La mort de l’UE : lettre ouverte au président François Hollande
La montée du populisme, la rigueur toute allemande, l'intouchabilité des paradis fiscaux européens, l'impossibilité d'une intégration d'une politique fiscale et l'incapacité à créer l'Europe sociale vont entraîner à court terme la mort de l'Union Européenne.

Monsieur le Président,
A en croire certaines analyses, le risque est réel qu’aux élections européennes de 2014 les partis anti-européens, qu’ils soient d’extrême droite ou de gauche radicale, détiennent la majorité au Parlement européen. D'ailleurs Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a lui-même prédit que ces élections seraient « extrêmement difficiles » en raison de la montée des populismes.
L’euroscepticisme gagne du terrain en Europe. Un centre de recherche européen publie une analyse à partir du dernier eurobaromètre. Les chercheurs du Centre d’études sur les relations étrangères se sont penchés sur celui-ci et qui concerne six pays : l’Allemagne, la Grande Bretagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et la France. Soit 350 millions de citoyens européens sur 500 millions, les deux-tiers de l’Union européenne.
Ce sondage montre que la majorité des personnes interrogées considère que leur économie nationale est sérieusement ébranlée par la gestion européenne de la crise de l’euro. L’euroscepticisme semblait un mal britannique mais il se répand partout, avertissent les chercheurs européens.
En Espagne, un des pays les plus touchés par la crise, 72% des personnes interrogées n’ont plus confiance en l’Union européenne. La France n’y échappe pas avec 15% d’eurosceptiques en plus entre mai 2007 et novembre 2012. Dans les autres pays, c’est 20% de plus de mécontents.
Or, c'est essentiellement l'Allemagne qui a proposé cette cure d'austérité à toute la zone euro, via la Commission européenne et l'application du pacte budgétaire européen. Hélas vous n'avez pas su imposer à Mme Merkel votre point de vue sur la rigueur, et peut-être aurait-il fallu que vous tapiez le poing sur la table et aussi faire planer au dessus de sa tête le départ de la France de l'UE ?
Cette politique lui profite jusqu'à présent tout en détruisant progressivement les appareils industriels de ses principaux partenaires européens. Peut-on concevoir qu'un pays qui sert ses intérêts particuliers continue d'orienter durablement les politiques économiques de ses partenaires ? Autre question, Monsieur le Président, un leadership économique doit-il automatiquement se transformer en leadership politique ?
Pour l'instant cette politique de rigueur inspirée par nos amis allemands à toute la zone euro ne donne pas les résultats escomptés. D'après les prévisions du Fonds Monétaire International et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'Union européenne et singulièrement la zone euro sera en récession en 2013 comme en 2014. L'ajustement structurel imposé sans ménagement aux pays du Sud de l'Europe (Grèce, Italie, Espagne, Portugal, Malte) réduit leur activité, ce qui ne permet pas de résoudre leur problème d'endettement. L'Europe est même le continent malade de la planète économique mondiale.
Quant aux paradis fiscaux ils sont une menace pour la démocratie. Cela ruine la confiance qu’on peut avoir dans l’égalité devant l’impôt. Les grandes entreprises qui en paient moins que les PME, les très riches qui s’en exonèrent par rapport aux classes moyennes... Les gens se sentent floués et c’est le contrat social qui fonde la démocratie qui est remis en cause.
Je pense, monsieur le Président que vous connaissez la liste des paradis fiscaux européens, mais ce qu'il y a de plus stupéfiants c'est que certains font partie de l'Union Européenne, et que celle-ci est incapable de les mettre au pas. Il y a notamment :
La Lettonie, cet État balte, qui a rejoint l’Union européenne en 2004 et qui aspire à rejoindre la zone euro, a été présenté ces dernières semaines comme un havre alternatif pour les riches investisseurs quittant Chypre. Environ la moitié des 12 milliards de lats (17 milliards d’euros) de dépôts dans les banques lettones sont ceux des non résidents, en hausse de 20% en 2012, selon les données officielles. Ce poids des avoirs extérieurs fait peser de forts soupçons de blanchiment.
Le Luxembourg, le grand-duché pointe à la troisième place de l’indice d’opacité financière de Tax Justice Network. Les dépôts bancaires s’y élèvent à 227 milliards d’euros, pour un PIB de seulement 44 milliards. Les riches particuliers et les entreprises peuvent profiter de structures juridiques permettant de payer un impôt minimum (comme les holdings ou les sociétés de participation financière), et bénéficier du secret bancaire, qui permet aux clients non résidents des banques de ne pas voir leur identité révélée à leurs fiscs nationaux. Le Luxembourg est connu pour répondre au minimum de demandes des fiscs étrangers.
L'Autriche qui est considéré comme l'un des pays les moins transparents sur les services financiers, l'Autriche a été épinglée en 2008 par le Fonds monétaire international pour la négligence des autorités concernant la supervision financière.
Londres car en Grande-Bretagne, les résidents dits "non domiciliés" peuvent n'être imposés que sur leurs revenus anglais et sur leur fortune localisée dans le pays. La capitale britannique, en particulier, est connue pour son opacité et sa forte dépendance au secteur bancaire. Les services financiers représenteraient 20% du PIB de la ville selon une étude de l’OCDE. La City est également sous le régime de la "common law" dans le droit des affaires, ce qui permet de créer facilement une entreprise, avec peu d’obligations sociales.
L'île de Man, Jersey, Guernesey et Sercq ne font pas partie de l’Union européenne, mais dépendent directement de la Couronne britannique, Mr Cameron pourrait en toucher un mot à la Reine, s'il était pro-européen, mais la question est l'est-il vraiment ?!
