La Démocratie, Valeur universelle ?
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La meilleure forme de démocratie serait sans doute la démocratie par consensus, avec tous les citoyens arrivés à un accord général sur les décisions à prendre, obtenu par discussion et débat. Cette forme de démocratie directe était possible dans les petites sociétés anciennes, mais ce n’est plus possible dans nos sociétés modernes avec 60 millions et plus de citoyens. La seule alternative est la démocratie par vote majoritaire, ce qui laisse une minorité, plus ou moins importante, mécontente. C’est loin d’être parfait, mais comme Churchill disait, c’est « le pire des systèmes politiques - à l’exception de tous les autres », ce qui correspond, sans doute, à l’opinion générale dans les sociétés occidentales, nourries de l’héritage gréco-judéo-chrétien. Liberté, égalité et démocratie figurent haut parmi les valeurs que nous considérons comme universelles, mais ces valeurs ne sont pas partagées par tous les peuples : plusieurs adversaires acharnés de la démocratie sont apparus sur la scène internationale : la Chine et d’autres pays asiatiques comme Singapour, l’orthodoxie russe, et l’islam.
Face à cette opposition, nous sommes obligés d’admettre que plusieurs cultures refusent clairement le bien-être démocratique que nous avons toujours considéré comme un bienfait appelé par tous les peuples sans restriction. Les critiques des orthodoxes russes comme Soljenitsyne ainsi que la violence de la Déclaration des droits de l’homme de l’orthodoxie russe ; le discours des Asiatiques comme Lee Kuan Yew à Singapour ; les violences de l’islamisme qui visent clairement notre système institutionnel autant que culturel, tout cela nous convainc que la terre entière n’attend pas notre modèle politique comme un parangon, contrairement à ce que notre présomption nous a longtemps laissé croire.
En même temps, l’Occident s’aperçoit depuis une trentaine d’années que la démocratie ne s’exporte pas comme une marchandise. La démocratie ne représente pas seulement un ensemble d’institutions, mais un esprit, une mentalité, correspondant à une culture. Vouloir la greffer n’importe où est une sottise qui a toutes chances à nuire au pays en question, parce qu‘elle est étrangère et contraire à sa culture. Que les Américains aient pu imposer la démocratie aux Allemands s’explique par la similarité des cultures. Vouloir faire pareil dans les pays musulmans laisse la porte ouverte aux régimes fondamentalistes, plus dangereux que les dictatures ordinaires précédentes. Il semble préférable pour certains pays, comme la Chine ou le Chili que l’économie soit dirigée d’une main de fer avant de décréter la liberté d’opinion, car les intérêts économiques doivent être assurés avant la liberté politique, pour laquelle ces pays ne semblent pas être prêts.
En démocratie représentative, les partis et les associations offrent au peuple la possibilité de s’exprimer et de critiquer les décisions contraires à leur volonté, mais dans la pratique, cette possibilité est bien limitée : les partis sont censés représenter la volonté de leurs adhérents, mais de nombreux citoyens ne se reconnaissent dans aucun parti. Les allégeances et loyautés partisans sont en déclin. De plus en plus d’électeurs ne votent plus pour un parti, et certains hésitent entre abstention et vote radical. Par nature, la démocratie représentative est élitiste, et un sentiment de non-représentativité est courant. Bien que les députés soient choisis par les citoyens, leur compétence est difficilement repérables. On les juge par leur capacité de s’exprimer et diffuser une opinion politique. Autrement dit, leur compétence ne peut être évaluée que par leurs discours pendant la campagne.
Pour les élites politiques, une fois élues, la démocratie est difficile à accepter, parce que la politique est une drogue dure dont on ne se défait pas volontiers, lors même que l’essence de ce régime veut que l’on s’en défasse. Ainsi s’est constituée, dans nos démocraties bien assises, une caste de gouvernants finalement persuadés de leur légitimité définitive à décider pour les autres. Parce qu’ils détiennent à la fois le pouvoir, la culture, les médias et l’influence sur les intérêts économiques, ils n’ont pas de peine à contrôler la direction exclusive du pays, transformant, dans les faits, la démocratie en oligarchie. Ils leur faut ensuite déguiser la vrai raison de cette transformation - l’avidité pour le pouvoir - en raison plus noble : leur compétence magistrale, qui rend imprudente et contre-productive une distribution égalitaire des fonctions gouvernantes.
Les partis politiques jouent un rôle fondamental dans une démocratie, assurant la médiation entre le peuple et le pouvoir. Ils diffusent des idées politiques et permettent aux personnes partageant des convictions semblables de s’associer dans un programme de lutte pour le pouvoir. Mais, en même temps, il sont accusés de corruption, de fraude, d’abus d’argent privé dans les campagnes et de diviser l’espace politique en créant des clivages dans la société. Sur la question d’utilité des partis
Simone Weil avait écrit :
« Pour apprécier les partis politiques selon le critère de la vérité, de la justice, du bien public, il convient de commencer par en discerner les caractères essentiels.
On peut en énumérer trois :
Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.
Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres.
La première fin, et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.
Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S’il ne l’est pas en fait, c’est seulement parce que ceux qui l’entourent le sont moins que lui.
Ces trois caractères sont des vérités de fait évidentes à quiconque s’est approché de la vie des partis. Des solutions ne sont pas faciles à concevoir. Mais il est évident, après examen attentif, que toute solution impliquerait d’abord la suppression des partis politiques. »
(Simone Weil : "Note sur la suppression générale des partis politiques". Paris, Climats,
2006).
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