La Matinale de France-Culture et le mouvement social qui traverse le pays
Sans filtre en ce jour du 1er mars de l’année 23, Jean Leymarie, aidé de Stéphane Robert, reçoit Philippe Martinez. Aujourd’hui le ton habituellement modéré du journaliste est plutôt incisif. L’interview tourne vite à l’interrogatoire. Le flash-pour qui se prend ce monsieur à cet instant-là-m’a traversé l’esprit.
L’affaire doit être grave pour un tel changement de ton et d’attitude. Quelque chose ne tournerait plus rond ? Quelque chose qui serait dérangeant, voire menaçant ? Qui ou quoi pourraient ainsi se sentir dérangé ou menacé ?
Une belle langue enjouée et élégante.
Fini ce matin la belle langue enjouée et élégante qui d’habitude semble au-dessus de la mêlée où se jouent nos minuscules vies. Très vite, chaque question est un coup bas et un piège un peu grossier comme si l’enjeu était de livrer l’invité à la vindicte. La vindicte de qui et au bénéfice de qui ? Ton hargneux et parti-pris mesquin pour un catalogue de questions qui visent toutes à opposer et fragiliser ceux qui portent le mouvement social en cours. Sans oublier bien sûr la valorisation discrète du RN si indispensable dans ce travail de confusion, de division et de fractionnement de notre société. Les plus anciens ont connu un temps où tous les dirigeants syndicalistes étaient respectés dans les médias. De nos jours, il semble que ce soit devenu optionnel et circonstanciel.
Pas de chance.
Pas de chance, sur les ondes, l’espace de quelques moments trop rares, la France ce matin, ce n’est pas la France habituelle de France-Culture, celle que nos journalistes perdent souvent de vue en oubliant ce qu’est un service public. C’est une parole, parmi tant d’autres d’une France minoritaire, démobilisée, en retrait, par la grâce de nos filets institutionnels et processus électoraux et par la magie habituelle de nos médias. Une France qui se retrouve majoritaire quand, bousculée, sommée de se soumettre, elle se rend compte pour quoi et pour qui elle est censée avoir votés. N’atténuons pas mais n’accablons pas non plus au-delà de leur mérite personnel la responsabilité du journaliste et de celui qui l’aide dans son travail ce matin-là. Tout cela bien sûr a été préparé dans un travail de rédaction sous la responsabilité d’un responsable de rédaction, d’une directrice de l’information, d’une présidente-directrice-générale et de la caution d’une médiatrice comme il se doit. Et chacun a été bien choisi ici pour occuper la place qu’il mérite et sait visiblement quoi faire pour la conserver.
Décidément, pas de chance.
Pas de chance décidément. Celui qui ce jour-là est venu parler du mouvement social dont il est un des acteurs élus, sans avoir besoin de hausser le ton ni de s’égarer dans les justifications où on aurait bien voulu l’acculer, a tranquillement remis sur pied à ses véritables dimensions le déroulement chronologique des faits et rappelé les responsabilités des uns et des autres en reprenant méthodiquement, nichés au sein des questions, le fil des informations erronées ou incomplètes, les interprétations militantes de ses interlocuteurs du jour, les appels à peine déguisés à la division. En comblant aussi l’absence habituelle des réalités qui dérangent ceux chargés en principe de nous informer. En donnant sans le vouloir ni le dire une leçon de journalisme à ceux qui trop souvent oublient que leur métier est incontestablement un métier de pouvoir mais aussi un métier de responsabilité particulièrement ici au service public de l’information. Un beau temple médiatique où l’on n’a pas assez de mots ou de postures pour rappeler régulièrement la noblesse et la difficulté du métier, indispensable au bon fonctionnement d’une démocratie comme il se doit, derrière le prestige de laquelle se cachent trop souvent manigances et parti-pris.
Violence symbolique.
C’est d’autant plus regrettable que France-Culture, au-delà de la matinale si stratégique (les matinales radio sont le moment informatif le plus écouté), pour l’essentiel, diffuse des émissions de grande qualité apportant leurs contributions à la diffusion des savoirs, des arts et à la compréhension de notre vie culturelle, politique, économique et sociale.
