La Démocratie a besoin du contrôle des juges
Une tendance actuelle est de montrer du doigt ceux qui portent plainte contre des responsables politiques pour les actes commis dans la gestion de la crise sanitaire. Curieuse conception de la démocratie que de dénier aux citoyens le droit de poursuivre en justice des responsables politiques.
Les faits et leur représentation
Le 18 mai dernier, le professeur Raoult était invité dans la matinale de Guillaume Durand pour la cinquième fois depuis le début de la crise sanitaire. Didier Raoult s’est montré particulièrement agacé par le traitement de la crise au sein des médias. En l'écoutant, on a effectivement l’impression que dans ce pays, les gens se parlent mais ne s’entendent pas, les gens regardent sans voir, lisent sans comprendre. Ainsi, l’exposé d’un élément factuel (les résultats d’une étude ou les taux de létalité du Covid-19 par régions ou pays) ne change en rien la position de certains individus qui font de leur opinion une loi sacrée qu’aucun élément factuel, rationnel et scientifique ne peut remettre en cause.
Le professeur Raoult aura beau dire, expliquer, démontrer que les effets secondaires très dangereux, et allégués, de l’hydroxychloroquine sont un fantasme, preuves à l’appui, rien n’y fera ! Il a été dit et il sera dit que cette molécule a des effets secondaires particulièrement dangereux, un point c’est tout. C'est comme ça.
Ce même phénomène de dualité entre les faits et la représentation des faits trouve maintenant à s’exprimer au sujet des multiples plaintes, une "pandémie de plaintes" selon Libération, qui visent des responsables politiques et administratifs dans leur gestion de la crise sanitaire.
Une sournoise dévalorisation des plaintes contre des membres du Gouvernement
Un discours se répand selon lequel ces plaintes traduiraient la volonté de faire condamner les responsables politiques et administratifs pour des choix jugés défaillants. Gérard Larcher, l’homme qui aurait exercé une grand influence pour le maintien du premier tour des élections municipales, déclare même que les plaintes contre le gouvernement font peser un risque de « paralysie de la décision publique ». En clair, ce serait folie que de porter plainte contre des politiques, et contre des membres du gouvernement, au risque de paralyser l'Etat. Le fond de cet argumentaire serait de dire que les hommes politiques ne peuvent pas faire l’objet de poursuite pénale au motif qu’ils auraient pris de mauvaises décisions ou des décisions inefficaces. C’est là que nous touchons du doigt une argumentation particulièrement perverse et séditieuse.
Le motif invoqué pour dévaloriser celles et ceux qui portent plainte procède d’une forme de manipulation mentale. En effet, il est tout à fait juste de dire que traduire en justice un homme politique au motif qu’il aurait pris de mauvaises décisions ou des décisions inefficaces est une hérésie. Pourquoi ? Parcequ’un un tel motif, à le supposer avéré, est un constat d’incompétence ou d'échec. Or, en démocratie, l’incompétence et l'échec ne se jugent pas au pénal, ni même devant les juges administratifs, mais dans les urnes. Là où l’argumentation soutenue par M. Larcher est séditieuse, c’est que les plaintes ne sont pas justifiées par le constat de décisions mauvaises ou inefficaces. Dire une telle chose est soit une incompréhension, soit une manipulation. Les plaintes sont déposées car les plaignants estiment que les politiques mis en cause ont menti, ont falsifié la vérité, ont peut-être même privilégié des intérêts privés à l’intérêt général et ont commis des fautes graves ayant eu pour conséquence mort d'hommes. Ces griefs peuvent donc intéresser le juge pénal. L’Etat n’est pas critiqué pour défaillance dans la crise sanitaire. Ce qui est critiqué, ce sont les décisions prises par les responsables politiques et administratifs dès lors que ces décisions pourraient relever d’une sanction pénale.
Le droit et la nécessité de la saisine des juges
Il ne s’agit pas ici de dire si les griefs des plaignants sont fondés ou non. Il s’agit simplement de rappeler que dans une démocratie, des responsables politiques et administratifs peuvent être poursuivis en justice dès lors qu’ils ont commis des actes délictueux. Il convient donc de rappeler, d’une part, l’article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 aux termes duquel « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. » et l’article 68-1 de la Constitution aux termes duquel : « Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. / (.. .) ». Si le simple fait d’être un responsable politique ou un faut fonctionnaire vous protège des conséquences juridiques de vos actes délictueux alors les postes de commandements de notre République seraient vite infestés de criminels puisque ces derniers y trouveraient un asile idéal pour commettre leur crime en toute impunité. Cette perspective sordide est une hypothèse d’école, car aujourd’hui un responsable politique ou un haut fonctionnaire, dès lors qu’il a commis des fautes qui ne relèvent pas du domaine de l’incompétence professionnelle, doit en répondre devant la justice.
Il y a donc quelque chose de profondément malsain dans les discours qui désignent ceux qui portent plainte contre les membres du gouvernement comme des irresponsables enragés et dangereux pour le fonctionnement de la démocratie. Ceux qui dénient aux plaignants actuels toute légitimité à déposer plainte sont les vrais dangers pour la démocratie. En voulant faire des responsables politiques et des agents publics des individus dont on ne pourrait pas soumettre les actes à l’appréciation de la justice, on prend le risque de faire des postes de commandement de la République un repère de bandits.
Nous devons en France réapprendre la démocratie. Cette remise à niveau passe par la reconnaissance de l’office de la justice même quand il s’agit de se prononcer sur des responsables politiques et sur leurs actes. La justice est la seule à pouvoir faire le tri dans les plaintes pour isoler celles qui sont recevables puis celles qui sont fondées. Il n’appartient pas à un élu, à un journaliste, à un bloggeur à n’importe quel citoyen de s’ériger en censeur des plaignants en les dénonçant comme des irresponsables.
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