La dégradation rapide et inéluctable du poste de président de la République
L’actualité se charge à la vitesse grand V : grève des marins pêcheurs, grève à l’université, grève à la SNCF et la RATP, broncas répétées contre Rachida Dati et affaire de l’Arche de Zoé. Sarkozy est déjà allé jouer les gros bras devant les salariés d’un entrepôt de la SNCF, il est allé au Tchad et devant les marins pêcheurs. Sarkozy prend la place de tous ses ministres (Lagarde, Kouchner, Barnier). Il intervient partout à la vitesse de l’éclair. Où serait le mal ?

Sarkozy a décidé que s’il y avait un problème, se déplacer résolvait tout, comme dans les contes pour enfants où il suffit que le héros parle pour que tout s’accomplisse. Cette précipitation a des conséquences dangereuses car la précipitation fait que les contradictions s’accumulent. On l’a vu pour le Tchad. Petit rappel quand-même puisque nos médias semblent penser que seul Sarkozy ait agi pour les inculpés de cette triste Arche, voici un article de Libération du 31 octobre dernier qui montre que l’Espagne a aussi agi. Du reste, il faudra revenir sur l’action très trouble de la presse en France dans cette histoire comme si elle voulait enfoncer avec un marteau pilon cette Arche folle pour sauver trois des leurs dont il faut souligner que la journaliste de FR3 y était en congé humanitaire et était prête à l’adoption d’un enfant. Elle sera pourtant libérée parce que journaliste. Donc cet [article->http://www.liberation.fr/actualite/monde/288450.FR.php] :
Accusés de « complicité de trafic de mineurs », les sept membres d’équipage espagnols de l’avion affrété par l’Arche de Zoé, obtiennent un grand soutien de leur gouvernement. Alors que Paris insiste sur la « souveraineté du Tchad », le secrétaire d’Etat espagnol aux Affaires extérieures, Bernardino León, veut « résister avec fermeté » et a défendu fermement la présomption d’innocence des sept Espagnols. Il s’est dit en « désaccord profond » avec les chefs d’accusations et affirme qu’il n’existe pas de preuve contre eux. Le ministre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, affirme même qu’ils ne sont « responsables de rien ». De quoi souligner l’impression de mollesse de la position française. Comme vous pouvez le lire dans la fin le journaliste parle de mollesse française et également d’une vision côté espagnol au départ en contradiction avec celle de Sarkozy et Rama Yade. Sarkozy est entré tard dans la danse, et pas avec le dos de la cuillère puisqu’il a enfoncé tous les opérateurs de cette Arche en perdition. Puis il a indiqué que le Tchad était un Etat souverain, poursuivant plus tard qu’il fallait tenir compte de la présomption d’innocence, distinguant par la suite les journalistes des autres et allant avec son petit avion à CO2 Grenelle chercher les trois journalistes et quatre hôtesses de l’air (on se demande pourquoi les stewards seraient plus coupables que les hôtesses du reste et on se demande pourquoi l’ambassadeur de France sur place n’aurait pas pu accompagner les sept personnes jusqu’à un avion). Il termine aujourd’hui en disant qu’il ira chercher tous les Français. Ce dernier point est à rapprocher de cette sortie qu’il a faite à un marin pêcheur que vous pouvez regardez [ici-> http://www.lemonde.fr/web/video/0,47-0@2-3224,54-975043,0.html]. Voici retranscrites ses paroles (en bruit de fond on entend 140 %, putain, etc.) « Qui est-ce qui a dit ça ? C’est toi qui as dit ça ? Descends pour le dire, descends. Si tu crois, si tu crois, si tu crois qu’en insultant cela va régler le problème des pêcheurs . Permets-moi de te dire, permets-moi de... baffouillements... Bien, viens, viens, viens. »