Nous vivons une époque très troublée, dangereuse. Rien ne peut nous faire penser que ce n’est pas si grave et que les choses vont s’arranger toutes seules avec de la bonne volonté sans se poser trop de questions parce que quand même il y a des élites qui savent et qu’il s’agit d’écouter et des médias pour nous informer et même maintenant nous protéger des fakes-news et remettre dans le droit chemin nos mauvaises pensées. Tout ceci n’est pas anodin. Et nous ne parlons ici que du service public, pas de l’emprise du reste des médias qui sont dans les mains de quelques milliardaires. Cela s’appelle de la violence symbolique pour ceux qui n’ont pas droit à la parole ou si peu. Et nous venons de survoler dans quelles conditions cela peut se passer. La violence symbolique s’ajoute à la violence bien matérielle de l’injustice sociale inscrite dans le quotidien de nos vies. Il n’y a pas de violence symbolique sans rapport de force. Sans menace implicite ni condescendance non plus. Violence symbolique qui, en réalité tient en respect autant qu’elle charge en énergie la tension qui monte si la démocratie ne tient pas ses promesses de justice et de respect. Pour ceux qui feraient semblant de ne pas comprendre, qu’ils interrogent les gilets jaunes dans leur diversité et se souviennent de leur traitement dans les médias.
Le pacte social.
N’avons-nous pas à redouter que toute cette accumulation d’abus, de transgressions du pacte social implicite déjà si abîmé qui nous fait respecter par intérêt réciproque l’état de droit, ne finissent par le rendre caduc sans transition praticable vers une refondation raisonnable d’un nouveau pacte ? Est-ce ce qui est envisagé ou envisageable si on n’y prend pas garde ? Parce que quand on regarde l’histoire récente, c’est bien ce qui est déjà arrivé près ou loin de chez-nous avec déjà les mêmes acteurs et procédés me semble-t-il ? Avec des conséquences que je laisse le soin à chacun d’apprécier. Pour les envier ou les redouter.
Il y a une demande et une attente manifestes dans ce mouvement social. La demande conjointe de plus de justice et de démocratie. C’est à dire de plus de démocratie pour plus de justice. A l’évidence nos élites économiques et financières, les hiérarchies des médias, la plupart de nos politiciens n’en veulent pas parce qu’ils ne veulent pas changer l’ordre qui les consacre. Que nous citoyens soyons entretenus dans un déficit permanent de compréhension de notre vie politique et de capacité à nous faire entendre et agir, cela n’est pas le sujet de ce genre d’élu, c’est la garantie de leur pérennité. La prise de conscience se fait lentement au sein du mouvement social en cours alors qu’elle est présente depuis très longtemps au sein des forces citées qui entretiennent la situation. À chacun d’entre nous de voir où il se situe dans cette affaire et ce qu’il peut faire. Je crois que là où nous sommes rendus, nous n’avons plus le luxe ni le temps d’en perdre.
La solution démocratique.
Il faut que le politique reprenne la direction de l’économie et non l’inverse que nous subissons où au mieux il est en charge de réguler tous les problèmes engendrés par une recherche de profits à courts et moyens termes laissés dans les mains d’une partie d’entre-nous qui nous imposent leurs décisions en tous domaines en déclinant leurs responsabilités quand nous sommes, épisodiquement ou par effraction, en mesure de demander des comptes.
Protégeons-nous de ces gens, protégeons-nous en étant nous-mêmes, en étant des citoyens éclairés et impliqués dans des pays souverains. N’oublions pas ce que c’est que d’être un citoyen dans un pays souverain potentiellement démocratique même si nous n’avons connu dans nos vies pour certains que des épisodes plus ou moins intenses et pour d’autres en fait aucun vraiment en réalité. Pour eux, les conditions effectives du fonctionnement d’une démocratie se sont retirées pas à pas comme l’eau d’un puits qui va s’asséchant au fil de mandats où les élus l’étaient sur des faux-semblants puis des cirques médiatiques organisés et entretenus. Subis par nous dans l’impuissance. 70% des moins de 39 ans se sont abstenus aux législatives. Cela suffit. Allons-nous enfin nous occuper de nos institutions et de notre place dans celles-ci avant qu’il ne soit trop tard ? C’est le levier indispensable si nous voulons vraiment que nos vies nous appartiennent. Je pense qu’il serait temps de nous retrousser les manches si nous ne voulons pas vivre en dystopies pour lesquelles certains ne manquent ni de moyens ni d’imagination si nous les laissons faire. Je rappelle que nos vies individuelles sont courtes et qu’il n’y a pas de temps à perdre et que d’autres ont bien des projets pour nous avec des surprises à l’appui comme il se doit.
→ Bien entendu, il ne s’agit pas de me croire sur parole concernant ce moment d’information et sa contribution au fameux "dialogue social" et donc à chacun de se faire une idée par lui-même (à écouter 40mn).
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