Monsieur le Président, si le marasme économique s’acharne sur de nombreux pays d’Europe depuis plusieurs années, c’est à cause d’un manque de coordination des politiques budgétaires et surtout un défaut d’intégration des politiques fiscales.Car, au sein d’une zone de libre-échange, la stratégie du chacun pour soi est non seulement illusoire en matière de politique fiscale, mais aussi puissamment délétère.
L'Irlande en adoptant un taux très bas d’impôt sur les sociétés, a attiré de nombreuses entreprises, et crû de 6% par an de 1995 à 2007. Tant mieux pour les Irlandais, sans doute ! Mais si chaque pays suit cette logique, la fiscalité du capital va diminuer inexorablement.
Le Danemark, lui, a depuis 1991 accordé une remise d’impôt aux travailleurs les mieux rémunérés. Au-delà d’un seuil de revenu les plaçant parmi les 1% les plus riches, ceux qui venaient vivre et travailler au Danemark ont ainsi vu leur taux d’impôt diminué, pour une durée de trois ans, à peu près de moitié.
L’analyse de cette situation montre que le nombre d’étrangers travaillant au Danemark a peu évolué pour ceux qui étaient en dessous du seuil, et continuaient à payer un impôt au taux plein. En revanche, la ristourne fiscale a déclenché une immigration importante de travailleurs très bien payés : alors que les étrangers constituaient 4% des plus riches avant la réforme, ils sont maintenant près de 8%.
La leçon de cette étude est claire ; alors que les migrations des plus pauvres sont souvent motivées par la volonté d’échapper à la misère, les plus riches, eux, ne prennent pas le risque de mourir noyé au large de Lampedusa : ils comptent. Chaque pays a donc effectivement intérêt, s’il souhaite attirer des travailleurs très qualifiés, à baisser sa fiscalité sur les revenus les plus élevés. Mais le résultat collectif est désastreux : l’impôt perd sa fonction redistributive, et la recherche de recettes fiscales conduit à taxer davantage les classes moyennes, au risque d’alimenter leur "ras-le-bol".
Monsieur le Président, vous êtes issu du Parti Socialiste et bien que vous ayez déclaré sur France 2 le 28 mars 2013 au soir : "je ne suis pas le président socialiste", je pense que vous avez à coeur a engager l'Union Européenne dans une voie plus volontaire dans le domaine social. Nous comptons sur vous pour demander aux dirigeants de l'Union qu'ils abandonnent un peu la langue de bois de l'économie pour accorder plus de place aux valeurs des droits sociaux de l'homme et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union : respect de la dignité humaine, justice sociale, solidarité, égalité des chances, pour les principales.
L'affirmation de ces valeurs est plus nécessaire que jamais, mais le problème est que leur respect a un coût financier qui, du fait qu'il est largement couvert par des prélèvements obligatoires, est souvent présenté comme excessif.
Ils sont donc généralement très impopulaires, ce qui explique que, depuis longtemps, les pouvoirs publics de la plupart des pays de l'Union européenne aient préféré laisser se creuser les déficits publics plutôt que d'aligner les impôts et cotisations sociales sur l'évolution de leurs dépenses publiques. Or les prélèvements obligatoires sont une source importante d'économies de dépenses privées et l'instrument majeur de la solidarité. Pour éviter la régression sociale et renforcer l'Europe sociale il est donc impératif que la légitimité de ces prélèvements soit défendue, ce que les instances européennes et les "sommets" de chefs d' États et de gouvernements ne font jamais ! Alors monsieur le Président, c'est à vous de jouer !
Savez-vous, monsieur le Président qu'un sondage Eurobaromètre, réalisé en 2006, à la question "Parmi les éléments suivants, quels sont les deux qui renforceraient le plus votre sentiment d'être un citoyen européen", la réponse qui est arrivée nettement en tête était "Un système européen de protection sociale" et cela avant une Constitution européenne ou un président de l'Union directement élu par les citoyens des États-membres !
Monsieur le Président, ma lettre est un peu longue mais je voulais faire le tour de toutes les causes de la déconvenue des Européens et notamment des Français concernant l'Union Européenne qui expliquent, sans la justifier, la montée des partis populistes et donc anti-européens. Partis qui pourraient être majoritaires ou tout du moins beaucoup plus présents lors des élections européennes de 2014, ce qui serait une régression et une paralysie de celle-ci.
Je tiens à vous signaler un sondage Ifop pour le Nouvel Observateur qui a donné mercredi pour la première fois le Front national en tête des intentions de vote pour les élections européennes, avec 24%.
Monsieur le président, les pays de l’euro doivent se fixer un calendrier d’harmonisation fiscale et sociale, développer sans plus attendre une politique industrielle commune, mutualiser leurs emprunts pour en faire baisser les taux, se doter d’une défense commune pour réduire leurs dépenses militaires et solennellement annoncer qu’au terme de ce processus, l’union politique est leur objectif à tous. Alors nous comptons sur vous pour ce vaste programme.
Il va falloir beaucoup négocier. Rien ne se fait et ne se fera en un jour ni sans drames, mais il faut que cela se fasse car, c’est ainsi et pas autrement qu’on sortira d’une crise qui n’est pas conjoncturelle mais structurelle. Je sais que vous avez de la constance et que vous n’avez pas eu une seconde d’hésitation dans la crise malienne qui n’était rien face à celle qui attend l’Europe.
Je vous présente tous mes respects, monsieur le Président.
Sources : ecfr.eu, Libération, RFI, Le Monde,
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