La démocratie, oui, la démagogie, non
Il semblerait que la candidate du FN ne dispose pas des cinq cents signatures qui lui permettraient d'entrer dans la course à la présidentielle. Cette nouvelle est dans tous les media, ces derniers jours. Il y a lieu d'être surpris, sinon consterné, de devoir constater que cette péripétie est présentée partout, peu s'en faut, comme une véritable catastrophe. Il conviendrait tout de même de se mettre à la place des élus à qui on aura demandé de signer et qui ont carrément refusé. En général, engagés comme ils le sont dans l'action politique, on peut leur faire crédit d'une connaissance de l'état des choses et peut-être d'un savoir historique un peu supérieurs à celui de la moyenne des Français. S'ils ne veulent pas de cette candidature, c'est sans doute qu'il ne leur semble pas conforme à la démocratie de faire advenir ce qui risquerait fortement de la compromettre : le populisme xénophobe a suffisamment démontré dans le passé ses capacités de nuisance pour qu'on ne veuille pas aplanir le chemin qui mène à ces sortes d'aventures.
Mais, dira-t-on, et les quelques millions d'électeurs qui se reconnaissent dans la candidate potentielle du FN ? La démocratie n'imposerait-t-elle pas de les prendre en compte, de les représenter ? C'est là qu'il faut tout de même clairement distinguer entre démocratie et démagogie. S'il y avait eu dans la république de Weimar un dispositif légal qui eût pu faire barrage à l'émergence d'Adolf Hitler, qui s'en plaindrait aujourd'hui ? Or, l'animal n'est pas devenu chancelier du Reich par un coup d'état, mais fort légalement, par les législatives de 1932, puis soutenu par de pauvres bougres d'Allemands certes déjà un peu fanatisés, mais qui n'imaginaient pourtant pas ce qui arriverait à leur pays et à plusieurs autres dix ans plus tard. Je ne dis évidemment pas que les sympathisants du FN sont tous nécessairement des brutes fascistes, mais on ne peut pas oublier non plus que les six millions de morts de la shoah, pour le fondateur du parti, n'étaient au fond qu'un « détail », que son successeur trouve bon de persévérer dans le même sens et d'aller en Autriche le jour anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz pour y rencontrer des nostalgiques de cette glorieuse époque. Quel citoyen français digne de ce nom trouvera acceptables de telles provocations ?
Quand Nicolas Sarkozy, qui laisse entendre qu'il a d'autres chats à fouetter que cette histoire, trouve quand même regrettable qu'un courant, si détestable soit-il, ne soit pas représenté, on voit bien quelle est sa préoccupation : ces électeurs qui votent FN, non par conviction mais plutôt, comme on dit, "par protestation", il faudra bien les récupérer au second tour. Il convient donc de les ménager un peu, et dans la plupart des formations politiques, pour les mêmes raisons, devant les caméras, on s'aligne sur cette tartufferie et on tient à peu près le même discours.
Quand la démocratie n'est pas « éclairée », comme on aurait dit à l'époque des Lumières, elle est vite menacée de sombrer dans la plus basse démagogie. On sait très bien comment le FN a été fabriqué en France, avec l'appui de Mitterrand, pour mettre des bâtons dans les roues de la droite. Si un ministre de l'intérieur, à l'époque, soucieux de ne pas voir réapparaître les vieux démons du racisme et de la xénophobie, était intervenu auprès des directeurs de chaînes de télévision (cela s'était fait beaucoup !) pour demander qu'on voie moins souvent le tribun d'extrême droite sur les écrans, je ne connais pas beaucoup de citoyens un peu raisonnables qui seraient descendus dans la rue pour manifester contre contre une atteinte à la liberté d'expression. Mais on n'a pas limité cette publicité funeste, on l'a au contraire favorisée autant qu'il était possible. On a donc donné au peuple une sorte de hochet pour qu'il s'en amuse et le processus a vite dépassé l'objectif que l'abominable Florentin de la Présidence avait visé. Plus de vingt ans après, on en subit encore les conséquences et c'est toute la vie politique française, tous partis confondus, qui s'est mise désormais au diapason d'une rhétorique populiste des plus écoeurantes.
Si M. le Pen n'obtient pas ses signatures, n'hésitons pas à le dire carrément, ce sera une victoire pour la démocratie, la vraie. Le mépris qu'on est quelquefois tenté d'éprouver pour des élus plus souvent soucieux de leur mandat que de l'intérêt du pays s'en trouvera du coup fortement atténué. Et gardons-nous bien de remettre en cause une disposition légale qui constitue un si parfait garde-fou.
Christian Labrune
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