La grande absente du rapport Gallois
Cette fois-ci, le rapport Gallois vient de sortir officiellement. Nous ne commenterons pas ici les mesures économiques qu’il prône pour nous concentrer sur une mesure, elle, absente, mais qui est à nos yeux majeure et dont l’absence témoigne de l’aveuglement actuel de notre société sur un sujet qui semblera à beaucoup très politiquement incorrect. Pourtant…
Le rapport Gallois, comme d’autres avant, fait le constat du déclin industriel de la France. Soit ! À force de faire le constat de baisse, bientôt, on pourra faire celui de disparition… Au passage, profitons-en pour fustiger un certain patronat qui affirmait, il y a moins de dix ans, que l’avenir était à la société postindustrielle. On se rend compte semble-t-il bien tard, que ces grands patrons, certains parmi les ténors du CAC 40, étaient en réalité des cancres en économie !
Le rapport Gallois constate aussi que le déclin industriel est lié à un déclin de compétitivité. Pour pallier cela, il préconise des remèdes à la fois de baisse du coût du travail, de soutien aux PME et d’orientation vers l’innovation. Il se trouve que ce dernier terme est, avis personnel, très mal choisi, car ce qu’il recouvre dans les instances internationales sous le même vocable, mais en signification anglo-saxonne, n’est pas ce que le quidam français entend. En effet, le terme innovation en anglais, signifie tout type d’innovation qu’elle soit technique, commerciale, de gestion ou autre. Ce qu’entend en général le français c’est ce que l’on a coutume d’appeler R&D pour recherche et développement.
Or la France a une tradition de R&D que l’on peut constater avec les derniers programmes dont nous vivons encore aujourd’hui : l’aéronautique et le nucléaire. Si nous regardons a posteriori notre performance en la matière, nous avons investi, en Europe, depuis la dernière guerre mondiale, en moyenne 3 fois moins que les USA pour, au final, avoir des produits similaires en termes de performances et qualité aux produits américains. Nous avons même parfois fait mieux avec le Concorde ou l’Airbus A320 qui avait de réelles innovations par rapport aux Boeing. Si nous voulons donc pouvoir innover à l’avenir, en tous les domaines, il nous faut donc avant tout être capables de concevoir les produits de demain, au même titre que les programmes aéronautique et nucléaire nous ont donné une capacité rare il y a quelques décennies.
Or, une telle qualité de R&D ne peut se faire que si certaines conditions sont remplies. Il faut bien entendu une disposition d’esprit dans les entreprises qui soit favorable à la prise de risque technologique. C’est un vrai défi qui relève presque de la gageure dans la société française tant nous avons été abreuvés, ces dernières années, par le catastrophisme écologiste qui ne voit que des maux dans le développement industriel. Il faut aussi un système financier qui se prête au développement des nouvelles technologies et, là encore, c’est un réel défi pour notre pays qui est plus que frileux sur le sujet. Le rapport Gallois prévoit bien entendu des mesures, mais elles sont bien timides. Enfin, il vient notre morceau de choix et qui est totalement absent du rapport.
Il s’agit en fait de la formation du personnel technique des industries. Ce que nous entendons par personnel technique, ce sont les ouvriers, les techniciens et les ingénieurs ; ceux affectés aux tâches techniques. Or, quel est le besoin de formation initiale de ce personnel ? Il faut d’abord qu’il sache lire. Compte tenu du score de l’éducation nationale au vu des statistiques à l’entrée en sixième, on voit que près d’un tiers des élèves sont déjà éliminés d’un travail potentiel dans l’industrie. Une fois que l’on sait lire et écrire, il faut maîtriser les sciences : mathématiques, physique, chimie et biologie pour l’essentiel. Or, chaque année depuis maintenant assez longtemps, je donne des cours de mathématiques dans une grande école d’ingénieur. Je fais hélas le commentaire récurrent suivant : « quand, à votre âge, je suis entré dans cette école, j’avais fait, en arrivant, 700 heures de physique et 1000 heures de mathématiques de plus que vous » ! Cela est quantitatif. N’en déplaise à certains, nous ne sommes pas en compétition avec les Chinois ou Indiens sur la maîtrise de l’anglais, mais bien sur notre aptitude à manier les quatre disciplines scientifiques citées plus haut. En conséquence, le niveau actuel d’un ingénieur est celui d’un élève de terminale, au mieux, des années 70 en disciplines scientifiques. Et cela va encore empirer compte tenu de la réforme des lycées qui s’est mise en place en première dès cette année. Dans quelques années, je pourrai donc modifier mon discours en conséquence et hélas toujours dans le même sens. Or, comme dit plus haut, si l’Europe a été 3 fois meilleure que les USA en aéronautique au cours des dernières décennies et si la France a été encore bien plus performante, étant à l’origine de beaucoup dans le secteur avec des moyens encore plus faibles, c’est parce que nous avions un personnel mieux formé. Le crime qui s’est perpétré dans l’éducation nationale contre l’enseignement scientifique, crime qui perdure voire s’amplifie, nous interdit de fait de tirer notre épingle du jeu à terme. Si nous voulons avoir quelque chance de réindustrialiser la France et de recouvrer un positionnement mondial comme celui que nous avions, il faut dès aujourd’hui renverser la vapeur et à la fois remettre des horaires décents en mathématiques et physique principalement ainsi qu’un niveau d’exigence lui aussi décent.
Sinon, on baissera le coût du travail jusqu’à en arriver au salaire horaire du brassier chinois actuellement. Est-ce cela que veut la France ?
Notre élite n’a hélas pas compris cela et elle pense encore candidement qu’un allègement des programmes, des activités dites d’éveil et tout un tas de tarte à la crème pédagogique feront de nous un peuple performant industriellement. Quelle erreur, messieurs les politiciens ! L’industrie est un métier exigeant où l’on n’apprend pas en s’amusant et où l’effort est récompensé ; récompensé par le succès, mais aussi par la beauté qui devient accessible aux seuls compétents en la matière, un peu comme certains arts ne sont accessibles qu’aux connaisseurs. Voilà la vérité ! Ce qui manque donc crucialement dans le rapport Gallois, c’est cette part d’école, scientifique, qui formera une élite ouvrière, technicienne, ingénieure et qui seule pourra redresser l’industrie de notre pays. Mais qui dit élite doit dire reconnaissance, à la fois par le statut et par la rémunération, l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui où, au final, ceux qui mènent la compétition seuls, face au reste du monde, non seulement doivent supporter la population protégée, mais en plus constatent chaque jour que plus les personnes sont protégées de la compétition mondiale plus elles sont rémunérées. Voilà une injustice criante ! Si elle n’est pas réparée rapidement, le déclin sera irréversible, car la transmission du savoir qui reste ne se fera pas aux futures générations, faute de candidats et faute de candidats avec un niveau suffisant.
Voilà le constat amer qu’il nous faut faire aujourd’hui.
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