise est coutumière de ce comportement : adhésion massive à de justes objectifs généraux pour les orienter très concrètement vers ce qui ne met pas en question ses propres choix indéfendables. Faut-il voir dans cette catastrophe, plus gravement encore, la crainte de détonner par rapport aux positions pour le moins ambigües des dirigeants politiques dans leurs pays et à l’ONU ?
Récemment, au sein de celle-ci, le Rapporteur de la Commission sur les Droits humains a confirmé son analyse des années précédentes : les religions ne sont pas causes de violences, elles sont essentiellement victimes, notamment de diffamations. Il a réaffirmé sa conception selon laquelle l’islamophobie est une forme de racisme, conception semblable à celle du MRAP (Mouvement contre le Racisme l’Antisémitisme et pour la Paix) ou de la LDH (Ligue des Droits de l’Homme) en France. Sans excuser une telle dérive on peut l’expliquer par le fait que les Assemblées Générales des Nations Unies sont le lieu de pressions politiques intenses. Faut-il se résoudre à ce que la Coordination de la Décennie le soit aussi ?
Sans une rapide et claire ré-orientation face au problème tragique de la théologie criminogène, sans une prise de conscience de leurs responsabilités en ce domaine, les gestionnaires de la belle Décennie auront, dans deux ans, contribué à leur manière à conforter la culture religieuse de la violence. Aux dépens des enfants du monde, du présent et du futur.
Pierre Régnier
(1) La Bible Osty, éd. du Seuil, 1973
(2) Catéchisme de l’église catholique, éd. Centurion / Cerf / Mame 1998
(3) Le Coran, éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1967
(4) dans Le Monde du 22 septembre 2001
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