La réforme de la réversion : une prestation d’abord pensée pour les bourgeoises
Occupés à juste titre par la fixation d’un âge pivot à 64 ans, la réforme de la réversion annoncée par Edouard Philippe dans son allocution du 11 décembre n’a que peu attiré l’attention des médias. Pourtant, il s’agit d’une révolution dans l’histoire de la protection sociale et dont l’impact dépassera largement celui d’un calcul de la retraite par un système de points.
Edouard Philippe le 12/12/19 à 12h31 « Pour les veufs et les veuves. Le système de réversion garantira 70 % des ressources du couple ».
Edouard Philippe aurait dû poursuivre « Mais financée par tout le monde, y compris ceux qui n’y auront jamais droit… ». Trente-six milliards à payer chaque année par la collectivité, c’est le coût de la réversion en France.
Chacun a-t-il vraiment compris le sens de sa déclaration ?
- Une condition de revenus propre à chaque couple et non pas universelle c'est à-dire la même pour tout le monde. Un comble pour un système universel de retraites.
- Pas de plafond.
- Pas de condition de patrimoine.
- Que se passerat-il si la pension du survivant dépasse 70% des pensions du couple ? Une réversion réduite à 0 € ? Une pension abaissée à 70% de la somme des pensions du couple ? Je vous laisse à votre imagination.
Une réversion ? Pas vraiment, car à y regarder de plus près il s’agit d’un partage post-mortem bonifié des droits à la retraite entre conjoints, dont le coefficient de bonification serait financé par l’ensemble de la collectivité.
Nous nous proposons d’analyser la « nouvelle logique » de cette prestation dite de réversion.
Un changement de logique en rupture avec les logiques existantes
Selon la réglementation actuelle la réversion de la retraite de base ( retraite Sécu) obéit à une logique de redistribution sociale qui se concentre sur les plus défavorisés : condition de revenus + plafond autour de 900 Euros/mois. Pour une enveloppe globale distribuée, cela permet de distribuer plus à ceux qui ont le moins.
Quant à la réversion AGIRC-ARRCO elle suit une logique quasi patrimoniale : pas de condition de revenus mais condition de non remariage. Comme c'est une logique quasi patrimoniale cela implique que chaque conjoint récupère le même pourcentage de la pension du défunt.
Le changement de logique annoncé par Edouard Philippe ne cadre ni avec la logique quasi patrimoniale de la réversion AGIRC-ARRCO ou fonctionnaires, ni avec la logique de redistribution sociale de la retraite de base.
Comparée à la réversion AGIRC-ARRCO elle sort de la logique quasi patrimoniale puisque les droits respectifs de réversion sur la pension du défunt deviennent mécaniquement inégaux. L'un des 2 conjoints peut même être privé de réversion en fonction de l'écart entre leurs pensions respectives.
Comparée à la réversion de la retraite de base elle perd sa fonction d'aide aux plus défavorisés et devient une prestation non contributive, anti-redistributive.
- Elle est non contributive car il n'y a pas de sur cotisation à payer pour l'obtenir.
- Elle est antiredistributive car elle ne favorise pas les plus défavorisés.
C'est la première fois dans l'histoire de la protection sociale en France que l'on voit cela. Il n'existe aucun exemple semblable dans le monde.
Par rapport à la réversion de l'AGIRC-ARRCO et des fonctionnaires, à pensions identiques d'un cotisant homme et d'un cotisant femme, la règle de réversion proposée pénalise les hommes car ils ont plus souvent une pension supérieure à celle de leur conjointe. A pensions identiques de cotisants beaucoup plus d'hommes que de femmes seront à priori mécaniquement exclus de la réversion pour la raison exposée, ce qui rend cette nouvelle règle sexiste par construction.
Il apparaît donc que cette réforme de la réversion ne poursuit pas un objectif de justice sociale ce qui ne cadre pas avec le discours officiel.
Une évolution de la réversion en opposition de phase avec celle de notre société
Dès lors que cette prestation ne poursuivrait plus un objectif de justice sociale tout en étant financée par l’ensemble de la collectivité, il fallait une autre raison que Monsieur Jean-Paul Delevoye s’est empressé de donner lors de consultations dites citoyennes, je le cite : "En droit civil, le mariage comporte des obligations fortes en termes de solidarité entre deux personnes".
Mais n’est-ce pas un prétexte fallacieux ? Au 21ème siècle peut-on encore accepter de prendre le prétexte du mariage pour faire passer les uns devant les autres, aux frais des autres, pour la protection sociale. Y-aurait-il un statut social plus noble qu’un autre ?
La logique d'un maintien du niveau de vie à tout prix ne s'inscrit pas dans l'évolution historique du mariage qui n'a cessé d'aller vers plus d'indépendance et plus de liberté laissée aux époux, à la demande même des mouvements féministes. L'obligation faite à l'épouse de demander l'autorisation du mari pour travailler a disparu, son autorisation pour ouvrir un compte bancaire aussi. La notion de chef de famille a disparu. Toutes les évolutions ont eu pour objectif d'atténuer le lien de dépendance entre les époux. En matière de divorce, la pension alimentaire viagère très conflictuelle a été remplacée par la prestation compensatoire d'abord en rente viagère puis en capital (réforme de 2005) pour solde de tout compte, détachée de la faute. L'obligation de fidélité n'est devenue qu'une obligation morale dont la violation n'est sanctionnée qu'exceptionnellement. Les femmes travaillent. Le nombre de mariages en séparation de biens, anecdotique au siècle dernier, est en constante augmentation preuve que les époux souhaitent de plus en plus maîtriser eux-mêmes ce qu'ils veulent partager.
Émancipation et liberté, cela veut aussi dire plus de responsabilité à l'heure d'assumer les conséquences de ses propres choix.
Alors que conclure de cette réforme vers une réversion anti-redistributive, anti-sociale sociale et par-dessus le marché non contributive ?
Que pour LaREM il est important que la collectivité soit mise à contribution afin que les bourgeoises ne connaissent jamais ce que connaîtront les plus modestes.
Certes la pension des plus modestes sera remontée à 1000 Euros brut pour une carrière complète, mais seulement pour une carrière complète, quel cadeau ! Ce serait bête de mettre des conditions à la réversion des bourgeoises des fois qu’il en resterait pour remonter les 1000 Euros des pauvres.
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