L’énervement est une marque de fabrique de Nicolas Sarkozy. L’énervement et le tutoiement méprisant. Mais ce que je voudrais surtout souligner, d’où le titre de cet article, c’est qu’il n’agit pas en chef d’Etat. Il agit en parfait petit caïd de banlieue entouré de ses gardes du corps. Si je lie cet incident à l’Arche perdue, c’est que là aussi, au-delà du fait que pour la seconde fois il embrasse un dictateur et celui-ci a utilisé des enfants de 13 ans dans sa milice, au-delà du fait qu’il donne à nouveau une tribune à un dictateur, il ridiculise la diplomatie, il court-circuite ses ministres alors qu’il n’y avait aucune obligation de son intervention. Cela pose de lourdes questions. Un Etat est formé de ministres et de conseillers, de préfets, d’agents de l’Etat, de diplomates, de personnes compétentes en somme, personnes qui connaissent leur travail, qui ont tissé des liens, qui connaissent les lois (mieux que Sarkozy), les circonstances, la jurisprudence, les canaux et les passages obligés. Cet Etat a un ambassadeur à N’Djaména. Si le chef d’Etat supprime dans une opération tous les intermédiaires pour une efficacité spectacle - car le problème n’est que partiellement résolu et il l’aurait été sans lui -, que se passera-t-il à chaque problème international ? D’une part s’il traite le problème dans l’urgence et la médiatisation (on l’a vu pour Ingrid Bettencourt) il va commettre des erreurs dont un jour celles qui seront irréparables. D’autre part s’il ne s’en occupe pas cela crée une distorsion entre le traitement des problèmes donc de l’injustice. Et que fera-t-il en cas de, disons, trois problèmes simultanés ? Mais il cumulera forcément les deux : des affaires qui ne seront pas traitées par lui et celles qui amèneront des dégâts irréparables. Pour cette histoire de Tchad, en intervenant en chef suprême, il ne laisse plus aucune place pour qu’un autre instance au-dessus puisse intervenir ensuite. Sa rapidité a déjà créé des contradictions (Etat souverain, puis intervention dans la justice de cet Etat), mais nous entraîne sur une piste glissante : l’ingérence juridique. Pour l’instant l’avocat de l’Etat tchadien a répondu à Sarkozy que ce n’était pas à lui à dicter la justice au Tchad. Le ministre de la Justice de N’Djaména démontre que cette convention n’est pas applicable et enfin déclare qu’aucune demande n’a été faite encore. Par ces paroles de matuvu, il va énerver considérablement les Tchadiens et, par voie de conséquence, mettre en péril pour la suite la défense des "humanitaires" emprisonnés. De même, la fonction de président subit de plein fouet une dégradation ultra-rapide par démonétisation de son rôle. S’il n’y a pas de gradation dans les interventions, il y a nivellement par le bas et plus aucune porte de sortie par le haut. Mais elle prend aussi un coup à cause de ses énervements répétitifs et surtout avec ce comportement de caïd de banlieue, de caïd à tous contre un comme le sont tous les caïds de banlieue. Dans cette altercation on croirait entendre l’un d’eux. Ce "Viens, viens, viens" qui ne l’a entendu par un voyou qui veut se battre ? Toute dignité perdue, il bafouille de rage. Mais quel courage y a-t-il à demander à un marin de venir "s’expliquer" comme deux hommes s’expliquent - et lorsque l’on dit que deux hommes s’expliquent on dit qu’il vont essayer de s’envoyer quelques horions, alors qu’il est chef d’Etat ? C’est ce comportement qui lui fait dire qu’il va aller chercher les Français au Tchad. Non seulement c’est un erreur magistrale en matière de diplomatie, mais en plus c’est d’un orgueil démesuré. Comme il va aller chercher la croissance à 3 %. L’activisme a ses limites et la démonstration de force aussi. Sarkozy dérape - semble-t-il - de plus en plus. Et sa fonction perd toute dignité, tout recul, toute réflexion et toute action calme et efficace. Une fois son rôle dévalué, son influence va suivre. La peur et la lèche lui permettent encore de se dresser sur ses ergots devant les députés UMP, mais bientôt l’équilibre entre la peur et la révolte va se rompre, et ses ouailles qui en ont déjà assez des couleuvres et des engueulades vont faire quelques dégâts. Mais cela n’est que de la politique interne à l’UMP. En France et à l’étranger, son comportement colérique va avoir des conséquences autrement plus graves, dont une perte d’influence, une image dégradée de notre pays. Alors ceux qui croient que sauter dans un avion avec des caméras, cela résout tous les problèmes vont déchanter.
97 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON